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Cambodge : Hun Sen compte sur la Chine pour parer aux sanctions internationales

Le Premier ministre cambodgien Hun Sen à son arrivée à Manille le 11 novembre 2017, pour participer au 31ème sommet de l'ASEAN. (Crédits : NOEL CELIS / AFP)
Le Premier ministre cambodgien Hun Sen à son arrivée à Manille le 11 novembre 2017, pour participer au 31ème sommet de l'ASEAN. (Crédits : NOEL CELIS / AFP)
Il est temps de prendre les devants pour Hun Sen. Le Premier ministre est en visite à Pékin cette semaine pour chercher l’appui de son plus gros donateur : la Chine. Il doit rencontrer le président Xi Jinping pour obtenir davantage d’aide et d’investissements. C’est qu’après la dissolution du principal parti d’opposition cambodgien le 16 novembre dernier, les chancelleries occidentales menacent de prendre des sanctions commerciales et de couper le robinet financier.

Contexte

Alors que Robert Mugabe a démissionné le 21 novembre de la présidence du Zimbabwe après 37 ans au pouvoir, le Premier ministre cambodgien n’est pas loin de cette longévité : Hun Sen est au pouvoir depuis 32 ans, lui qui fut le vice-premier ministre du gouvernement installé par les Vietnamiens en 1979, puis son chef officiel à partir de 1985. Aujourd’hui aux abois, il vient de réussir un « coup politique » sans précédent au Cambodge avec la disparition du seul parti d’opposition qui représentait une menace crédible en amont des élections de juillet 2018. Le Parti du sauvetage national cambodgien (CNRP) a été dissous le 16 novembre par la Cour suprême du pays – présidée par un proche de Hun Sen – et 118 de ses responsables ont été frappés par une interdiction d’exercer toute activité politique.

L’interdiction du CNRP est loin d’être une surprise. La justice cambodgienne, qui a prononcé la dissolution, manque cruellement d’indépendance par rapport au pouvoir, comme le soulignait un récent rapport de la Commission internationale des juristes. Kem Sokha, le président du CNRP, est détenu depuis le 3 septembre dernier, accusé de complot pour avoir reçu des conseils de la part d’experts américains en vue de constituer une opposition démocratique au régime. Plus de la moitié des députés du parti d’opposition sont désormais réfugiés à l’étranger, dont son autre leader Sam Rainsy. Après ses très bons scores aux élections législatives de 2013 ainsi qu’aux élections locales de juin 2017, le CNRP risquait de gagner les prochaines élections générales et précipiter la chute de Hun Sen.

Sanctions ciblées ou suspension des accords de commerce ?

Face à cette situation, les chancelleries occidentales font bloc commun. La Maison Blanche a indiqué qu’elle mettait immédiatement fin à son soutien financier au Cambodge dans le cadre des élections et que d’autres sanctions étaient à l’étude. Les sénateurs américains ont quant à eux voté à l’unanimité une motion appelant l’administration Trump à placer de hauts responsables du gouvernement cambodgien sur une liste noire qui aboutirait au gel de leurs avoirs aux États-Unis. La France, le Royaume-Uni et l’Australie ont condamné la décision de la Cour suprême sans toutefois évoquer de sanctions, tandis que la Suède a annoncé qu’elle n’initierait plus de plans d’aide au développement dans le royaume. Le Japon, d’ordinaire peu loquace sur les questions politiques, a quant à lui exprimé sa préoccupation face à la dissolution du CNRP.
Même l’Union européenne, peu coutumière des menaces de sanctions à l’égard du Cambodge, a prévenu : l’accord préférentiel d’accès au marché européen appelé « Tout sauf des armes », dont bénéficie actuellement le pays, est conditionné au respect des droits de l’homme par les autorités. L’UE représente 44% des exportations de l’industrie textile au Cambodge, l’un des moteurs principaux de la croissance économique du pays ces dernières années. De nombreux observateurs considèrent néanmoins que mettre fin à cet accord n’aurait qu’un effet marginal sur les autorités, tandis que les ouvriers du textile paieraient le prix fort.

« Hun Sen ne va pas mourir mais vous, les ouvriers, vous allez mourir »

Depuis la décision de la Cour suprême, le Premier ministre s’emploie à balayer les menaces de sanction. « Vous ne pouvez pas me renverser, alors vous vous liguez pour tuer la démocratie au Cambodge… Quand toute les aides auront été coupées, toutes les ONG locales vont mourir. Allez-y et tuez vos enfants ! » a-t-il lancé le 19 novembre.
Évoquant la menace européenne de mettre fin à l’accord « Tout sauf des armes », Hun Sen n’a pas mâché ses mots face à des ouvriers du textile : « Vous devez vous rappeler clairement que s’il y a moins de commandes, ce sera uniquement de la faute d’un groupe de personnes dans le parti d’opposition. Hun Sen ne va pas mourir mais vous, les ouvriers, vous allez mourir. » Pourtant, le CNRP n’a jusqu’ici pas demandé à la communauté internationale de remettre en cause les accords commerciaux cambodgiens. Le parti d’opposition réclame des sanctions ciblées et des restrictions de visas à l’encontre de l’entourage de Hun Sen, à l’instar de l’ONG Human Rights Watch.
« Ces types de sanctions peuvent changer la donne, explique Sophal Ear, professeur associé de diplomatie et affaires internationales à l’Occidental College de Los Angeles. Les enfants de l’élite de Phnom Penh étudient à Nice, font du shopping sur les Champs-Élysées, sortent près de la tour Eiffel, et se vantent de tout cela. Si on leur retire leurs appartements, leurs propriétés à la campagne, et leur moyen de gagner de l’argent via le commerce international en profitant de leur statut, alors leurs intérêts personnels seront directement touchés. »
Interrogé par la radio australienne ABC, le journaliste Sebastian Strangio, auteur d’un ouvrage de référence sur le Cambodge de Hun Sen (Hun Sen’s Cambodia, Yale University Press), émet pour sa part des réserves concernant l’efficacité des sanctions. « Il me semble difficile d’utiliser un tel instrument pour inculquer un état d’esprit démocratique. Les personnes qui dirigent le Cambodge rejettent la démocratie en tant que principe. » Le journaliste australien doute aussi de la volonté des diplomates occidentaux de mettre en œuvre ces sanctions. « Les pays occidentaux sont dans une position difficile. D’un côté ils peuvent punir le gouvernement par des sanctions, mais de l’autre, il est aussi de leur intérêt de maintenir le peu d’influence qu’ils ont encore sur les autorités du pays. Si les gouvernements occidentaux se désengagent du Cambodge, alors le bénéficiaire sera probablement Pékin. » Depuis les accords de Paris en 1991, qui mettaient fin à plusieurs décennies de guerre civile, les pays occidentaux ont dépensé plusieurs milliards de dollars pour construire une démocratie multipartite au Cambodge.

La Chine, partenaire généreux et peu soucieux des droits de l’homme

Hun Sen a assuré que la Chine compenserait le manque à gagner d’éventuelles sanctions, arguant que « les États-Unis ont peur que la Chine prenne leur place ». Phnom Penh a opéré un rapprochement avec Pékin sur la scène internationale ces dernières années. En témoigne la déclaration d’un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères au lendemain de la dissolution du CNRP, selon laquelle le pays soutient les « efforts du gouvernement cambodgien pour sauvegarder sa sécurité nationale et sa stabilité ».
Entre 2011 et 2015, les entreprises chinoises ont dépensé près de 5 milliards de dollars en prêts et investissements, souvent dans des projets d’infrastructures – routes, ponts et barrages hydroélectriques notamment. Durant la même période, la Chine est devenue le principal partenaire commercial du Cambodge. En 2016, le soutien chinois représentait plus d’un tiers des 732 millions de dollars d’aides bilatérales reçues par le royaume. Les pays membres de l’OCDE ont quant à eux sensiblement réduit le montant de leur aide au développement depuis 2015.
Pour Sophal Ear, également co-auteur du livre Le dragon affamé : comment la chasse aux ressources de la Chine réorganise le monde, la quasi-alliance de Pékin avec Phnom Penh n’est pas si inconditionnelle qu’il semble. « Le soutien de la Chine prendra fin lorsque l’objectif que sert le Cambodge ne sera plus d’actualité. Le Cambodge permet à la Chine de provoquer l’oncle Sam, mais à quel prix pour le royaume et sa population ? La Chine achètera-t-elle toutes marchandises qui ne seront plus exportées en Europe ? Le commerce ne fonctionne pas comme ça. »
Par Pierre Motin, à Phnom Penh

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A propos de l'auteur
Pierre Motin est journaliste indépendant basé à Phnom Penh, où il collabore avec Mediapart et le Petit Journal Cambodge. Particulièrement intéressé par les questions relatives aux droits de l'homme, il a précédemment travaillé pour plusieurs ONG dont Oxfam, Human Rights Watch et Handicap International.