Politique
Entretien

Sam Rainsy : "au Cambodge, le gouvernement veut décapiter l’opposition"

Cette photo prise le 5 août 2017 montre une femme marchant devant une affiche du Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP) avec les figures effacées de l’actuel leader du parti Kem Sokha et de l'ancien dirigeant Sam Rainsy, dans un village de la province de Pursat. L'opposition a été obligée de gommer l’image de son dirigeant en exil, Sam Rainsy, sur des milliers de panneaux et d’affiches à travers le pays. (Crédits : TANG CHHIN Sothy / AFP)
Cette photo prise le 5 août 2017 montre une femme marchant devant une affiche du Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP) avec les figures effacées de l’actuel leader du parti Kem Sokha et de l'ancien dirigeant Sam Rainsy, dans un village de la province de Pursat. L'opposition a été obligée de gommer l’image de son dirigeant en exil, Sam Rainsy, sur des milliers de panneaux et d’affiches à travers le pays. (Crédits : TANG CHHIN Sothy / AFP)
Y aura-t-il des candidats d’opposition aux prochaines élections législatives prévues pour l’été prochain au Cambodge ? Au rythme où vont les choses, on peut se poser la question. Après avoir emprisonné ou contraint à l’exil la plupart de ses adversaires, le régime de Hun Sen semble vouloir user de l’arsenal législatif pour dissoudre le Parti du sauvetage national du Cambodge. Un projet de loi a été rédigé en ce sens. Menacée d’arrestation, la vice-présidente du principal parti d’opposition a dû fuir du pays. Quel avenir pour l’opposition et la démocratie au Cambodge ? Nous avons posé la question à l’ancien ministre Sam Rainsy. L’opposant historique entame aujourd’hui son cinquième exil.

Contexte

La liberté d’expression a encore pris un coup cette semaine au Cambodge. Les députés ont voté le projet de loi du Parti du peuple cambodgien – le parti au pouvoir. Un amendement à la loi électoral qui permet en toute simplicité de récupérer les sièges des partis d’opposition menacés de dissolution et de les « réattribuer à cinq petite formations politiques qui avaient rassemblé à peine 6 % des voix en 2013 », écrit Adrien Le Gal dans Le Monde.

A la tête du pays depuis plus de trente ans, Hun Sen n’en est pas à son premier coup électoral. Cette fois, le Premier ministre semble vouloir dissoudre les organisations dissidentes. Le premier visé par cette nouvelle loi étant le Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC). Sa vice-présidente Mme Mu Sochua ayant dû fuir le pays au début du mois après avoir reçu un « message lui indiquant son arrestation imminente », rapporte Eléonore Sok-Halkovich, correspondante du journal La Croix à Phnom Penh.

Près de la moitié des députés de l’opposition ont ainsi été contraints de quitter le Cambodge. La prison ou l’exil, il n’y a visiblement pas d’autre alternative. En témoigne l’arrestation en septembre dernier, puis l’incarcération de Kem Sokha, le leader du PSNC. Un scénario qui rappelle celui utilisé il y a deux ans contre Sam Rainsy. L’opposant historique avaint lui aussi été écarté du jeu politique et contraint de partir à l’étranger. Ce qui ne l’empêche pas de conserver le sourire. Ce durcissement du régime étant la preuve selon Sam Rainsy de la fébrilité du gouvernement et de son recul partiel dans les urnes. Aux municipales de 2017, Le Parti du sauvetage national du Cambodge avait enregistré un score en nette progression.

Sam Rainsy interviewé par la rédaction cambodgienne de RFI le 19 octobre 2017 Crédits : SL
La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, il y a un peu plus d’un an, vous sembliez croire à un regain pour l’opposition au Cambodge. C’est toujours le cas aujourd’hui ?
Sam Rainsy : Je vois effectivement un regain du côté de la popularité du Parti du salut national du Cambodge. Mais ce parti d’opposition subit de plus en plus les attaques du parti au pouvoir.
Dans quel état se trouve l’opposition aujourd’hui ? Avez-vous des nouvelles de Madame Mu Sochua ?
Elle a dû quitter le pays au début du mois parce qu’elle se sentait menacée. Les autorités lui ont très bien fait comprendre qu’elles allaient arrêter d’autres dirigeants de l’opposition.
« Hun Sen ne va pas s’arrêter là. Le gouvernement veut non seulement décapiter l’opposition, mais aussi dissoudre les partis d’opposition. »
On parle de la moitié des députés de l’opposition en exil aujourd’hui…
Ils ont dû quitter le pays, car actuellement il y a déjà trois parlementaires, deux membres de l’assemblée nationale et un sénateur, qui se trouvent en prison. Et on sait que Monsieur Hun Sen ne va pas s’arrêter là. Le gouvernement veut non seulement décapiter l’opposition, mais aussi dissoudre les partis d’opposition.
« C’est la plus grande, la plus grossière farce électorale qu’on ait jamais vue dans l’histoire de la démocratie. »
Le parlement vient de voter des amendements à la loi électorale : quatre nouvelles lois qui permettront de répartir les sièges d’un parti en cas de dissolution de ce dernier… Vous sentez-vous directement visé ?
Il y a eu deux amendements précédemment qui m’ont forcé à démissionner de la présidence de mon parti pour éviter la dissolution de celui-ci. Les quatre nouveaux amendements ont pour objet de dissoudre ce parti et de prendre les postes de députés que le peuple nous a confiés pour les redistribuer à d’autres partis. En fait, c’est la plus grande, la plus grossière farce électorale qu’on ait jamais vue dans l’histoire de la démocratie.
A chaque fois que l’on se rencontre, vous affichez une grande sérénité. On sent pourtant que la pression est forte à votre égard. Comment la vivez-vous ?
J’ai confiance que la volonté populaire finira par l’emporter. Les manœuvres de Hun Sen sont grossières. Elles sont antidémocratiques, anticonstitutionnelles. C’est pourquoi nous allons déposer une demande devant le Conseil Constitutionnel du Cambodge afin que ce dernier déclare que ces lois sont inconstitutionnelles et ne sont donc pas applicables.
Vous avez encore de l’espoir ou vous faites semblant ?
Même si je n’ai pas d’espoir, je le fais car ce sont les voies du droit qui sont ouvertes à tous les démocrates. On essayera par tous les moyens de montrer que le pouvoir en place actuellement fait n’importe quoi et utilise tous les moyens pour éliminer l’opposition. Il veut organiser des élections sans l’opposition, mais ce genre d’élections n’a aucun sens.
Dans un clip datant de 2011, vous appeliez les soldats et les policiers à renverser ou en tout cas à ne pas se ranger du côté du gouvernement… Le chef des armées vient d’évoquer ce clip d’il y a 6 ans, c’est mauvais signe pour vous ?
Mes propos ont été sortis de leur contexte. J’ai simplement rappelé au peuple cambodgien qu’il y a des précédents, des exemples dans l’Histoire où l’on voit l’armée retourner les fusils contre des dirigeants dictatoriaux qui ont ordonné à l’armée de tirer sur la foule. J’ai cité l’exemple de Ceausescu lorsqu’il a demandé en 1989 à l’armée de réprimer le peuple. Et l’armée n’a pas obéi à ses ordres et elle a effectivement retourné les fusils contre le dictateur. J’ai cité également l’exemple de l’Union Soviétique en 1991 quand les putschistes voulaient renverser, inverser le début de changement politique qui avait cours en URSS. Or, l’armée n’a pas accepté les ordres et elle s’est rangée du côté du peuple. L’armée a retourné ses fusils contre ceux qui se comportaient comme des dictateurs. Au Cambodge également, les soldats en tant qu’hommes possèdent une conscience et ils ne vont pas obéir tout le temps aux ordres du dictateur Hun Sen.
Vous n’avez pas cité le mouvement des étudiants de la place Tianan’men en Chine en 1989. Quel est le rôle de la Chine justement, et son influence sur le Cambodge aujourd’hui ?
La Chine n’accorde aucune considération à la démocratie ou aux droits de l’homme. Elle a soutenu la junte militaire birmane ; elle a soutenu un régime autocratique au Sri Lanka jusqu’à peu ; elle soutient des dirigeants dictatoriaux en Corée du Nord. Au Cambodge, elle soutient désormais Hun Sen et tout cela dépend des intérêts de Pékin. Face à ces choix de la Chine, je n’ai rien à dire mais ce qui me préoccupe, c’est que le Cambodge se retrouve avec des dirigeants qui ne se soucient pas des intérêts du peuple.
Est-ce que vous essayez, vous et d’autres dans l’opposition, de rentrer en contact avec la Chine ?
Je pense que la Chine a une vision à long terme et se rend très bien compte que l’avenir n’est pas avec Hun Sen. Elle sait que le futur se fera avec le peuple cambodgien et surtout cette jeunesse qui aspire à des changements. Même si les jours de Hun Sen sont comptés, la Chine continue à prendre ce qu’il y a prendre avec lui. C’était la même chose à la période de Pol Pot : Pékin a arrêté de le soutenir à la fin de la guerre froide.
Après plus de trente ans d’exercice du pouvoir, Hun Sen semble encore populaire. Il a promis récemment d’augmenter les salaires dans l’industrie du textile qui emploie beaucoup de jeunes…
Le peuple est plus intelligent qu’on ne le croit. Ce ne sont pas des mesures démagogiques ponctuelles, prises au jour le jour sans réfléchir aux conséquences, qui vont régler les problèmes de fond du Cambodge. La réalité, c’est qu’une grande majorité du peuple cambodgien vit dans la misère tandis qu’une petite élite, contrôlée par Hun Sen et sa famille, s’enrichit de manière spectaculaire. Dans le même temps, la déforestation s’intensifie, le pays va à vau-l’eau… Voilà les vrais problèmes de fond au Cambodge.
« Le taux de déforestation au Cambodge est l’un des plus élevés du monde. Cette déforestation reflète la corruption gouvernementale qui est en train de vendre nos matières premières et de détruire le pays. »
Dans un article récent, le Phnom Penh Post indiquait que 30 % de la forêt cambodgienne avait disparu en une année…
Le taux de déforestation au Cambodge est l’un des plus élevés du monde. Cette déforestation reflète la corruption gouvernementale qui est en train de vendre nos matières premières et de détruire le pays. Il n’y a d’ailleurs pas que ça. Des multinationales étrangères pompent le sable des fonds marins cambodgiens, ce qui bouleverse les écosystèmes. On vend ce sable à Singapour, pour que la cité-Etat puisse accroître sa superficie en gagnant du terrain sur la mer.
En France, vous avez créé l’Association pour la Démocratie au Cambodge. Si votre parti était victime de dissolution, est-ce que cette association pourrait prendre le relais ?
Non, le Parti du salut national du Cambodge va continuer. Il y a une pression internationale de plus en plus forte pour faire plier Hun Sen. En tous cas, personne ne peut enlever aux partis d’opposition les postes que le peuple nous a confié, cela ne sera jamais reconnu, ni par le peuple cambodgien, ni par la communauté internationale. L’association pour la démocratie au Cambodge ne soutient aucun parti. Nous nous contentons de tout faire pour promouvoir la démocratie en poussant à l’organisation de vraies élections au Cambodge, pour que le meilleur l’emporte, comme le veut la démocratie.
Les élections sont annoncées pour juillet 2018, vous y serez ?
Ce n’est pas mon premier exil vous savez. C’est même mon cinquième ! Et c’est à chaque fois la même histoire, les mêmes schémas, mais au bout du compte il y aura une solution politique. Quand la pression internationale montera à un niveau suffisant, Hun Sen fera marche arrière.
Propos recueillis par Antoine Richard, Nicolas Sridi et Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.