Cambodge : In Sopha ou le courage d’une vie
BFD en quelques mots
Budhism for development (BFD) est né dans les camps de réfugiés cambodgiens à la frontière de la Thaïlande et du Cambodge, en mai 1990. Cette ONG 100 % khmer a été fondée à la suite de la rencontre entre Yves Meaudre et Heng Monychenda, ancien moine boudhiste cambodgien qui est aujourd’hui directeur de BFD. L’association vise à relancer notamment l’économie agricole, le soutien sanitaire et l’éducation dans les villages reculés de l’ouest et du nord du Cambodge. EdM est ainsi partenaire de BFD pour leur branche « éducation » depuis octobre 1992. A ce jour, 407 filleuls sont parrainés grâce au partenariat EdM-BFD dans six provinces : Païlin, Battambang, Siem Reap, Kompong Thom, Oddar Meanchey et Preah Vihear.
Sopha, c’est un caractère extrêmement discret et droit ; qui a toujours refusé de se faire acheter par ses élèves pour augmenter leurs notes aux examens, et qui a dû se faire raccompagner sous escorte plus d’une fois en sortant de l’université sous peine de représailles. Cela, c’était dans les années 1990 à Battambang, là où vit In Sopha depuis 1972, lorsqu’elle avait 17 ans.
Un rêve s’éteint
Le rêve que s’était forgé avec bonheur cette francophile qui a commencé à apprendre le français dans son petit village du Sud-Est du Cambodge en CM1, s’évapore.
« Ils sont venus me chercher chez moi, raconte-t-elle. Ils ont vu l’uniforme de pilote de mon oncle, notre armoire qui contenait beaucoup de livres de langues étrangères et de philosophie. Ils ont brûlé notre maison, devant moi. » Elle s’évanouit de peur et de tristesse. On l’embarque au centre de santé. « J’ai alors dit la vérité : que j’avais mon bac. ». On la loge dans l’université de Battambang avec les 83 autres « intellectuels ». Pendant six mois, Sopha et ses compagnons sont chargés de rédiger les listes de recensement des habitants de la province. Elle travaille « dans l’ombre », comme elle le raconte, le plus discrètement possible. On lui ordonne de souligner en rouge les fonctionnaires et les étudiants et de recenser les professeurs les plus âgés dans les communes et les villages. Elle dort dans une petite chambre attenante à celle d’un des chefs khmers rouges de Battambang
« Mettre en miettes »
Impossible de dormir.
« Le lendemain, à 9h, je suis allée voir un de mes chefs pour lui demander de rejoindre mes parents. « Je ne veux pas vivre avec l’Angkar****, ai-je dit, je veux vivre avec mes parents ». Le chef lui demande alors si elle a entendu une conversation la veille au soir. Elle nie. Trois jours plus tard, un soldat de 12 ans, un « fusil plus grand que lui » sur l’épaule, vient la chercher. Va-t-elle être tuée ? L’angoisse lui noue le ventre. Le chef devant qui elle se retrouve tente de la dissuader de partir : « il n’y aura rien à manger chez ta mère, me dit-il, on mange comme les cochons là-bas ».
Elle se tait mais maintient sa demande et obtient finalement un laissez-passer. « Avant de partir, le chef m’ordonne de lui dire si j’ai entendu sa discussion la veille, avant de m’enjoindre de rester muette sur ce que j’ai pu entendre ». Ils lui donnent un vélo et elle accepte 500 g de sucre pour sa famille. Il lui reste 46 km à vélo à parcourir pour la rejoindre, accompagnée d’un étudiant.
Sopha donne des cours aux enfants et habitants du village sous un arbre. Myope, elle est malgré tout obligée d’enlever ses lunettes, signe « intellectuel ». Vivant dans l’angoisse de se faire tuer, Sopha travaille dur sans jamais se plaindre. « Les gardes disaient que je travaillais comme un garçon. Je n’étais jamais malade. Je fabriquais des chapeaux pour nos chefs », se souvient-elle. Sopha n’hésite pas non plus à se faire passer pour folle lorsque des gardes tentent de lui faire lire le sigle UNICEF pour la tester ; se décoiffant et simulant une attitude absente. « Ce fut la période la plus dure », lâche-t-elle simplement, le regard lointain.
« Tout passe »
Sopha a été sauvée par sa capacité de travail et tout ce que lui avait transmis son père en connaissances agricoles qui lui ont permis de ne pas être rangée dans la catégorie des intellectuels et des fonctionnaires tués d’office.
Sopha n’est pas devenue avocat. Elle a témoigné en 2005 au Sénat à Paris lors d’un colloque sur l’enfance et la guerre et elle en a pleuré. Elle a dédié sa vie à sa famille, décidant de vivre avec le mari qu’on lui avait donné et de construire son foyer. Elle a dédié sa vie à tous les enfants démunis mis sur sa route depuis.
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