Culture
Peinture

La Chine sans pollution de KunBu Lei

"Hua Huo", "Fleurs et feu", peinture à l'huile, 2017. (Copyright : KunBu Lei)
"Hua Huo", "Fleurs et feu", peinture à l'huile, 2017. (Copyright : KunBu Lei)
Montre XXL au poignet, crâne dégarni et pinceau écolo, KunBu Lei aime soigner les détails. Jusqu’à mettre une majuscule au B de son nom de famille sur le carton de son exposition éphémère dans la capitale française, une coquetterie que l’on pratique rarement en Chine. Plus célèbre pour ses talents culinaires que picturaux, l’artiste peintre a terminé en haut du podium de la « louche d’or » en 2006, sorte de « Top chef » version CCTV rassemblant des dizaines de millions de téléspectateurs autour de la table. Avec cet accrochage dans un studio de la rue de la Condamine au cœur du vieux Paris, KunBu Lei revient sur ses origines, à savoir les forêts luxuriantes de son pays natal dans le sud de la Chine, ainsi que sur les traditions festives de la minorité Yi. Un « rêve chinois » en quelque sorte, une jungle enchantée où des « herbes dansantes » le long des frontières birmanes et laotiennes auraient fini par triompher du béton et de la pollution des grandes villes.

Contexte

Laissez tomber vos masques en papier ! Respirez un bon coup ! Bienvenue dans le monde enchanté de KunBu Lei ! A celles et ceux qui ont encore le grondement des périphériques de Pékin dans l’oreille, il existerait donc un paradis perdu en Chine. Oui, il existerait aujourd’hui des jungles joyeuses, des rizières magiques loin des métropoles aux néons et préservées de la pollution. La chose semble difficile à croire dans un pays prêt à déplacer les montagnes pour étaler ses nouvelles tartines de bitume, dans un régime mesurant son développement aux kilomètres d’autoroutes parcourus et de réseaux à grande vitesse qui, chaque année, raccourcissent un peu plus le territoire. Et pourtant, KunBu Lei n’a pas rêvé. La forêt tropicale du Xishuangbanna existe réellement. Perchée dans les montagnes froides du sud du pays, cette préfecture qualifiée de « jardin céleste » par les guides touristiques est connue pour la diversité de sa flore et de sa faune.

« La Chine n’a pas connu le mouvement hippie, elle est passée directement aux hipsters », me racontait un jour le photographe Gilles Sabrié de retour de reportage dans le Yunnan – la province méridionale chinoise attirant de plus en plus de jeunes urbains branchés fuyant la pression et les pots d’échappement. Sans parler des touristes qui pullulent aussi dans l’un des cinquante deux coins à ne pas rater du globe selon le New York Times ! Clic clac ! Dans le smartphone des plus chanceux, parait-il, l’image fugace d’un tigre du Bengale ou encore le passage d’un éléphant d’Asie, d’un ours noir ou d’une grue à col rouge. Cette luxuriance et cette gaité presque animale rejaillit dans la peinture de l’artiste. Une Chine sans nuage qui nous fait penser à son contemporain, le très officiel Han Meilin, ainsi qu’aux jungles imaginaires d’Henri Rousseau.

L'artiste chinois KunBun Lei lors de son passage à Paris le 5 octobre 2017. (Crédits : Stéphane Lagarde, Asialyst)
L'artiste chinois KunBun Lei lors de son passage à Paris le 5 octobre 2017. (Crédits : Stéphane Lagarde, Asialyst)
Pourquoi avoir intitulé cette exposition, le « jardin des rêves » ?
Je me suis inspiré des forêts tropicales et vierges de mon pays natal, la préfecture autonome de Xishuangbanna, au sud de la Chine. Comme dans les forêts, j’essaye de traduire dans mes peintures ce côté magique qui porte à la rêverie. C’est en tous cas ce qui m’a inspiré pour cette nouvelle série de tableaux.
Nous sommes là très loin de Shanghai et des métropoles chinoises…
La préfecture de Xishuangbanna fait partie des derniers territoires vierges et non pollués en Chine. On l’appelle le « paradis terrestre ». A Shanghai, je pense très souvent à ces forêts non polluées et cela m’a donné envie de les peindre telles quelles sont.
La province du Yunnan et ses montagnes luxuriantes attirent de nombreux touristes, mais aussi de nombreux Chinois des grandes villes fatigués de la pollution et des pressions…
Oui, cette envie de fuite est aujourd’hui largement partagée notamment au sein de la jeunesse des classes moyennes. Il y a ce désir de quitter les jungles de béton pour se rapprocher de la nature. Le travail restant en ville, ce ne sont pas encore des mouvements définitifs. Mais il y a, au moins provisoirement, cette envie de se ressourcer au milieu des rizières, de ces forêts aujourd’hui encore épargnées par l’homme. C’est aussi pour moi une manière de célébrer la vie.
Cette nouvelle série est marquée par des explosions de couleurs, mais aussi par ces « herbes dansantes » presque monochromes. Cela correspond à deux périodes différentes ?
"Tiao Wu Cao", "Les Herbes dansantes", peinture à l'huile, 2017. (Crédits : KunBu Lei)
"Tiao Wu Cao", "Les Herbes dansantes", peinture à l'huile, 2017. (Copyright : KunBu Lei)
La série sur les « herbes dansantes » vient d’une réflexion mélancolique. J’étais à Shanghai, je pensais souvent à mon pays natal et j’étais plongé dans une sorte de nostalgie créative. Cet épisode terminé, la mélancolie s’est transformée en joie de vivre. J’ai voulu faire passer cette gaieté de la nature, cette célébration de la vie encore une fois auprès d’un public urbain et souvent coupé de ses racines.
Peut-on parler d’une peinture engagée, et en tous cas d’une adhésion aux combats des écologistes au travers de ces tableaux ?
La défense de l’environnement est clairement ce qui ressort de ma peinture. J’espère inciter les spectateurs à épargner les territoires naturels encore préservés dont je vous ai parlé en Chine. Mais plus largement, c’est de l’avenir de notre planète dont il est question ici ! C’est un combat transfrontières. Un combat commun à l’ensemble de l’humanité, sachant qu’il s’agit de notre futur à tous.
Vous révélez dans vos œuvres une forêt enchantée et toute-puissante qui gagne sur la ville. N’est-ce pas là une rêverie justement, quand on connaît la boulimie des pelleteuses en Chine ?
Je ne dis pas que je peins la réalité, je dis simplement qu’après trente ans de réflexion, j’ai voulu célébrer la vie au travers de cette luxuriance, de ces fleurs, de ces herbes dansantes qui effectivement ne semblent pas prêtes à se laisser envahir par le béton.
"Meng Jing Yuan", "Jardin des rêves". Peinture à l'huile, 2017. (Copyright : KunBu Lei)
"Meng Jing Yuan", "Jardin des rêves". Peinture à l'huile, 2017. (Copyright : KunBu Lei)
Quels sont les peintres et les œuvres qui vous ont inspiré ?
Je ne sais pas quoi vous répondre, j’ai développé mes propres techniques. Je ne fais pas de la peinture à l’huile.
En Chine, vous êtes surtout connu pour la cuisine : est-ce qu’on peint comme on prépare un bon plat ?
Je crois que l’art culinaire est un art à part entière. Le fait de savoir associer des saveurs, des épices, cela ressemble effectivement pour moi à la peinture. Il nous faut aussi composer avec les techniques, les couleurs, les inspirations. Comme dans la cuisine, je cherche à créer la surprise au travers de mes œuvres pour que l’effet soit palpitant. Je sors des règles et je définis mon propre style. Je fabrique mes propres couleurs et je sors des techniques conventionnelles de la peinture à l’huile. Vous voyez toutes ces couleurs ! Et bien, en réalité j’utilise seulement du rouge, du jaune, du noir et du bleu, et ensuite je compose les tons dont j’ai besoin. Mon inspiration ne peut être séparée de mes racines et de l’ethnie Yi à laquelle j’appartiens qui a sa propre langue et sa propre écriture.
Quel bilan tirez-vous de cette première exposition à Paris ?
C’est une première pour moi et c’était d’abord une occasion de rencontrer d’autres artistes et notamment des artistes français. Il y a eu pas mal d’échanges autour de l’art. Ce dialogue entre artistes européens et chinois est pour moi une chose précieuse que j’aimerais entretenir.
Propos recueillis par Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.