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Les Coups d'État en Thaïlande en 10 points

Des soldats thaïlandais sécurisent la ville de Chiang Mai, au nord du pays, lors du coup d'Etat de mai 2014. (Crédit : EYEPRESS NEWS / EYEPRESS, via AFP)
Des soldats thaïlandais sécurisent la ville de Chiang Mai, au nord du pays, lors du coup d'Etat de mai 2014. (Crédit : EYEPRESS NEWS / EYEPRESS, via AFP)
Le couperet est tombé à la télévision nationale le 20 mai 2014, après six mois de manifestations à Bangkok. Les militaires sont sortis de leur réserve et ont déclaré la loi martiale pour restaurer « la paix et l’ordre public ». Aussitôt, des soldats et des véhicules militaires ont été déployés dans le centre de la capitale, aux abords des médias nationaux et des institutions gouvernementales. Deux jours plus tard, un coup d’État est annoncé. Le pays est depuis gouverné par une junte militaire, avec à sa tête le général Prayuth Chan-ocha.
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La Thaïlande n’en est pas à son coup d’essai, bien au contraire. Le coup d’État en est même l’une des spécialités : pas moins de 18 tentatives de putschs (dont 12 réussies) depuis 1932 et la fin de la monarchie absolue. Comment expliquer une telle frénésie ? Sur quelle légitimité les militaires s’appuient-ils ? Analyse en 10 points de ce « cercle vicieux » de la politique thaïlandaise.

Sommaire

1. Une crise politique longue de plus de 80 ans
2. Une « culture » du coup d’État
3. Les militaire, défenseurs de la monarchie
4. Dans les années 1990, le cycle infernal rompu ?
5. L’armée comme troisième voie au clivage entre ville et campagne
6. « Chemises jaunes » contre « chemises rouges » : l’armée, garante du retour à l’ordre
7. Le putsch de 2014 : une façon de préparer la succession du roi Bhumibol
8. Un cycle « coup d’État, constitution, élections »
9. Des élections sans cesse repoussées
10. Quelles conséquences la mort du roi de Thaïlande a-t-elle pour l’armée ?

1. Une crise politique longue de plus de 80 ans

Le premier coup d’État de cette longue série remonte à 1932. À cette date, et ce depuis le VIIIème siècle, le royaume de Siam est une monarchie absolue dominée par la dynastie Chakri. Entre le milieu des années 1850 et les années 1920, trois rois successifs, Mongkut, Chulalongkorn et Vajiravudh modernisent et consolident l’État-nation. Ils accroissent le rôle de Bangkok comme centre du pouvoir et tentent d’homogénéiser un pays multiethnique en développant un système de références communes dans l’ensemble du pays. En d’autres termes, la langue, les valeurs et les coutumes des groupes ethniques du centre du pays deviennent la norme, comme l’explique David Camroux. En parallèle, les trois monarques s’ouvrent à l’étranger, favorisant le développement d’une classe moyenne qui vit du commerce international. Mais, à l’aube des années 1930, celle-ci subit de plein fouet la crise de 1929 et la monarchie peine à réagir.
En réponse à ce mécontentement, un petit groupe de militaires guidés par le lieutenant-colonel Plaek Phibunsonghkram, autrement appelé Phibun, prend le pouvoir via un coup d’État. La monarchie absolue tombe et fait place à une monarchie constitutionnelle, sous la coupe des militaires. Un an plus tard, Phibun prend la tête du pays. Une tentative de contre-révolution royaliste échoue en 1934 et le roi Rama VII s’exile, laissant son trône au très jeune Ananda Mahidol, âgé de neuf ans. Dès lors, coups d’État et contre-coups d’État se succèdent sans complètement se ressembler.
Le massacre d’étudiants pro-démocratie par l’armée en 1973 et 1976 marque cependant un premier tournant dans cette crise politique. Le 6 octobre 1976, la police, des milices d’extrême-droite ultra-royalistes et des militaires pénètrent de force dans l’université de Thammasat à Bangkok et accusent de lèse-majesté des étudiants qui manifestent contre le gouvernement militaire. Plusieurs dizaines d’étudiants sont abattus. Le bilan officiel, et toujours controversé, fait état de 46 morts. Un massacre qui reste dans la mémoire des Thaïlandais comme le « 6 Toula » : le 6 octobre. À partir de cette date, l’image de l’armée est ternie. Elle s’efface derrière le roi et va puiser sa légitimité dans la défense de la monarchie.
L’année 1992 marque une nouvelle période dans la vie politique thaïlandaise. Après une révolution citoyenne, l’armée annonce son retour dans les casernes et sa retraite politique. C’est finalement l’arrivée de Thaskin Shinawatra au pouvoir en 2001 qui sonnera son retour.

2. Une « culture » du coup d’État

L’expression est du chercheur australien Nicholas Farelly : la Thaïlande a développé une « culture du coup d’État » entraînant sa banalisation. « La culture thaïe n’est pas plus prédisposée qu’une autre, au départ, à y avoir recours, écrit le chercheur. Cependant, à force de l’utiliser, les personnalités politiques ont développé une « culture du coup d’État » qui rend le putsch acceptable et incite à y avoir recours pour résoudre une crise. » Les spécialistes de la politique thaïlandaise étaient ainsi nombreux à avoir vu venir le coup d’État de 2014, plusieurs mois avant qu’il ne se produise.
Cette « culture du coup » s’explique aussi par la composition de l’armée. C’est qu’elle a tout intérêt à maintenir une activité politique plutôt qu’une activité militaire. « L’armée thaïlandaise est composée majoritairement de commandants assez âgés, qui n’ont pas besoin de se battre sur le terrain ou de participer à des stratégies de défense, analyse Joshua Kurlantzick, spécialiste de l’Asie du Sud-Est. Et pour cause, la Thaïlande n’a pas vraiment d’ennemis extérieurs. Pourtant elle a plus de 1700 généraux et amiraux. Pour ces derniers, la seule façon de gagner de l’argent et du prestige, c’est d’intervenir en politique. » Participer à un coup d’État peut effectivement s’avérer très lucratif. « Les risques pour un militaire sont très minimes, souligne Eugénie Mérieau. Une loi d’amnistie a été votée en 1932 permettant l’impunité des auteurs des coups d’État. Depuis les années 1970, ces amnisties sont mêmes directement inscrites dans la Constitution. Aucun officier n’a jamais comparu devant un tribunal pour sa participation, alors pourquoi s’en priver si ça peut les enrichir ? »

3. Les militaires, défenseurs de la monarchie

Sous la loi martiale, de 1948 à 1972, puis sous les gouvernements quasi-civils qui s’ensuivent, l’armée fait de la monarchie la source de sa légitimité. Le roi Bhumibol, monté sur le trône en 1946 et décédé en octobre 2016, était considéré comme un demi-dieu par les Thaïlandais. Le portrait de ce « père du peuple » orne encore la monnaie, les rues et les façades des bâtiments d’État. L’armée thaïlandaise dit agir en son nom et se fait ainsi le garant du maintien de la royauté. De son côté, le roi, qui n’avait pas de pouvoir politique réel, jouait le rôle de médiateur en cas de crise politique et soutenait les coups d’État successifs. « Il y a une pratique de « validation » des coups d’État par le monarque. Cela permet de légitimer le putsch comme mode de prise de pouvoir », explique Eugénie Mérieau.
Depuis l’arrivée de la junte militaire au pouvoir en 2014, l’application de la loi sur le crime de lèse-majesté est l’une des plus strictes du monde. « Cette campagne de répression, couplée à une propagande sans précédent, a assis l’autorité du roi en étouffant l’esprit critique des Thaïlandais », résume Eugénie Mérieau. Cela montre bien l’attachement de l’armée à l’aura qu’elle tire de la monarchie. En juin 2017, un homme a ainsi écopé de 35 ans de prison pour avoir posté des photos et des vidéos de la famille royale sur Facebook. En décembre 2015, un autre individu avait même été condamné pour avoir critiqué le chien du roi Bhumibol.
Le rôle que doit jouer le monarque dans la politique thaïlandaise est néanmoins source de conflits supplémentaires au sein de la population. L’élite très largement monarchiste du pays veut à tout prix maintenir le roi dans les affaires politiques. Elle soutient les militaires et reste attachée à la proximité historique entre le palais royal et l’armée. Au contraire, dans les campagnes, on souhaite une réelle autonomie du gouvernement. Ainsi, en 2001, certains officiers soupçonnent Thaksin Shinawatra, homme d’affaires élu Premier ministre, de vouloir la chute de la monarchie. C’est en partie sur cet argument de la défense de la royauté que les militaires justifient sa destitution en 2006.

4. Dans les années 1990, le cycle infernal rompu ?

En mai 1992, des militants pro-démocratie, appartenant essentiellement aux classes moyennes, descendent dans les rues pour dénoncer le nouveau gouvernement du général Suchinda, majoritairement composé de militaires, et appeler à une véritable démocratie. Ce « Mai Noir » est réprimé dans le sang et tout laisse à croire que les citoyens veulent rompre le cycle des coups d’État. En 1997, le projet de nouvelle « Constitution du peuple » semble, lui aussi, aller dans ce sens. Le nouveau texte fondamental est le plus démocratique que le pays ait connu. Il permet l’instauration d’une démocratie moderne qui encourage la création de partis politiques disposant d’un réel programme. En 2001, Thaksin Shinawatra est élu Premier ministre. Cet ancien lieutenant-colonel de police devenu homme d’affaire et dont le fief se trouve à Chiang Mai, est le chef de fil du nouveau parti Thai Rak Thai (« les Thaïlandais aiment les Thaïlandais »). Sa victoire semble confirmer la fin du cercle vicieux.
Cependant, la démocratie ne résiste pas longtemps. La réputation de Thaksin est rapidement entachée par des affaires de corruption et de violations des droits de l’homme. Il est notamment accusé de près de 2 000 exécutions extrajudiciaires dans le cadre de sa guerre contre les drogues. Par ailleurs, le nouveau système contrarie l’élite économique et militaire rassemblée derrière le roi. Le décor est planté pour le putsch de 2006 et le retour au pouvoir de l’armée.

5. L’armée comme troisième voie au clivage entre ville et campagne

L’instabilité politique thaïlandaise est aussi attisée par la lutte pour le pouvoir entre les élites politiques et économiques de Bangkok et le monde rural des provinces. Le pays est en effet divisé en deux groupes rivaux. Le premier correspond à l’élite minoritaire du pays, basée dans les villes et composée de Thaïs issus de la classe moyenne. C’est cette élite qui est au pouvoir depuis 1932 et à la tête de la majorité des institutions gouvernementales. Face à elle, se trouve la majorité rurale vivant au nord et au nord-est du pays. Longtemps mis à l’écart de la vie politique, ces derniers veulent maintenant avoir leur mot à dire. Il faut également prendre en compte la diversité des classes et des ethnies dans le pays. Beaucoup sont ainsi des « paysans urbains », des migrants qui occupent des emplois non qualifiés dans la région de Bangkok mais maintiennent un ancrage rural fort.
La concurrence entre ces deux groupe existe depuis la fin de la monarchie absolue, mais elle s’est intensifiée dans les années 1970 et 1980 lorsque l’armée s’est effacée de la scène politique. Pendant plusieurs décennies, les membres de l’élite citadine du pays, soutenus par l’armée, avaient tenu les rênes du pouvoir, ce qui avait permis au milieu des affaires de Bangkok de prospérer. La situation s’est envenimée lorsque des hommes d’affaires ont commencé à prospérer en province, comme Thaksin Shinawatra. Il symbolise la lutte entre les deux groupes. S’il est issu d’une famille aisée et membre de l’élite urbaine, le Premier ministre élu en 2001 a très tôt dirigé ses discours vers les masses rurales. Il souhaitait représenter leurs intérêts et il multiplia les actions pour les sortir de la pauvreté : il subventionna des villages et développa l’accès aux soins et à l’éducation. En résumé, Thaksin est un richissime magnat des télécoms qui a tenté de transférer le pouvoir d’une élite urbaine à la majorité rurale. Sa soeur, Yingluck Shinawatra a même été plus loin encore en instaurant un salaire minimum de 300 bahts par jour (7 euros environ) et en rachetant le riz à 40% au-dessus du prix du marché.
A l’arrivée au pouvoir de Thaksin, la Thaïlande est entrée dans un nouveau cycle politique. Plus nombreuse, la majorité rurale permet l’élection d’un gouvernement qui favorise les pauvres, comme en 2001 et 2005 avec Thaksin et plus tard, en 2011, avec sa sœur, Yingluck. Pour contrer cette nouvelle vague politique, la minorité urbaine, l’élite soutenue par l’armée, use de son influence et de son pouvoir institutionnel pour destituer le gouvernement. Résultat : deux coups d’État militaires en 2006 puis en 2014.

6. « Chemises jaunes » contre « chemises rouges » : l’armée garante de l’ordre

Quand les militaires déploient leurs chars dans les rues de Bangkok en mai 2014 et déclarent la loi martiale, ils affirment vouloir « restaurer la paix et l’ordre public ». En effet, depuis plusieurs mois, les « chemises jaunes », militants conservateurs ultraroyalistes représentant l’élite, et les « chemises rouges », partisans de la famille des Shinawatra, s’opposent dans des conflits souvent violents.
Les premiers réclament ce qu’ils n’ont pas pu obtenir lors des élections : le départ de Yingluck Shinawatra élue Premier ministre. Conscients de leur infériorité numérique, ils demandent la création d’un « conseil du peuple », qui remplacerait le gouvernement. Les seconds exigent le respect du fonctionnement démocratique des institutions.
Au printemps 2010, les « chemises rouges » prennent d’assaut les rues de Bangkok pendant deux mois. Sur ordre du gouvernement, l’armée intervient faisant 90 morts et 190 blessés. À l’automne 2013, le conflit reprend de plus belle. Des milliers de manifestants des deux camps descendent dans la rue pendant six mois et réclament la fin du « système Thaksin ». Les manifestations se terminent régulièrement en bain de sang. La Thaïlande semble alors au bord de la guerre civile. L’armée justifie ainsi son coup d’État comme une façon de restaurer l’ordre dans le pays. Immédiatement, elle interdit les rassemblements de plus de cinq personnes.

7. Le putsch de 2014 : préparer la succession du roi Bhumibol

En 2006, le coup d’État visait à destituer Thaksin Shinawatra. En 2014, il entraîne la destitution de Yingluck. Dans les deux cas, les militaires se posent comme garants de l’ordre, au-dessus d’une société bipolarisée. Il existe cependant une différence majeure entre les deux coups d’État. En 2006, les militaires avaient agi avec le consentement du roi par le biais de Prem Tinsulanonda, chef du Conseil privé de Bhumibol. Inversement, en mai 2014, l’armée aurait agi sans l’aval du monarque. Le roi alors âgé de 86 ans, et la reine âgée de 82 ans, étaient tous les deux gravement malades et n’avaient fait aucune déclaration publique depuis plus de deux ans.
Les militaires voient sans nul doute la disparition du monarque se rapprocher et souhaitent préparer sa succession. L’héritier du roi, le prince Maha Vajiralongkorn, est particulièrement impopulaire auprès des Thaïlandais et les proches de la monarchie le considèrent comme un allié de la famille Shinawatra. Or ils veulent à tout prix éviter son retour. Les militaires se retrouvent confrontés à un dilemme : comment soutenir une monarchie quand on refuse son monarque ?
Les militaires ont aussi un autre objectif, celui de revenir à un État faible où l’armée et les élites pourraient officieusement exercer le pouvoir. Quelques jours avant le coup d’État, leur but est déjà presque atteint car Yingluck Shinawatra et huit ministres sont limogés par la Cour constitutionnelle, une procédure visant à les destituer et à les rendre inéligibles. Les manifestations entre les « chemises rouges » et les « chemises jaunes » sont par ailleurs quasi enrayées. Une seule chose manque : une réforme constitutionnelle qui permettrait de nommer et non plus d’élire une partie des membres du Parlement et du gouvernement. Étant donné que le gouvernement renversé des Shinawatra bénéficie du soutien populaire, cette réforme permettrait de changer les règles du jeu.

8. Un cycle « coup d’État, constitution, élections »

Le 7 août 2016, la Thaïlande approuve par référendum une nouvelle Constitution. Il s’agit de la vingtième proposée depuis 1932. Environ 50% des 50 millions d’électeurs se déplacent aux urnes pour ce référendum vivement critiqué. Il est en effet interdit aux opposants politiques de faire campagne contre. La nouvelle Constitution est finalement votée avec une large majorité. Le texte précise que la junte sera toujours en place au moment des élections générales, annoncées pour 2017. Pendant cinq ans, les membres du Sénat seront nommés par la junte, hormis six sièges réservés aux chefs des armées. L’Assemblée et le Sénat pourront quant à eux désigner un Premier ministre non élu, le choix d’un militaire n’étant pas exclu. À cela, s’ajoutent des dispositions assez vagues permettant à la Cour constitutionnelle de facilement renverser un gouvernement. Dix ans auparavant, un processus similaire s’était déroulé. Le 19 août 2007, quelques mois après le coup d’État de 2006, le pays avait voté en faveur d’une Constitution aux textes à la limite du compréhensible pour le citoyen lambda qui mettait le Sénat au centre de la vie politique.
En analysant le vote, Eugénie Mérieau remarque cependant que le « non » l’a emporté dans le nord du pays et le « oui » à Bangkok et dans le Sud. On retrouve ainsi ce clivage entre monde urbain et monde rural. « En 2007 comme en 2016, dans les six provinces du Sud, la Constitution militaire a été très largement approuvée (entre 80% et 90 %), alors que dans le Nord et le Nord-Est, le rejet pouvait atteindre 75 % en 2007, 60 % en 2016. Bangkok est, quant à elle, en faveur de l’armée : la Constitution y a été approuvée à plus de 60 %, en 2007 comme en 2016 ! » explique la chercheuse dans le Monde.
Selon certains experts, il s’agit pour la junte d’empêcher durablement le retour au pouvoir de l’opposition, incarnée par l’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra et sa sœur Yingluck, dont les gouvernements avaient été balayés par les coups d’État de 2006 et 2014. Car malgré les coups d’État successifs, les Shinawatra sont toujours revenus au pouvoir sitôt des élections organisées.
Une question demeure : comment expliquer que les Thaïlandais aient voté pour une Constitution allant à l’encontre de leurs droits politiques ? D’abord, la campagne pour le référendum s’est déroulée dans un climat de peur. Plusieurs opposants ont été intimidés ou arrêtés et l’armée n’a pas hésité pas à évoquer la possibilité d’une Constitution « encore pire » en cas de victoire du non. D’autre part, accepter cette nouvelle Constitution laissait entrevoir l’espoir de la tenue prochaine d’élections.

9. Des élections sans cesse repoussées

Après le coup d’État de 2014, les militaires promettent de rendre le pouvoir dans les dix-huit mois. Cela fait maintenant trois ans qu’ils jouent les prolongations. En acceptant la Constitution en août 2016, les Thaïlandais espèrent voir enfin la tenue d’élections. Le processus électoral est en effet d’abord lié à la réécriture de la Constitution et il fallut presque vingt mois pour voir les militaires parvenir à un accord. Le texte adopté et voté, la junte militaire promet des élections pour juillet 2017.
La mort du roi de Thaïlande en octobre 2016 change encore la donne. « Le gouvernement s’en tient fermement à la feuille de route pour la prochaine élection générale, et l’administration du pays n’opère pas dans un vide de pouvoir », annonce le porte-parole du gouvernement Sansern Kaewkamnerd juste après l’annonce du décès du roi. C’est sans compter une surprise que leur réserve le prince héritier Maha Vajiralongkorn. Début 2017, ce dernier exige une modification de certaines parties du texte de la Constitution concernant la monarchie. Il valide finalement le texte en avril dernier. Alors que l’année 2017 se termine, aucune date n’est encore fixée pour les prochaines élections.
Quand bien même ces élections auraient lieu, les adversaires de la junte dénoncent un scrutin inutile, qui déboucherait sur une démocratie au rabais. Le nouveau texte de la Constitution vide en effet les élections de leur sens puisque le gouvernement pourra être entièrement composé de militaires nommés et non plus élus.

10. Quelles conséquences la mort du roi de Thaïlande a-t-elle pour l’armée ?

Les conséquences politiques de la mort du roi Bhuminol Adulyadej sont encore difficiles à analyser. Ce qui est sûr, c’est que durant des décennies, il a été le ciment d’un pays où les inégalités sociales étaient systématiquement exacerbées. Le roi était un lien entre tous les Thaïlandais, quelle que soit leur classe sociale. Et ce vide sera difficile à combler pour le prince héritier Vajiralongkorn.
Durant les premières années de son règne, ses interventions en période de crise avaient conféré au roi Bhumibol un statut de quasi-divinité. En octobre 1973, il avait accueilli les étudiants pourchassés par les militaires dans les jardins du Palais Royal. C’est d’ailleurs lui qui avait exigé l’exil du dictateur Thanom Kittikachorn, affirmant ainsi son rôle d’arbitre suprême. Dans ses dernières années, il tente de rester neutre dans le conflit opposant « chemises rouges » et « chemises jaunes », même s’il ne cache pas son désamour pour Thaksin. Si l’armée exploite son image pour affaiblir l’ancien Premier ministre, le roi reste le plus souvent muet, d’autant plus qu’à cause de sa santé déclinante, ses apparitions se font de plus en plus rares.
« Les Thaïlandais ne sont pas monarchistes, ils sont bhumibolistes », résume David Camroux. « Rama IX était considéré comme le père du peuple, celui qui était prêt à tout sacrifier pour son pays, précise le chercheur. Le prince héritier, Maha Vajiralongkorn, a une réputation totalement opposée. C’est le playboy qui s’est marié trois fois, a eu des maîtresses et passe tout son temps en Allemagne. En bref, on ne pouvait pas imaginer meilleur contre-pied à l’homme que les Thaïlandais adorent plus que tout. » Après la mort de leur souverain, les Thaïlandais se sont donc retrouvés face à une véritable crise identitaire. Sans ciment dans une société profondément divisée, les tensions politiques ne risquent-elles pas de s’aggraver ? Pour le moment, la junte semble utiliser cette interrogation pour se maintenir au pouvoir et garantir l’ordre. « Depuis le départ, Prayuth Chan-ocha cherche à repousser ces élections. La mort du roi Bhumibol est certainement le meilleur des prétextes », conclut David Camroux.

Chronologie

Par Cyrielle Cabot

Pour aller plus loin

Nicholas Farelly, « Why democracy struggles: Thailand’s elite coup culture », in Australian Journal of International Affairs, 2013, Vol. 67, No. 3, pp. 281-296.

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A propos de l'auteur
Jeune journaliste diplômée de l’école du CELSA (Paris-Sorbonne), Cyrielle Cabot est passionnée par l’Asie du Sud-Est, en particulier la Thaïlande, la Birmanie et les questions de société. Elle est passée par l’Agence-France Presse à Bangkok, Libération et Le Monde.