Economie
Expert - Chine, l'empire numérique

Que penser de la fringale chinoise d’investissements à l’étranger ?

Le constructeur automobile chinois Great Wall a annoncé lundi 21 août 2017 son intention d'acheter la marque américaine Jeep à Fiat Chrysler. (Crédits : AFP PHOTO / PHILIPPE LOPEZ)
Le constructeur automobile chinois Great Wall a annoncé lundi 21 août 2017 son intention d'acheter la marque américaine Jeep à Fiat Chrysler. (Crédits : AFP PHOTO / PHILIPPE LOPEZ)
Rien ne semble pouvoir tarir la fringale d’investissements à l’étranger des entreprises chinoises. Celles-ci ne se limitent plus aux ressources naturelles dans les pays en voie de développement mais visent désormais l’industrie manufacturière, les services ou encore la finance en Europe et aux États-Unis. Depuis 2015, la Chine est un exportateur net de capital. Elle est désormais le deuxième investisseur mondial, derrière l’Amérique. Cette course aux actifs étrangers tient en grande partie à la nécessité de s’extraire de la pesanteur de marges bénéficiaires de plus en plus réduites, sur un marché intérieur en phase de décélération.

L’internationalisation des « champions nationaux »

La liste des récentes acquisitions chinoises paraît sans fin : le fabricant allemand de robots Kuka, le géant suisse des pesticides Syngenta, l’éditeur finlandais de jeux vidéo Supercell, l’activité électroménager de l’Américain General Electric, les studios hollywoodiens Legendary ou encore le club de foot italien de l’Inter Milan… Même si les visées géopolitiques ne sont jamais loin, cette vague d’investissements témoigne plutôt d’une maturité croissante des champions nationaux, désormais capables de se projeter sur la scène globale. Elle s’inscrit soit dans une stratégie de transferts technologiques (Kuka), soit dans la volonté de développer des positions de monopole (Syngenta, Pirelli). Quant aux investissements en infrastructures et matières premières, ils complètent l’ancrage dans la mondialisation en renforçant la logistique exportatrice.
Le blocage du projet d’acquisition de l’Allemand Aixtron, dans le domaine des semi-conducteurs, est toutefois là pour rappeler que les transferts technologiques ne sauraient être neutres. D’autant plus que les investisseurs étrangers en Chine sont quant à eux pénalisés par les barrières à l’entrée dans les secteurs sensibles.

La première banque allemande sous pavillon chinois

La prise de participation en mai 2017 du groupe HNA (Hainan Airlines, immobilier et tourisme) dans le capital de la Deutsche Bank est le dernier signal en date de cette fièvre expansionniste. Avec 10% du capital, le conglomérat chinois est désormais le premier actionnaire de la principale banque allemande. L’investissement de HNA intervient alors que la Deutsche Bank traverse une zone de turbulences, après de lourdes sanctions financières infligées par le régulateur américain pour sa participation active dans la crise des subprimes. Pris d’une fière spéculative, la banque a en effet largement contribué à la crise de 2008 en conditionnant et faisant circuler sur les marchés financiers des produits qu’elle savait hautement toxiques (constitués de crédits immobiliers hypothécaires souscrits par des emprunteurs insolvables).
Flairant une proie facile et à bas prix, HNA est monté au capital devant un fond d’investissement qatari. Le pari du géant chinois est le suivant : l’Europe ne laissera jamais chuter ce colosse aux pieds d’argile, au risque d’un effet domino qui ferait plonger le monde dans une nouvelle crise financière. Avec un bilan de 1 600 milliards d’euros, soit l’équivalent de la moitié du PIB de l’Allemagne, cette institution présente en effet un caractère systémique.
La récente acquisition de la banque danoise Saxo par le constructeur automobile Geely n’a pas la même envergure, mais elle reste tout aussi remarquable. En montant à hauteur de 30% du capital, le constructeur chinois, déjà propriétaire de Volvo, prend le contrôle d’une institution financière valorisée à plus de 1,3 milliard d’euros et détenant plus de 570 millions d’euros d’actifs.

Le régulateur chinois inquiet d’une possible fuite des capitaux

Auparavant encouragés dans le cadre d’une politique d’internationalisation (« Going Global Policy »), les investissements réalisés hors des frontières sont désormais plus fortement contrôlés. Le régulateur cherche notamment à contenir une potentielle fuite des capitaux, susceptible d’entamer les réserves de change et de déstabiliser le yuan. Pékin craint également plus que tout un risque bancaire systémique lié à l’accumulation de créances douteuses.
Sont particulièrement ciblés les « méga-acquisitions » (plus de 10 milliards de dollars), les investissements immobiliers, les acquisitions non corrélées avec le cœur de métier, ou encore les investissements disproportionnés au regard du capital propre de la société chinoise émettrice. Les acquisitions potentiellement irrationnelles dans l’immobilier, l’hôtellerie, l’industrie cinématographique ou les clubs sportifs font dès lors l’objet d’une attention toute particulière.
Plusieurs conglomérats sont dans le collimateur du fait de leur frénésie d’achats. C’est le cas de HNA qui outre la Deutsche Bank, a pris des parts dans le groupe hôtelier Hilton, dans les services aéroportuaires (aéroport de Rio et Gategroup), le leasing d’avions et l’électronique (Ingram Micro). Sont également visés Wanda et ses studios hollywoodiens, Fosun qui possède le Club Med, ainsi que l’assureur AnBang et ses palaces.
Cette reprise en main vire parfois au roman policier avec plusieurs grandes figures du secteur de la finance et de l’assurance récemment sous le coup d’enquêtes pour corruption ou pour non-respect de la réglementation (voir notre article). On apprenait ainsi récemment la démission du fondateur d’AnBang, sans que les raisons officielles de son retrait ne soient communiquées. Milliardaire hors norme, il a réussi à bâtir la troisième plus grande compagnie d’assurance du pays, avec un actif total de 267 milliards d’euros. Ce mastodonte financier a connu une croissance fulgurante depuis sa fondation en 2004 dans le domaine de l’assurance automobile, avec un capital social de 500 millions de yuans.
Si cette reprise en main traduit une volonté d’assainissement, il serait pour autant faux de systématiser une impression d’opacité et d’agressivité. Plus qu’un risque, cette course à l’internationalisation est à n’en pas douter une opportunité pour des partenariats innovants. La récente levée de 287 millions d’euros par le fonds d’investissement Cathay Innovation en est la meilleure illustration. Des entrepreneurs chinois, comme le fondateur de la plateforme e-commerce JD.com, et des entreprises françaises comme Valeo, ADP, Michelin et Total y participent activement. Le fonds bénéficie également du soutien de la China Development Bank, le bras financier de l’État chinois, et de Bpifrance. L’objectif est d’investir et d’accompagner la croissance des jeunes pousses innovantes, en France et en Chine. Le champ d’intervention couvre notamment le domaine de la voiture autonome, des Fintech ou encore de l’intelligence artificielle.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Directeur marketing basé à Pékin, spécialiste du management de l’innovation, Bertrand Hartemann se passionne pour les nouveaux modèles économiques induits par la disruption numérique. Diplômé de la Sorbonne et du CNAM en droit, finances et économie, il a plus de dix ans d’expérience professionnelle partagée entre la France et la Chine.