Economie

Nouvelles routes de la Soie : les antécédents au projet de la Chine

Le président chinois Xi jinxing entouré du président russe Vladimir Poutine et de son homologue turc Recep Tayyip Erdogan, avec derrière eux, l'ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, lors du sommet international "One Belt One Road" à Pékin le 14 mai 2017. (Crédits : Sergey Guneev/POOL/Sputnik/via AFP)
Le président chinois Xi jinxing entouré du président russe Vladimir Poutine et de son homologue turc Recep Tayyip Erdogan, avec derrière eux, l'ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, lors du sommet international "One Belt One Road" à Pékin le 14 mai 2017. (Crédits : Sergey Guneev/POOL/Sputnik/via AFP)
Une vingtaine de chefs d’État était réunis les 14 et 15 mai à Pékin pour participer au forum sur la « Ceinture économique de la Route de la Soie » et la « Route de la Soie maritime du XXI° siècle » : le programme « One Belt, One road » (OBOR). Ce forum, la plus grande manifestation internationale organisée par Xi Jinping, s’est déroulé cinq mois avant du 19e Congrès du Parti communiste chinois qui décidera du renouvellement de son mandat et pourrait annoncer un troisième mandat.
L’OBOR envisage la construction de corridors terrestres qui rejoindront l’Europe à travers l’Eurasie ou via l’Asie du Sud-Est et des routes maritimes. Il ne se présente pas comme un programme rassemblant des projets bien identifiés et plus comme un « label » accroché à des projets dans soixante-cinq pays, qui tout en privilégiant les infrastructures s’élargit à d’autres secteurs. Parmi ces projets, une route reliant le Xinjiang à l’ouest de la Chine au port de Gwadar au Pakistan, une ligne de TGV entre Moscou et Kazan, un chemin de fer de Kunming à Singapour, le port sec de Khorgos à la frontière de la Chine et du Kazakhstan, ou encore le pipeline entre le port de Kyaukphyu en Birmanie et Kumming. Alors qu’il a donné lieu à des réalisations en Chine, ce programme a peu progressé dans les pays voisins qui, intéressés par la manne chinoise, s’interrogent sur les ambitions de l’Empire du Milieu.
L’OBOR répond à des objectifs économiques (élargir les débouchés des entreprises chinoises affectées par la baisse de l’investissement, dynamiser les provinces de l’Ouest, donner une impulsion au commerce mondial), financiers (recycler les réserves, promouvoir l’utilisation du yuan) et géoéconomiques (sécuriser un approvisionnement en gaz et pétrole, éviter le passage par le détroit de Malacca). Présenté par Xi Jinping en 2013 au Kazakhstan puis en Asie du Sud-Est et incorporé dans le 13e plan quinquennal, l’OBOR se veut une alternative chinoise à la mondialisation « par les règles », proposée par les Américains dans le Partenariat transpacifique (TPP) et abandonnée par Donald Trump.
Tout en se référant aux routes de la Soie empruntées pendant la Pax Mongolia au XIIème siècle, l’OBOR a d’autres antécédents et emprunte une dimension à chacun d’entre eux.

Il y a 70 ans, le plan Marshall

Le 7 juin 1947, à Harvard, George Marshall, le secrétaire d’État du président Truman – il avait été le chef d’État-major américain pendant la guerre – annonçait son plan pour l’Europe : Les pays européens n’ayant pas les moyens financiers d’acquérir les biens essentiels dont ils avaient besoin, l’Amérique se proposait de les aider pour restaurer leur confiance dans leur avenir. Ce plan répondait à des préoccupations analogues à l’OBOR, économiques (faire face à la première récession d’après-guerre), financières (renforcer l’utilisation du dollar) et géostratégiques : il a été rédigé par Georges Kennan, auteur du « long télégramme » envoyé depuis Moscou en mai 1946, qui a inauguré la guerre froide et la politique de « containment » de l’URSS.
Le Plan Marshall et l’OBOR sont tous deux ambitieux. Le plan américain a dépensé 13 milliards de dollars courants, 5 % du PIB des États-Unis, sur trois ans dans une demi-douzaine de pays européens. L’OBOR annonce près de 1000 milliards de dollars, soit 10 % du PIB chinois de 2017 – et 6 % du PIB américain d’aujourd’hui distribués sur une soixantaine de pays. Ces deux plans diffèrent dans la structure de leurs dépenses. Alors que l’on associe le plan Marshall à la reconstruction européenne, un tiers des dons et crédits a financé des investissements et les deux tiers la production, alors que l’OBOR finance des infrastructures.
Appréciée à l’aune du PIB des pays bénéficiaires, la manne distribuée par les États-Unis a été modeste et a représenté 2,5 % de leurs PNB entre 1947 et 1950. Qu’en sera-t-il de l’OBOR ? Ses financements seront dirigés vers des pays plus pauvres et moins diversifiés que les pays européens de l’après-guerre. Il est trop tôt pour mesurer son poids, toutefois le montant des quelques projets identifiés est très élevé : le chemin de fer traversant le Laos représente la moitié du PIB de ce petit pays et les travaux d’infrastructures prévus pour le Pakistan représentent un cinquième du PIB pakistanais.

Les réparations japonaises

Le traité de paix du Japon signé à San Francisco en 1951 prévoyait des réparations aux pays asiatiques ayant souffert de l’occupation japonaise, et le Japon a offert 1,5 milliard de dollars à cinq pays en une dizaine d’années. Si l’OBOR n’a pas le même objectif, la mise en œuvre des projets chinois rappelle celle des projets de réparations. Signé avec la Birmanie en 1954, le premier accord n’est pas présenté comme la réparation d’une faute mais une participation au développement. Il a financé la construction du barrage de Balu Chuang identifié l’année précédente par le président d’une entreprise japonaise et soumis par les Birmans au gouvernement japonais. Ce dernier n’a procédé à aucun appel d’offres et la réalisation de ce projet a été confiée à l’entreprise qui l’a identifiée. L’accord avec la Birmanie a servi de référence à tous les autres négociés par les gouvernements et le patronat japonais. Les projets repérés par des entreprises japonaises et acceptés par les gouvernements asiatiques étaient assurés d’un financement du gouvernement de Tokyo, qui a privilégié ceux inscrits dans les cibles industrielles du MITI, le ministère nippon de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie. Ces modalités sont assez proches de celles suivies dans le cadre de l’OBOR qui finance des projets proposés par les États et les entreprises publiques chinoises.

La sphère de coprospérité

La « sphère de coprospérité de la Grande Asie Orientale » voulue par le Japon impérial figure dans la généalogie de l’OBOR. D’une part, elle est la première tentative d’intégration asiatique et d’autre part, elle partage avec le projet chinois le flou entourant sa définition. Annoncée en 1938, elle a été définie en 1941 et des commentateurs évoquaient le furoshiki, à l’instar de ce tissu utilisé pour transporter vêtements ou cadeaux, elle pouvait s’étendre depuis l’Asie de l’Est, l’Indochine, la Thaïlande, Bornéo, les Indes néerlandaises, jusqu’à l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Inde voir l’Extrême-Orient russe. Les Japonais souhaitaient construire un ensemble autonome centré sur le Japon alors que l’OBOR se présente comme un ensemble ouvert. À l’époque, des universitaires nippons ont fait remarquer que le marché japonais ne pouvant pas être une alternative aux marchés européens pour l’Asie, la Sphère de coprospérité deviendrait une sphère de copauvreté.
Ce n’est pas ce qui menace l’OBOR. Néanmoins, plusieurs projets de ce programme ambitieux pourraient se solder par des pertes retentissantes.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).