Jean-Baptiste Phou et "la douceur violente du paradoxe khmer"
« L’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme » affirmait André Malraux, Jean-Baptiste Phou en a fait une philosophie de vie. Il retranscrit son questionnement pour mieux comprendre et expliquer aux autres les problèmes liés à l’identité, à l’intégration et à l’exil. Du théâtre, au cinéma en passant par la danse, le chant et l’écriture, faire un choix est exclu pour ce sino-khmer. Au contraire, il a fait le choix de se donner corps et âme.
Et ces éléments se retrouve dans sa pièce de théâtre « Cambodge, me voici » projetée à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (Inalco) à l’occasion du nouvel an Theravada.
Rencontre avec un artiste engagé et engageant.
Entretien
Né en 1981 à Paris, de parents sino-cambodgiens, Jean-Baptiste Phou n’avait pas de vocation artistique. A 17 ans, il sort même du circuit scolaire, se considérant comme un mauvais élève. Il enchaîne alors les « emplois peu qualifiés » pour reprendre ses propos, avant de décrocher – en major de sa promotion – en 2003 un DUT de technique en commercialisation. Le « cancre » termine ses études en 2006 avec un master en poche lui permettant de travailler à l’international.
Dès lors, il travaille entre Barcelone et Londres pour La Société Générale avant de s’envoler à Singapour pour BNP Paribas l’année suivante.
C’est en 2008 à Singapour que se produit le turn-over, lorsque la proximité de l’Asie « réveille » quelque chose en lui. Il tourne alors le dos à la finance, dit au revoir au monde austère des banques d’investissement pour se jeter passionnément dans l’Art. Le coup de foudre est total. Il s’implique d’abord dans le théâtre, comme comédien dans un premier temps, puis comme auteur et metteur en scène. Il est aussi chanteur.
Sa dernière pièce l’Anarchiste reçoit même de nombreuses critiques positives [Elle sera d’ailleurs de nouveau projetée à la Galerie-Librairie Impressions (17, rue Meslay, 75 003 Paris) le 20 Mai à 17h, NDLR].
Mais sa pièce maîtresse reste à ce jour « Cambodge, me voici, l’histoire de 4 femmes khmères qui se rencontrent dans la salle d’attente de l’ambassade du Cambodge à Paris et qui échangent leurs expériences.
Être né en France mais de parents chinois du Cambodge, c’est plein d’épaisseur, plein de choses qui s’entremêlent. Je n’ai pas toujours eu une relation apaisée, avec parfois de la colère, de l’incompréhension, des choses assez vives. J’en ai fait des objets artistiques. Aujourd’hui, j’ai trouvé un certain équilibre du fait de mon cheminement personnel après avoir découvert ce pays, y avoir passé du temps et découvert son histoire et sa culture.
Sauf que ces questions resurgissent, avec toujours le fait de se cogner aux mêmes choses. Ainsi, même si moi je peux évoluer sur ces points, pour l’environnement autour ce n’est pas toujours le cas. Pourtant, je pense aujourd’hui avoir un peu fait la paix avec ces questions. C’est à dire que je ne cherche plus. C’est déjà un grand pas. Je ne cherche plus la reconnaissance : les autres peuvent me voir comme ils me voient, ça les regardent, ça les concernent eux. Alors qu’avant, je m’énervais, j’essayais de changer leurs regards, j’essayais de les convaincre, de me justifier etc…
Maintenant non, je me considère personnellement 100 % cambodgien, 100 % chinois et 100 % français. Pour moi il n’y a pas de conflit. C’est à dire que je peux très bien additionner ces différentes identités sans en exclure une ; sans en mettre une en avant plus qu’une autre. C’est vrai que cela peut parfois déranger. Ainsi, certains me disent : « oui, mais tu n’es pas ceci, ou un tu n’es pas un vrai cela ». Je ne sais pas ce que les gens mettent dans le terme « pur ». Je ne cherche plus à les convaincre. Je me sens bien avec mes différentes identités. Mais j’espère aussi, et c’est paradoxal, pouvoir adresser ça au post-identitaire ; c’est à dire qu’à un moment, y compris pour les autres mais surtout pour moi-même, ne plus être défini que par ces différentes composantes de moi-même.
En fait non.
Je suis arrivé dans un pays qui avait ses beautés comme ses atrocités. C’était intéressant. Je m’étais fait toute une montagne sur ce qui allait se passer et finalement il ne s’est pas passé grand chose de plus. De ce premier voyage que j’ai fait en touriste (j’avais 3 semaines de vacances), l’envie est née d’y retourner. J’y suis allé une vingtaine de fois au final depuis.
Moi, c’est pas mon cas. J’aime ce pays, je l’aime profondément mais je l’aime avec un amour exigeant. C’est à dire que je suis capable de lui reconnaître ce qui, à la fois, fait sa beauté mais aussi ses défauts, ses contradictions. Cette posture m’a valu des critiques, à la suite de ma pièce de théâtre « Cambodge, me voici » notamment.
Oui, j’ai une vision qui est parfois assez dure avec le pays aujourd’hui, les relations sociales existantes. Certains me le reproche en disant : « oui mais tu critiques beaucoup le pays alors qu’il se remet de ses traumatismes ». Mais, je pense que c’est aussi se regarder en face, c’est ce que j’essaye de faire en tout cas.
La lecture de ce texte m’a tellement marquée que j’ai tout de suite eu envie de l’adapter à la scène car le théâtre, c’est avant tout l’art de l’incarnation des mots !
C’est ce que j’ai voulu montrer, à travers ces 4 femmes, d’âge, de génération et de vécu différents. Entre celle qui est né en France et qui ne connaît rien au pays ; celle qui arrive du Cambodge et qui ne connaît rien à la France ; celle qui a survécu au génocide cambodgien et qui a tout son passé traumatique avec le pays et qui réussi à trouver un équilibre en faisant des allers-retours fréquents et enfin, la plus âgée, qui a quitté le pays jeune et qui a toujours refusé d’y remettre le pied, jusqu’à ce moment où presque 40 ans plus tard elle décide d’y retourner.
Au final, le public était très présent, très réactif. Pour autant, il m’est difficile de dire comment ils ont réagit. Chacun a une grille différente de lecture.
La première grande vague d’immigration est arrivée dans les années 1970-1980, c’est celle des indochinois. Bien sûr, il y a eu des chinois qui étaient déjà là et qui ont participé à l’effort de guerre, mais la plupart sont repartis et ceux qui sont restés sont très minoritaires.
Puis, les migrants économiques sont arrivés dans les années 1990, c’est à dire que pour ces personnes-là qui sont arrivés dans une logique de survie, leur priorité ce n’était pas d’aller manifester dans la rue, d’aller faire du théâtre ou de s’exprimer à la télévision.
Maintenant, nous, leurs enfants, nous avons une autre vision de la société et nous vivons pleinement notre citoyenneté. Ainsi, je considère que si il y a des choses qui nous touche, et sur lesquelles on a envie d’exprimer l’incompréhension ou la colère, alors il faut le faire.
A cette occasion, Médiapart m’avait demandé de m’exprimer et j’ai été un peu déçu de voir la façon dont mes propos ont été repris, notamment car on les sortaient du contexte.
Ainsi, derrière moi il y avait des gens qui hurlait « Assassin », « Bavure policière » etc.. et lorsque l’on me demande ce que j’en pense, je réponds de façon un peu précipitée qu’il y a une affaire qui est en cours. Qu’il y a une colère, qui est légitime, mais de là a hurler « Assassin » et appeler à la violence, non ! Or, en lisant le papier, j’ai eu l’impression que je disais : « il ne faut pas toucher [à la police, NDLR] » et ce n’était pas du tout mon propos.
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