Société
Reportage

Après la mort de Liu Shaoyo, choses vues et entendues place de la République

Le rassemblement contre les violences policières et pour la justice pour Liu Shoayo, place de la République à Paris le 30 mars 2017. (Copyright : Sarah Suong Mazelier)
Le rassemblement contre les violences policières et pour la justice pour Liu Shoayo, place de la République à Paris le 30 mars 2017. (Copyright : Sarah Suong Mazelier)
Quelques centaines de personnes se sont rassemblées place de la République ce jeudi 30 mars. Pas question de répéter les soirées d’affrontement avec les forces de l’ordre devant le commissariat du 19ème arrondissement, au lendemain de la mort de Liu Shaoyo, tué par un policier chez lui dans des circonstances encore à déterminer. C’est dans le calme que les membres de la communauté chinoise ont voulu débattre avec des associations militant contre les violences policières en général. Reportage sur place.
« La police est cruelle ! Pourquoi attaquer avec une arme à feu ? Ils ont des bâtons, ils pouvaient juste le frapper pour qu’il ne bouge plus, non ?! » Ce jeudi 30 mars à 19h, Meng, 40 ans, a retrouvé quelques amis place de la République. Toujours choqués de la mort de Liu Shaoyo dimanche 26 mars, ils ont répondu à l’appel de #QuoiMaGueule, un collectif en lutte contre les violences policières. Rien à voir avec la mobilisation massive sur la même place le 4 septembre 2016 après l’agression mortelle de Zhang Chaolin. Pas plus de 300 personnes entourent la statue de la République. Le reste de la place est occupé à d’autres combats dont le « comité national de la résistance » de Nuit debout. La police est au rendez-vous, elle aussi, avec plus de 20 cars de CRS garés autour de la place. Sirènes hurlantes, ils se postent aux abords des grands axes, protégeant les entrées des commerces à proximité. Un groupe de CRS traverse la place au pas de charge, sans aucune violence.

19H45, Léo Takeuchi d’Asia 2.0 installe un ampli au pied de la statue, avec l’aide de Rislane de #QuoiMaGueule et Baki Youssoufou du site de pétitions en ligne WeSignIt. Micro à la main, ils commencent en douceur : « Je vous en prie, restons courtois, évitons les problèmes », appelle Léo. Allusion directe aux affrontements violents des soirs précédents entre manifestants et policiers devant le commissariat du 19ème arrondissement. Le mot d’ordre est lancé : le débat ne doit pas se réduire à la communauté asiatique. Il s’agit de trouver des solutions ou simplement d’exprimer une « colère en douceur ». Baki Youssoufou rappelle le lancement de la pétition « Justice pour Shaoyo Liu » dont l’objectif initialement prévu à 20 000 signatures est passé à 50 000.

Les participants chinois au rassemblement place de la République jeudi 30 mars veulent partager ce qu'ils entendent et ce qu'ils voient avec leurs familles à Pékin. (Copyright : Sarah Suong Mazelier)
Les participants chinois au rassemblement place de la République jeudi 30 mars veulent partager ce qu'ils entendent et ce qu'ils voient avec leurs familles à Pékin. (Copyright : Sarah Suong Mazelier)

Le micro passe de main en main. Entre colère, incompréhension, soif de justice et appel à l’apaisement, toute forme de violence physique est exclue. Min, un Chinois trentenaire en costard-cravate, se plaint du racisme anti-asiatique. Il s’estime « un étranger ici » en France, même s’il a obtenu son diplôme et travaille à Paris. Il évoque les remarques acerbes dont il a pu être victime : « en Chine, vous n’avez pas de droits de l’homme, donc pourquoi vous les réclamer ici ? » Un autre Chinois prend la parole : « Les violences policières, on les subit tous, d’Adama Traoré à Théo et Liu. »

Pour Rislane de #QuoiMaGueule, « cette violence est maintenant institutionnalisée avec ce nouveau droit de tuer. Aujourd’hui, on se sent menacé au quotidien par la police si on est militant. » La jeune femme reprend son slogan, devenu viral sur Internet : « Ce chinois, il avait un prénom : il s’appelait Liu Shaoyo ! » Elle est connue pour ses prises de paroles virulentes. Baki Youssoufou de WeSignIt dénonce sur le même mode les violences policières : « A partir du moment où on n’est pas blanc, on en est victime. » Le ton monte. Han, un jeune homme d’affaire chinois, alterne entre mandarin et français : « Il faut qu’on se serre les coudes ! Peu importe la couleur de peau, on doit avoir les mêmes droits. » Soudain, un homme habillé en tenue traditionnelle chinoise fend solennellement la foule : il tient dans le creux de ses mains des bougies qu’il dépose délicatement au sol. Le silence se fait. On n’entend plus que le bruit des appareils photos. le débat retombe momentanément.

Entre incompréhension et colère, les anonymes prennent le micro pour débattre place de la République le 30 mars à Paris. (Copyright : Sarah Suong Mazelier)
Entre incompréhension et colère, les anonymes prennent le micro pour débattre place de la République le 30 mars à Paris. (Copyright : Sarah Suong Mazelier)

« Pourquoi ce pays que j’aime tant blesse-t-il nos compatriotes ? demande timidement une étudiante chinoise. La police ne nous protège pas, elle essaye d’ignorer cette affaire sans nous donner d’explication. Je ne suis pas ici pour juger, mais j’aimerais savoir la vérité. » Les témoignages se succèdent à nouveau. Mais bien vite, l’ampli du micro lâche et les militants ont juste le temps d’annoncer le prochain rassemblement : rendez-vous jeudi 6 avril. Le lieu sera dévoilé plus tard. Une certitude : les organisateurs éviteront les quartiers emblématiques de la communauté chinoise.

La place de la République se vide petit à petit. Quelques grappes de Chinois s’attardent jusqu’à 22h pour refaire le débat. Certains se disent « perplexes sur l’avenir ». Li tient à mettre les choses au clair : les manifestations de colère suite à la mort de Liu Shaoyo ne sont pas organisées par la mafia chinoise ni par Pékin pour d’obscures raisons politiques. « Je suis venu de mon plein gré parce que cette affaire me révolte. Personne ne m’a forcé à venir. J’ai connu Liu Shaoyo : il buvait très peu, cette histoire de légitime défense est trop grosse pour être vraie ! » Comme Li, ils sont quelques-uns à ne pouvoir quitter la place : « J’ai l’impression d’abandonner la lutte si je m’en vais », murmure Cheng, 70 ans, le regard perdu au loin, les mains crispées sur sa canne en bambou.

Par Sarah Suong Mazelier

Contexte

Coïncidence, ce mercredi 29 mars, trois jours après la mort de Liu Shaoyo à Paris, un Français était agressé à l’arme blanche à Shanghai. L’ambassade de France en Chine a appelé la « communauté française à la plus grande vigilance », dans un communiqué de presse publié sur son site jeudi 30 mars. Selon un autre communiqué ce vendredi 31 mars, L’agression a eu lieu « rue Yongjialu [quartier de l’ancienne concession française] à l’heure du déjeuner » ; « l’auteur de l’agression a été interpellé par la police chinoise […] et est en garde à vue ».

Comme le notent nos confrères de Francevinfo.fr, le communiqué de l’ambassade « n’établit aucun lien entre cette agression et la mort de Liu Shaoyo ». La victime française, elle, s’est rendue seule à l’hôpital après l’agression et ne souffre que de plaies sans gravité au cou.

Pour le South China Morning Post qui revient sur l’affaire, le suspect chinois, nommé Mao selon le site Shanghaiist.com – est un homme de 27 ans originaire de Shanghai, « atteint de troubles mentaux » et aux « motivations obscures ». Et le quotidien hongkongais de rappeler que les attaques contre les étrangers sont « rares » en Chine.

Pour autant, certains commentaires sur Weibo, le Twitter chinois, n’hésitent pas à faire le lien entre les deux affaires, comme le note le Shanghaiist. Pour un internaute chinois, « il y a sûrement une raison [à cet incident]. Au moins, notre police ne ressemble pas à la police française qui tire avant de poser des questions. » Ou cet autre : « Si un ressortissant chinois avait « gratté » quelqu’un avec un couteau en France, il serait sans aucun doute mort abattu [par la police]. »

Antoine Richard

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A propos de l'auteur
Sarah est étudiante en master de journalisme à Toulouse. D'origine vietnamienne, elle a voyagé et travaillé en Asie : du Cambodge au Laos, en passant par la Chine, la Thaïlande, l'Inde, le Népal et le Pakistan. Elle a écrit pour "94 citoyens", les agences Ad Tatum, Beat'N Com et Sud Ouest à Paris. Elle est également partie en tant que photographe et JRI en Chine et au Cambodge pour l'ONG Construire pour les générations futures (CGF).