Culture
Entretien

Comment le festival "Made In Asia" s'est imposé à Toulouse

Inauguration du festival Made in Asia à la salle des illustres au Capitol de Toulouse le 18 avril 2017. (Copyright : Wasabi Artwork)
Inauguration du festival Made in Asia à la salle des illustres au Capitol de Toulouse le 18 avril 2017. (Copyright : Wasabi Artwork)
Quel pays à l’honneur ? Toute l’Asie orientale ou presque : Chine, Corée, Vietnam ou Japon. Quel discipline à l’honneur ? Toutes à la fois : sculpture, arts numériques, vidéo, BD, musique rock ou baroque. Et que du contemporain ! Le Festival Made in Asia a-t-il peur de se noyer dans la diversité ? Aucunement. Et ça marche : créé en 2008 à Toulouse, il a presque triplé de volume. En l’espace de huit années d’existence, l’affluence est passée de 8 000 à 20 000 festivaliers. C’est désormais « le » rendez-vous de la culture asiatique, au moins dans le sud-ouest de la France, où il s’est inscrit pour de bon dans le paysage culturel local. A l’échelle nationale, c’est le seul festival asiatique qui mise sur l’éclectisme. Rencontre avec Emmanuel Bermejo, directeur des relations publiques, et Sylvie Couralet, responsable de la programmation.

Contexte

Cette année et pour la première fois, Asialyst est partenaire de Made in Asia. Pour la clôture du festival, nous coorganisons un débat sur les musiques actuelles et le métier de musicien en Chine, suivi d’un concert du groupe de post-punk chinois Fazi. Rendez-vous ce samedi 29 avril à 18h au Connexion Live, qui accueillera les deux événements, au 8 rue Gabriel Péri à Toulouse.

Emmanuel Bermejo (à gauche), directeur des relations publiques du festival Made in Asia, Véronique Geri (au centre), directrice de l'Espace Asia, partenaire du festival, et Nicolas Alléguède (à droite), éducateur sportif, lors de l'exposition "Kojin". (Copyright : Franck Seret)
Emmanuel Bermejo (à gauche), directeur des relations publiques du festival Made in Asia, Véronique Geri (au centre), directrice de l'Espace Asia, partenaire du festival, et Nicolas Alléguède (à droite), éducateur sportif, lors de l'exposition "Kojin". (Copyright : Franck Seret)
Qui a créé le Festival Made in Asia ?
Emmanuel Bermejo : Il faut remonter à la création de l’association tchin-tchine en 2002 par Fanny Valembois à Blagnac, puis à Toulouse [Fanny Valembois est aujourd’hui directrice de l’Alliance Française de Qingdao, NDLR]. C’est une association qui donne cours de chinois, qui offre maintenant aussi des formations interculturelles pour apprendre à travailler avec des Chinois, des cours de langue pour les entreprises. Bref, des formations sur-mesure. Petit à petit, elle a développé des activités culturelles, à commencer par la calligraphie. Puis en 2007, Didier Kimoun, le directeur artistique du festival de rue de Ramonville est venu prendre cours dans l’association. Ce qui lui a permis de rencontrer Fanny Valembois. C’est ensemble qu’ils ont conçu l’idée d’un festival de culture asiatique. La première édition a été organisée en 2008.
Quel était le concept au départ ?
E. B. : Didier Kimoun, passionné d’Asie, rêvait de d’organiser un tel festival. La première édition fut assez petite et consacrée seulement au cinéma chinois. En 2009, j’ai rejoint l’association et nous avons décidé d’agrandir le festival à l’Asie. Plus nombreux, nous avons également bénéficié de la ville de Toulouse. Nous avons commencé par choisir des thèmes à l’intérieur desquels nous avons cherché des artistes dans toutes les disciplines. Avec un intérêt à tout ce qui touche à l’art contemporain. Au début, le festival a eu lieu seulement dans Toulouse, puis il s’est élargi au département et à la région. Aujourd’hui, il est présent dans une bonne vingtaine de villes, même si l’essentiel se déroule à Toulouse, dans la métropole et à Albi.
Quels ont été Les défis à relever ?
E. B. : Il fallait tout mettre en place : se faire reconnaître, trouver des partenaires… Mais il y avait déjà un intérêt local pour la culture asiatique, qui se vérifie encore : nous avons un vrai public de festivaliers qui nous suivent sur plusieurs événements, par curiosité vers l’Asie en général. Nous ne donnons pas dans tout le côté « traditionnel » de la culture asiatique, mais nous continuons de mettre l’accent sur tout ce qui est contemporain. Sur tout ce qu’on voit rarement. Notre premier critère de sélection pour la programmation, c’est la qualité. Bien sûr que nous avons des propositions d’artistes et de groupes traditionnels. Mais ce qui importe, c’est de choisir des auteurs déjà reconnus dans leur pays. Nous voulons des professionnels.
Comment a évolué l’association ?
E. B. : Aujourd’hui, nous comptons trois salariés et 7 professeurs de chinois à temps partiel. En septembre dernier, Sylvie Couralet nous a rejoint en free-lance comme responsable de la programmation du festival et pour démarcher les entreprises pour les activités de tchin-tchine. Au début, nous n’avions pas de bureau et nous on partagions un local pour les cours de chinois. Nous avons les nôtres depuis 5 ans à Toulouse. Aujourd’hui, l’association compte 160 adhérents, dont certains juste pour participer à nos activités, ou en tant qu’amis de tchin-tchine qui soutiennent nos activités. Nous avons un nouveau président depuis trois ans, qui est passionné de l’Asie et qui parle chinois : Philippe Bertau, médecin. Il est bénévole, comme tout le conseil d’administration, qui sont tous des passionnés.
Qui finance aujourd’hui le Festival ?
E. B. : Les cours sont là pour soutenir financièrement l’ensemble de nos activités culturelles. Mais ce n’est pas suffisant. La ville de Toulouse nous soutient à 70%, la région à 5-6%, le département à 3%. Pour le reste, nous bénéficions de soutiens privés. Notre stratégie est de mutualiser les dépenses avec les salles, ce qui permet de diviser les coûts. Sans ce modèle, on ne survivrait pas.
Qu’est-ce qui a fait la spécificité du festival cette année ?
E. B. : D’habitude, nous mettons un pays à l’honneur, qui représente 70% de la programmation. Comme c’est la 10ème édition, nous avons décidé de mettre à l’honneur plusieurs pays d’Asie. En suivant aussi les opportunités qui se sont présentées à nous. Cela ne préjuge pas des choix artistiques.
"Vent des royaumes", une création pour le festival Made in Asia avec des musiciens baroques d'Occitanie et des artistes chinois, taïwanais et coréens. (Copyright : Franck Seret)
"Vent des royaumes", une création pour le festival Made in Asia avec des musiciens baroques d'Occitanie et des artistes chinois, taïwanais et coréens. (Copyright : Franck Seret)
Quelles ont été les têtes d’affiche ?
Sylvie Couralet (programmatrice) : Il y en a eu plusieurs et un peu dans tous les domaines : spectacles vivants, musique, rencontres littéraires, personnalités pour chaque thème. Pour nos concerts d’ouverture et de clôture du festival, nous avons choisi deux types de musique différentes. Nous clôturons avec le groupe chinois Fazi, du rock post-punk. Pour l’ouverture, nous avons programmé « Vents des royaumes », des musiciens baroques d’Occitanie couplés avec des musiciens asiatiques, de Taïwan, de Chine et de Mongolie. Nous les avions invités ici en résidence de création pour ce spectacle qui a combiné les approches esthétiques. Le spectacle a tourné à Toulouse et va être produit à Montauban en décembre prochain.
Sylvie Couralet (deuxième en partant de la gauche), programmatrice du festival Made In Asia lors de l'inauguration au Capitol de Toulouse le 18 avril 2017. (Copyright : Davina Rossi)
Sylvie Couralet (deuxième en partant de la gauche), programmatrice du festival Made In Asia lors de l'inauguration au Capitol de Toulouse le 18 avril 2017. (Copyright : Davina Rossi)
Côté expositions, nous avons sélectionné le dessinateur chinois Li Kunwu. D’abord dessinateur dans des journaux quotidiens en Chine, puis dans la BD, il nous a présenté des dessins originaux que nous avons exposés à la médiathèque José Cabanis de Toulouse. Ses dessins contiennent beaucoup de tendresse sur le quotidien de la Chine. A l’opposé, nous avons montré des œuvres de vidéastes asiatiques. Nous pas allé cette année au-delà de la Chine, du Vietnam, de Singapour, du Japon et de la Corée. Cette année, nous avons collaboré avec le centre d’art contemporain national d’Albi, Le Lait, qui a présente des artistes contemporains qui donnent leur vision de la Chine, de Taïwan, de la Corée ou du Japon, tous issus des Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) et du fonds national d’art contemporain. Ils posent des questions sociétales. Par exemple, l’exposition « Repousser le tigre dans la montagne » qui rassemble les œuvres de 11 artistes. Cette expression correspond à un mouvement de taijiquan ; le tigre étant l’âme humaine, nos désirs, notre façon de réagir ; la montagne étant le lieu de l’harmonie qui permet de se reconnecter avec la nature et à notre être le plus profond.[/asl-article-tex]
Autre exemple : l’artiste vidéaste chinoise Cao Fei, connue dans les plus grandes collections aujourd’hui. Elle est allée filmer dans les entreprises le travail à la chaine et a demandé à des ouvriers d’utiliser sur leur lieu de travail un art qui les intéresse : la guitare, la danse, le taiji dans l’usine. Elle créé un rapport poétique à des lieux aux conditions difficiles.
Hideaki Tsuji jouant du shamisen lors d'un concert fusions japonaises à la salle du Senechal durant le festival Made in Asia. (Copyright : Jean Christophe Charrier)
Hideaki Tsuji jouant du shamisen lors d'un concert fusions japonaises à la salle du Senechal durant le festival Made in Asia. (Copyright : Jean Christophe Charrier)
N’est-ce pas risqué de miser sur la plus grande diversité d’origines et de disciplines artistiques ? N’y a-t-il pas un risque de saupoudrage au détriment de la qualité ?
Non, cela n’enlève rien à notre exigence de qualité. Cela nous demande certes beaucoup d’énergie, car il faut avoir de multiples réseaux non seulement dans toutes les disciplines et tous les pays asiatiques, et ici aussi avec touts les lieux de cultures dans la métropole et dans la région. C’est aussi très intéressant car nous faisons un gros travail auprès du jeune public en leur montrant des choses très différentes : des films, des musiciens japonais qui vont à la rencontre des écoles pour présenter des œuvres d’art contemporain. L’objectif est d’ouvrir le plus possible.
Propos recueillis par Joris Zylberman

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A propos de l'auteur
Joris Zylberman est directeur de la publication et rédacteur en chef d'Asialyst. Il est aussi chef adjoint du service international de RFI. Ancien correspondant à Pékin et Shanghai pour RFI et France 24 (2005-2013), il est co-auteur des Nouveaux Communistes chinois (avec Mathieu Duchâtel, Armand Colin, 2012) et co-réalisateur du documentaire “La Chine et nous : 50 ans de passion” (avec Olivier Horn, France 3, 2013).