Odon Vallet : "Paris a fait l'erreur stratégique de préférer Pékin à Hanoï"

Entretien
Seuls quelques objets trahissent la passion du propriétaire pour les voyages au long cours. Pour le reste, le modeste appartement situé dans un immeuble voisin d’une université du centre de Paris est tout ce qu’il y a de plus sobre. Nous attrapons du regard quelques masques africains, une laque venue d’Extrême-Orient et une anthologie de Clint Eastwood noyée dans un océan d’ouvrages. Mais la visite sera pour plus tard. Notre hôte semble aussi pressé que les vibrations de son smartphone et nous invite à nous asseoir. Diplômé de l’École Nationale d’Administration, spécialiste des religions, Odon Vallet a depuis longtemps fait le choix des livres et du savoir. Une vie au service de l’éducation qui l’a conduit a placer l’intégralité de la fortune héritée de son père au service des élèves issus de milieux modestes. Via la Fondation de France, il distribue chaque année plus de 3000 bourses notamment aux meilleurs élèves des lycées vietnamiens.
Au Vietnam, la tradition confucéenne du culte des Lettrés s’est transformée aujourd’hui en culte des scientifiques.
Le dernier grand ambassadeur que la France ait eu, c’était Claude Blanchemaison il y a une vingtaine d’années. Depuis, le poste d’Hanoï n’est plus tout à fait ce qu’il était. A cela s’ajoute, et je l’ai rappelé aux autorités françaises, le déclin tragique de l’influence française dans ce pays. Un exemple : le meilleur lycée de la planète pour les olympiades de maths, physique, chimie et informatique, c’est le Lycée Hanoi-Amsterdam, financé au départ par la mairie d’Amsterdam. J’ai d’ailleurs mis en relation l’école polytechnique en France et ce lycée. C’est un établissement en grande partie anglophone et sa proviseur est une ancienne professeure d’anglais. Les lycées français au Vietnam, comme presque partout en Asie ou en Afrique, ont vu leur niveau baisser. Il n’y a plus un seul agrégé, c’est devenu trop cher. La baisse des moyens, à la fois en personnel en matériel, se fait cruellement sentir.
Contrairement à une idée reçue, l’Assemblée nationale vietnamienne n’est pas une simple chambre d’enregistrement. Les députés ont refusé par exemple les projets de TGV coréens et japonais qui ont été jugés beaucoup trop coûteux. Ces mêmes projets avaient pourtant été acceptés par le gouvernement. L’Assemblée nationale a aussi obtenu il y a quelques années, un étalement dans le temps de l’augmentation des frais universitaires décidée par le gouvernement. Donc oui, une certaine forme de pluralisme existe, sachant que dans chaque province les autorités locales disposent aussi d’une relative autonomie.
Beaucoup d’hommes d’affaires français ont commis l’erreur de croire qu’avec la recommandation d’un ministre ont obtenait tout ce qu’on voulait. Il faut avoir des bonnes relations avec les organisations nationales et les institutions locales pour faire des affaires dans ce pays. Et si le parti communiste verrouille le système par crainte de voir une partie du pouvoir lui échapper, diverses formes d’ouvertures devraient voir le jour à l’avenir. On a par exemple désormais une Gay Pride à Hanoï et les autorités vietnamiennes envisagent d’autoriser le mariage pour tous.
Ce qui n’empêche pas les progrès aujourd’hui. On a construit beaucoup d’églises catholiques au Vietnam et certains séminaires sont de grandes dimensions. Pas un seul diocèse français ne dispose d’un séminaire aussi vaste et aussi confortable que le séminaire de Hanoï à côté de la cathédrale. On a donc pu constater des progrès réels en matière de liberté religieuse ces dernières années. L’actuel archevêque de Hanoï a de meilleurs relations avec les autorités vietnamiennes que son prédécesseur. Il reste toutefois des problèmes que rencontrent notamment certains pasteurs protestants sur les hauts plateaux, une région où les Américains avaient envoyé des missionnaires lutter contre le parti communiste. Mais globalement encore une fois, je dirais que le sort des religions s’est amélioré. Même remarque pour la caodaïsme qui a construit de nombreux temples et le bouddhisme où les noviciats des monastères font le plein en ce moment. Il y a de plus en plus de novices bouddhistes et de séminaristes catholiques au Vietnam.
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