Politique
L'Asie du Sud-Est dans la presse

Indonésie : Ahok battu aux élections de Jakarta, pris dans le "vortex religieux"

Le gouverneur-élu de Jakarta Anies Baswedan (à droite) et son vice-gouverneur élu Sandiaga Una (à gauche) proclame leur victoire électorale lors d'une conférence de presse à Jakarta le jour du vote le 19 avril 2017. (Crédits : AFP PHOTO / ADEK BERRY)
Le gouverneur-élu de Jakarta Anies Baswedan (à droite) et son vice-gouverneur élu Sandiaga Una (à gauche) proclame leur victoire électorale lors d'une conférence de presse à Jakarta le jour du vote le 19 avril 2017. (Crédits : AFP PHOTO / ADEK BERRY)
Le résultat est net. Selon un comptage rapide à confirmer officiellement, le candidat musulman Anies Baswedan a remporté l’élection du gouverneur de Jakarta contre Basuki Tjahaja Purnama, dit Ahok. D’après les différents instituts qui ont procédé par échantillonnage pour extrapoler le résultat final, le gouverneur sortant, d’ethnie chinoise et de confession chrétienne, aurait recueilli seulement plus ou moins 42 % des suffrages contre quelque 57 % en faveur d’Anies, qui a déjà clamé victoire. C’est le dénouement d’une campagne marquée par les tensions et les divisions religieuses. Accusé puis poursuivi pour blasphème après des déclarations en septembre dernier sur l’instrumentalisation politique du Coran, Ahok a rapidement perdu son statut d’archi-favori à sa réélection. A-t-il été victime d’un « vortex religieux » ? C’est ce que pensent les éditorialistes indonésiens.
« Notre focus est sur la justice sociale et la fin des inégalités, et notre engagement est de protéger la diversité et l’unité. » En proclamant sa victoire ce mercredi 19 avril, l’ancien ministre de l’Éducation et de la Culture Anies Badeswan a voulu apaiser le climat tendu d’une campagne marquée par la division et les tensions religieuses, rapporte le Jakarta Globe. Le vaincu, Ahok, gouverneur sortant de Jakarta, appréciera. Cette proclamation rapide a eu lieu au sud de Jakarta à Rumah Kertanegara, où le 23 septembre le Great Indonesia Movement Party (Gerindra) avait investi comme candidats Anies et son futur vice-gouverneur, l’homme d’affaires Sandiaga Salahuddin Uno. « Il est clair que nous sommes une nation qui vit dans le même bateau, a déclaré Prabowo Subianto, ancien général et actuel président de Gerindra. Nous devons bien nous entendre entre nous. Toutes les religions, toutes les ethnies doivent être unies, c’est mon engagement. » La victoire des candidats de Gerindra est un pas important dans la marche aux élections présidentielles de 2019, où Joko Widodo avait été élu contre Prabowo, qui cette fois espère bien lui succéder.
L’addition est salée pour Ahok, qui avait hérité du poste de gouverneur de la capitale à la suite de l’élection en 2014 de Jokowi, dont il était le vice-gouverneur. « Nous avons six mois avant l’inauguration du nouveau gouverneur et nous allons finir notre travail, a déclaré le candidat sortant reconnaissant sa défaite, relate le Straits Times. Nous espérons qu’à l’avenir tout le monde oubliera cette campagne électorale. » Oublier, donc. A commencer par ce jour de vote attendu nerveusement par la population et les autorités. L’élection s’est finalement déroulée dans le calme. Après la clôture du scrutin vers 13h heure locale, la police n’a fait part « que » de 15 arrestations pour trouble à l’ordre public dans différents bureaux de vote. Un peu plus tôt, l’équipe de campagne d’Ahok se plaignait tout de même d’électeurs « intimidés » dans plusieurs quartiers. « Les pires cas d’intimidation ont eu lieu à Duri Kosambi où les votants ont été menacés verbalement par des supporters de la pair rivale Anies Baswedan et Sandiaga Uno, » a déploré Emmy Hafild, la porte-parole d’Ahok citée par le Jakarta Globe lors d’une conférence de presse à l’hôtel Pullman dans le centre de Jakarta. La police de la capitale avait dû empêcher la tenue de manifestations appelées « Al-Maidah Picnic », organisées par des groupes islamistes pour « surveiller » le vote dans plusieurs bureaux, indique le Jakarta Post.
Faudra-t-il oublier cette campagne, comme l’espère Ahok ? Elle est pourtant riche d’enseignements pour certains inquiétants sur l’état de la démocratie indonésienne. Favori du premier tour en février dernier où il avait obtenu 42,9 % des voix contre 40 % à son rival Anies, Ahok n’a pas réussi à surmonter les feux nourris contre lui durant sa campagne. Un « vortex religieux » selon le magazine indonésien Tempo. Tout a commencé en septembre dernier avec un discours du gouverneur sortant dans le district des Thousand Islands. Dans un débat avec les habitants sur un programme de culture piscicole, Ahok a cité des versets du Coran afin de critiquer les radicaux qui instrumentalisent les sentiments religieux pour attaquer leurs opposants politiques (lire notre article). S’en sont suivies des manifestations massives demandant – et obtenant- la poursuite d’Ahok devant la justice pour blasphème. Problème, d’après Tempo, ce mouvement animé par les islamistes radicaux a « engendré des appels en faveur de la charia et au remplacement de l’idéologie nationale ». L’Indonésie possède la plus grande population musulmane au monde, mais sa Constitution ne fait pas de l’islam la religion d’État, mais prône au contraire la diversité culturelle et religieuse. Au final, la religion a totalement polarisé le débat entre Anies, soutenu par les musulmans conservateurs, et Ahok, encouragé par les musulmans modérés, les non musulmans et la communauté d’ethnie chinoise. Ce dont le rival du gouverneur a parfaitement su exploiter pour l’emporter.
Par Joris Zylberman, avec Sarah Suong Mazelier

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