Indonésie : l'affaire Ahok, blasphème ou islam instrumentalisé ?
Contexte
Face au tollé provoqué par cette déclaration dans divers milieux musulmans, Ahok présente des excuses publiques. Mais le Majelis Ulama Indonesia (« Assemblée des oulémas d’Indonésie ») ou MUI, organisme créé en 1980 par le régime Soeharto, affirme que sa déclaration constitue une penistaan agama, une « insulte à une religion », et porte plainte le 6 octobre. Le lendemain le FPI (Front Pembela Islam ou « Front des défenseurs de l’islam ») porte plainte à son tour. L’article 156 du Code criminel indonésien stipule en effet que « quiconque en public déclare un sentiment d’hostilité, de haine ou de mépris envers un ou plusieurs groupes du peuple indonésien, est menacé d’une peine de prison de quatre ans au plus […]. Le terme groupe dans cet article et les suivants signifie chaque partie du peuple indonésien qui diffère d’une ou plusieurs autres parties en raison de la race, du pays d’origine, de la religion, du lieu, de l’origine, de l’ascendance, de la nationalité ou de la position selon la loi constitutionnelle. » Le même article 156 précise : « Est condamné à une peine de prison de cinq ans au plus quiconque exprès en public exprime un sentiment ou commet un acte : a. qui en substance a un caractère d’hostilité, d’abus ou de salissement envers une religion pratiquée en Indonésie […]. » Cette précision avait été ajoutée en 1965, sous Soekarno, conformément à une loi promulguée dans un contexte considéré comme « mettant en danger l’unité de la Nation et de l’État » et destinée à assurer « la sérénité religieuse ».
L’insulte en question
Pour The Economist, l’affaire a deux conséquences durables. La première est l’avantage marqué par les adversaires d’Ahok. La deuxième est la capacité de l’armée de terre, dont le rôle politique a largement diminué depuis la fin du régime Soeharto, à influencer les affaires du pays*. Le principal accusateur d’Ahok, le FPI, a en effet été créé à la fin des années 1990 et du régime Soeharto avec la bénédiction des secteurs de l’armée pour attaquer les militants pro-démocratie**.
Instrumentalisation
Selon toute vraisemblance, L’affaire Ahok est une instrumentalisation de la religion musulmane par les milieux conservateurs ou réactionnaires du monde politique indonésien. Elle ne doit toutefois pas cacher deux réalités. La première est l’énorme popularité du gouverneur sortant, comme le montrent les nombreuses mobilisations citoyennes, dont un concert donné samedi 4 février dernier, où était présente l’ex-présidente Megawati Soekarnoputri, patronne du PDI-P, avec d’autres dirigeants de partis qui soutiennent Ahok. Le gouverneur de Jakarta poursuit en effet sa campagne électorale. La deuxième réalité est que les Indonésiens musulmans se montrent de plus en plus réticents à se rendre dans des mosquées où les prêcheurs prononcent des sermons haineux. L’affaire Ahok révèle certes les menaces qui pèsent sur le projet des Indonésiens depuis l’indépendance, mais également leur détermination à le réaliser : une nation diverse et plurielle, et une société démocratique.
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