Culture
Témoin - la Chine crève l'écran

Chine : les films aux "caractéristiques chinoises" que personne ne regarde

A l'occasion de la sortie en 2009, du film "The Founding of the Republic", les acteurs chinois posent avec la photo originelle de la proclamation de la République Populaire de Chine le 1er octobre 1949.
A l'occasion de la sortie en 2009, du film "The Founding of the Republic", les acteurs chinois posent avec la photo originelle de la proclamation de la République Populaire de Chine le 1er octobre 1949. (Crédit : "ACOREANO ORIENTAL" / ZH0014 / AFP China Xtra).
Si l’on vous parle de « cinéma de propagande », vous aurez sans doute immédiatement en tête de bons films comme Alexandre Nevski de Sergueï Eisenstein ou la série documentaire Why We Fight de Frank Capra. Ou alors de moins bons comme les huit opéras révolutionnaires de Madame Mao (Jiang Qinq) qui pour les Chinois étaient les seuls films autorisés pendant toute la décennie de la Révolution culturelle.
Aujourd’hui, bien que la République Populaire de Chine soit un pays « socialiste avec des caractéristiques chinoises », la programmation dans une salle de cinéma est somme toute assez semblable à celle que nous connaissons dans nos contrées. Avec néanmoins quelques exceptions notables.
Entre les comédies romantiques, les films d’horreur qui ne font peur à personne et les blockbusters hollywoodiens qui ont passé les quotas de la censure, se glisse parfois dans les cinémas en Chine un film patriotique en apparence tout droit sorti d’un bureau de propagande de la Révolution culturelle. Comme par exemple, L’offensive des 100 régiments (百团大战) de Zhang Yuzhong et Ning Haiqiang, sorti en 2015 :
En général, exceptés les membres du Parti, personne n’apprécie particulièrement ce genre de film. Les amis chinois que j’ai consultés les qualifient tour à tour d’« horribles », de « ridicules », d’ « uniquement centrés sur le point de vue du parti communiste chinois », ou encore de « particulièrement ennuyeux car il n’y a pas d’histoire ». D’autres n’ont pas d’opinion car ce type de film n’est pas celui que vous allez voir avec vos amis pour vous détendre, ni votre premier choix si vous souhaitez montrer à votre rendez-vous que vous êtes un aficionado de la culture.

Malgré la propension des producteurs et des réalisateurs à mettre de nombreux moyens pyrotechniques, des effets 3D en tout genre ou à engager des stars, le public ne se déplace pas. La faute souvent à des scénarios qui se réduisent bien souvent à un powerpoint historique doublé d’un ton particulièrement sentencieux. En résumé : les Japonais sont des brutes épaisses et les membres du Kuomintang corrompus jusqu’à l’os, alors que les communistes servent le peuple avec bravoure et se sacrifient pour lui afin d’éviter à la Chine d’être encore humiliée par les puissances étrangères. Même les histoires d’amour, un passage obligé, entre certains héros, doivent attendre, car la défense de la mère-patrie, elle, n’attend pas.

Si personne ne se déplace pour voir ces films, comment parviennent-ils à être rentables ? Pour éviter, semble-t-il, l’humiliation au box-office face à la concurrence comerciale, plusieurs techniques sont mises en place. Des tickets gratuits doublés d’une demi-journée de congé sont donnés en masse aux fonctionnaires et aux employés des entreprises d’État. L’État qui finance la création du film doit donc aussi payer pour que les gens aillent voir ses films. Autres technique : des salles de cinéma trichent tout simplement en faisant basculer des spectateurs d’une salle à l’autre. Ainsi, alors que vous achetez votre place pour aller voir le dernier Marvel, l’employé vous donne en réalité un billet pour le film patriotique du moment ; puis il rature et change le nom sur le ticket pour vous permettre d’aller voir votre super-héros préféré. Le tour est joué : le système informatique a comptabilisé votre billet pour le film patriotique.

Qu’en pense la concurrence étrangère ? Elle ne dit mot. De peur de rater des opportunités de diffusion, les studios américains évitent de se plaindre aux autorités de Pékin. Chaque année, seuls 34 films étrangers peuvent être diffusés en Chine : il est donc préférable de perdre quelques ventes sur les billets plutôt que de se voir refuser un visa d’exploitation dans les quotas.

Fait intéressant, la création de ces films patriotiques hauts en couleur revient à l’Armée Populaire de Libération (APL). A cet effet, les autorités ont dès 1952 fondé la société étatique de production « August First Film Studio » – nommée ainsi en référence au 1er août 1927, date anniversaire de la création de l’armée rouge chinoise. C’est ainsi que les deux réalisateurs de L’offensive des 100 régiments sont des militaires de carrière et non des artistes. On est donc loin des films de guerre comme Black Hawk Down de Ridley Scott (2001) ou la 317e section de Pierre Schoendoerffer (1965) qui peuvent montrer un pan moins glorieux de la guerre et les failles des soldats.
Certains films chinois de propagande engendrent parfois des crispations dans la région Asie-Pacifique, déjà tendue entre les problèmes de la mer de Chine et la course aux armements. Ainsi en 2016, My War (我的战争) d’Oxide Pang raconte l’histoire de volontaires chinois durant de la guerre de Corée (1950-1953), partis défendre les troupes de Pyongyang. Produit en partie par l’entreprise d’État China Film Group Corporation, ce long-métrage obéit sans surprise aux canons chers aux films patriotiques.

Cependant, c’est la bande-annonce du film qui a fait couler beaucoup d’encre. On y voit un groupe de « touristes » chinois à Séoul, racontant leur dernière visite dans la capitale sud-coréenne « le drapeau rouge à la main pour bouter les impérialistes américains hors d’Asie ». L’erreur de communication fit la joie des internautes des deux pays qui tournèrent en ridicule cette vidéo, forçant le producteur à présenter des excuses.

A voir, la bande-annonce de My War (我的战争) d’Oxide Pang sorti en 2016 :
Pour terminer sur une note positive, je vous recommande cependant un film du genre patriotique qui a été peu remarqué lors de sa sortie en France, malgré d’assez bonnes critiques. Il s’agit de La Bataille de la Montagne du Tigre du réalisateur hongkongais Tsui Hark. Voilà une véritable réussite artistique en dépit du canon imposé : une histoire se déroulant pendant la guerre de résistance face aux Japonais, l’utilisation inutile et grossière de la 3D, des héros communistes sans failles protégeant le petit peuple. Mais le génie artistique de Tsui Hark permet à son film de ne pas sombrer dans le ridicule, alors que le scénario se fonde sur l’un des huit opéra révolutionnaires de Madame Mao.
Voir la bande-annonce de La Bataille de la Montagne du Tigre (智取威虎山), de Tsui Hark sorti en 2014 :

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A propos de l'auteur
Aladin Farré est Producteur et Réalisateur. Après avoir travaillé dans le documentaire historique et le transmédia, il s'est expatrié en Chine où il espère percer les secrets du mandarin et des coproductions internationales.