Culture
Témoin - la Chine crève l'écran

Chine : comment Pékin influence vos blockbusters

L'Ancien dans le dernier né des films Marvel. (Crédit : Marvel).
L'Ancien dans le dernier né des films Marvel. (Crédit : Marvel).
Il y a très longtemps, avant que ne commence le mouvement des droits civiques aux États-Unis, il était pratiquement impossible au cinéma – suite aux lois raciales [appelées aussi « lois Jim Crow » abrogées en 1964] – de voir un acteur asiatique tenir le rôle principal. C’est de cette manière que vous pouviez aller dans les salles obscures regarder un film comme The Mysterious Mr. Wong dont le rôle phare était… joué par un acteur blanc.
En l’occurrence Monsieur Wong n’est autre que Béla Lugosi, un acteur hongrois émigré à Hollywood qui a popularisé la figure de Dracula dans les années trente. Un grand nombre d’acteurs de cette période comme David Carradine, Christopher Lee ou John Wayne s’y sont également essayé. Mais aujourd’hui cela n’est plus possible. Au-delà de toute considération raciale le marché des films nord-américains n’est tout simplement plus le même en ce début du XXIe siècle.
Béla Lugosi dans le rôle titre de "The Mysterious Mr. Wong".
Béla Lugosi dans le rôle titre de "The Mysterious Mr. Wong". (Crédit DR.).
Il y a encore quelques années, Hollywood réalisait la majorité de son chiffre d’affaires sur le continent nord-américain, le reste étant complété par une petite dizaine de pays d’Europe de l’Ouest, aidé de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Mais depuis peu c’est la situation inverse. En 2015, sur les 38 milliards de dollars récoltés par les studios américains, seuls 11 milliards le furent sur le marché intérieur ; les 27 milliards restant, dont 7 rien que pour la Chine, le furent à l’international.
Ainsi il est capital pour bon nombre de sociétés américaines de cinéma de chercher les consommateurs là où ils se trouvent, et comme la plupart résident en Chine, il est important de leur offrir quelque chose qu’ils aiment. C’est pourquoi vous voyez de plus en plus de stars chinoises à l’écran ou des films ayant été fait en coproduction avec des firmes de Pékin ou de Shanghai [comme par exemple, le dernier film en date, en ce moment au cinéma La Grande MurailleState Administration of Press, Publication, Radio, Film and Television – 国家广播电影电视总局).

Pour passer cette difficile barrière deux possibilités s’offrent à vous : plaire à la censure ou coproduire avec une société chinoise.

Plaire à la censure

Pour plaire à la censure, la recette est simple : intégrez le plus d’éléments chinois dans votre film sans mettre de sexe, de relations homosexuelles, de fantômes ou de critiques de la Chine. Si vous ne respectez pas ces règles, vous subirez au mieux des coupes et au pire vous ne pourrez pas diffuser votre film. Vos chances de passer le comité de censure seront plus grandes en prenant des acteurs chinois. Par exemple dans Independence Day : Resurgence nul doute que le fait d’avoir casté la jeune actrice Angelababy (Yang Ying de son vrai nom) ou mis des placements de produits chinois a dans les salles obscures chinoaidé à la diffusion du film dans les salles obscures chinoises.
Cependant, si votre blockbuster raconte une histoire de lutte contre le terrorisme comme La Chute de Londres ou la défense de la patrie comme Ici, les aubes sont calmes, nul besoin d’engager un acteur chinois. En effet, votre œuvre fait la part belle à la fierté d’être un patriote défendant son pays : une valeur morale toujours intéressante à diffuser auprès du public chinois.
De même, si vous êtes détenteurs d’une franchise internationalement reconnue comme Harry Potter, des super-héros de DC ou de Marvel ou bien Star Wars, vous n’avez pas à vous soucier des quotas. Les portes seront grandes ouvertes car on sait que vos productions sont très attendues. C’est pourquoi la série des Harry Potter furent montrés en Chine alors que théoriquement la présence de fantômes à l’écran est interdite.

Coproduire avec une société chinoise

Il est également possible de sautez le pas, comme Tom Cruise avec son dernier thriller Jack Reacher : Never Go Back, qui a été entièrement tourné aux États-Unis mais qui fût réalisé en coproduction avec Huahua Media et Shanghai Film Group. Ainsi, grâce à cette coproduction le film devient sino-américain et n’a alors plus besoin de passer la barrière des quotas.
Bien entendu, la question de la censure s’applique toujours, mais vous n’avez plus besoin de batailler pour que votre film soit diffusé en salles. D’autres pointures hollywoodiennes comme Michael Bay pour son film Transformers : Age of Extinction ont d’ailleurs aussi joué le jeu de la coproduction. [Dans cette optique, nous ne résistons pas à vous conseiller cette excellente vidéo des youtubeurs Screen Junkies qui dans leur série Honest Trailer résument parfaitement le film.]
Cette situation ne s’applique pas qu’à Hollywood. En effet, tout le monde cherche l’argent de l’Empire du milieu ; même notre renommé Luc Besson qui pour son dernier film Valérian et la Cité des mille planètes a dû engager l’acteur-chanteur Kris Wu uniquement pour accéder au marché chinois via une coproduction.
Comme le raconte l’un des travailleurs qui étaient sur le plateau de tournage de la Cité du cinéma, « au début, Luc Besson voyait uniquement Kris Wu comme une contrainte ; sa présence ayant été imposée suite à son deal financier. Puis, quand il a vu qu’il avait été reçu par une cohorte de fans a l’aéroport Charles-de-Gaulle et qu’il savait jouer correctement son rôle, il lui a donné plus de scènes ». Cela d’autant que le groupe shanghaïen Fundamental Film est devenu à l’automne 2016 le 2ème propriétaire du groupe Europa Corp à hauteur de 27,9% suite à un apport de plus de 60 millions d’euros.
Il est toujours possible de se dire que la présence d’acteurs chinois dans un blockbuster ne peut avoir un grand impact car cela reste des histoires réservées aux fans d’extraterrestres, de super-héros ou autres voyages intergalactiques. Sachez cependant que même la pop culture est sujette à l’autocensure. Par exemple, pour la nouvelle franchise de Marvel, Docteur Strange, il a été décidé que l’un des personnages principaux, l’Ancien, soit incarné par l’actrice blanche Tilda Swinton et qu’une partie de l’action soit située au Népal. Si la qualité de son jeu ne fait aucun doute, il faut savoir que la galaxie des fans de Marvel en fut chamboulé car l’Ancien est originellement un personnage provenant… du Tibet.
L'Ancien dans les comics originels. (Crédit : Marvel.).
L'Ancien dans les comics originels. (Crédit : Marvel.).
Cette décision éditoriale de passer sous silence, la véritable origine du personnage permit au film de passer la censure de la SARFT et de récolter 110 millions de dollars sur le marché chinois, soit un peu plus que les 107 millions de chiffres d’affaires aux États-Unis.
Au final, la question n’est pas de savoir si tout cela est un phénomène de mode ou non. En effet, la Chine devrait cette année devenir le premier marché mondial de films – dépassant ainsi les États-Unis qui détiennent le record depuis plus d’un siècle. Au contraire, nous devons donc nous attendre à voir de plus en plus de blockbusters possédant quelques « caractéristiques chinoises » et collant au plus près de ce que les occupants de Zhongnanhai [du nom de la résidence des plus hauts membres du Parti communiste chinois] souhaitent que leurs citoyens puissent regarder. La seule question intéressante qui subsiste maintenant est de savoir si la Chine sera un jour capable de produire des blockbusters pour un public mondial.

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A propos de l'auteur
Aladin Farré est Producteur et Réalisateur. Après avoir travaillé dans le documentaire historique et le transmédia, il s'est expatrié en Chine où il espère percer les secrets du mandarin et des coproductions internationales.