Après François Hollande, quelle politique en Asie-Pacifique pour la France ?
L’héritage « Asie–Pacifique » de François Hollande
Sur le plan politique, le retrait des unités combattantes françaises d’Afghanistan nécessitait lui aussi de la pédagogie. Il se devait d’être expliqué de suite aux partenaires de l’OTAN mais également de l’Asie centrale à l’Australie. Si les premiers gestes de la diplomatie « hollandaise » ont été suivis avec attention par les dirigeants asiatiques, un certain nombre ne cachait pas vouloir peser au plus tôt sur ceux-ci.
Au lendemain du second tour de l’élection présidentielle 2017, il est peu probable que les ministres plénipotentiaires asiatiques effectuent auprès du nouveau président de la République la même campagne de lobbying. Même si chacun s’évertuera à obtenir du nouvel élu un engagement à poursuivre les bonnes relations bilatérales et à reconnaître en son pays « LE » partenaire stratégique asiatique majeur de la France. En toute vérité, les prochaines échéances électorales françaises sont perçues avec moins d’anxiété en Asie–Pacifique que celles de 2012. Les dirigeants susceptibles de s’installer à l’Élysée sont pour la plupart des hommes connus. Ils ont tous fréquenté les capitales asiatiques dans des fonctions ministérielles récentes. En outre, leurs projets politiques pour la France et sa politique extérieure ne sont pas perçus comme « menaçants » pour leurs intérêts régionaux ou plus globaux. François Hollande laisse donc un héritage « Asie–Pacifique » fait d’une écoute attentionnée des dirigeants de la région, d’une politique équilibrée entre les puissances régionales, de continuités dans la défense de ses principes et de partenariats manifestés bien au-delà de l’Asie–Pacifique avec certains États – dont l’Australie, la Chine, l’Inde ou Japon.
En raffermissant les relations franco-japonaises malmenées par Nicolas Sarkozy et ses propos anti-chiraquiens sur le sumo, en ne se rendant pas trois fois plus souvent à Pékin qu’à Tokyo et New Delhi, en affirmant un intérêt remarqué pour les petits États insulaires du Pacifique, François Hollande a défini, sans toutefois jamais l’affirmer explicitement, une nouvelle politique indo-Asie-Pacifique de la France. Cette ambition, construite sur des relations bilatérales diversifiées et régulièrement entretenues au plus haut niveau, une diplomatie économique proactive et l’émergence d’une diplomatie territoriale de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de l’île de la Réunion, peut-elle être poursuivie par le huitième président de la Vème République ?
Un agenda « Asie–Pacifique » déjà bien chargé pour le prochain président français
En juillet à Hambourg, le président de la République aura l’opportunité de s’entretenir en tête-à-tête lors du sommet du G20 avec six chefs d’État et de gouvernement d’Asie–Pacifique (Australie, Chine, Corée, Inde, Indonésie et Japon). Une aubaine pour évoquer les relations économiques bilatérales, les coopérations de défense, les crises qui violentent le monde, la lutte contre le terrorisme mondialisé et le programme nucléaire nord-coréen. Le même mois, de nombreux chefs d’État et de gouvernement océaniens se rendront eux à Nouméa. Ils y fêteront le 50ème anniversaire de la Communauté du Pacifique (CPS), la principale institution de coopération dédiée aux États insulaires du Pacifique et la seule organisation internationale à avoir son siège dans l’un des territoires d’outre-mer français. Par l’entremise de l’un de ses ministres, le président de la République pourra leur délivrer un message sur sa politique océanienne, ses intentions sur le référendum de pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie et son approche de la lutte contre les changements climatiques. Un message attendu et qui pourra être réitéré à niveau ministériel en Océanie, si la France dépêche l’un de ses hauts responsables au 48ème sommet des leaders du Forum des îles du Pacifique qui se tiendra début septembre à Apia (Samoa).
Un peu plus tard dans l’année, à Bonn, les enjeux environnementaux seront à nouveau au cœur des préoccupations de la communauté internationale. La République des Fidji sera l’organisatrice de la 23ème conférence de l’ONU sur le climat (COP 23), ce qui ne manquera pas de susciter des interactions entre la diplomatie française et les États insulaires. A commencer par ceux du Pacifique qui sont particulièrement attachés à ce que les engagements pris à Paris par la COP21 et lors du IVème sommet France-Océanie en novembre 2015 ne demeurent pas des lettres mortes. Les échéances Asie–Pacifique de l’année 2018 s’annoncent elles aussi chargées pour le successeur de François Hollande. Les commémorations de la fin de la Première Guerre mondiale seront l’occasion de la venue dans l’hexagone des plus hautes autorités australiennes et néo-zélandaises. D’ores et déjà, la date du 25 avril a été arrêtée pour l’inauguration du Centre Sir John Monash en mémoire du centième anniversaire de la libération de la ville de Villers-Bretonneux (Somme) où s’illustrèrent les Diggers du général australien.
A l’agenda multilatéral, Bruxelles accueillera le 12ème sommet des chefs d’État et de gouvernement Asie–Europe (ASEM). Au second semestre de l’année, le chef de l’État sera appelé à côtoyer les leaders du Pacifique insulaire. Il devra en effet se rendre en Polynésie française pour la tenue du Vème sommet des chefs d’État et de gouvernement France–Océanie, décidé en novembre 2015 lors du sommet de l’Élysée. Une rencontre internationale triennale qui offrira au président français la possibilité de s’entretenir sur un à deux jours avec près de 10% des dirigeants des Nations Unies, et les secrétaires généraux des principales organisations régionales et sous-régionales – par exemple, le Forum des îles du Pacifique, le Forum de développement des îles du Pacifique, le Groupe du fer de lance mélanésien ou le Programme régional océanien pour l’environnement. Un exercice qu’il sera susceptible de reconduire, s’il le souhaite, par deux fois au cours de son mandat, comme le fit d’ailleurs Jacques Chirac en 2003 (Papeete) puis 2006 (Paris). S’il veut affirmer un peu plus encore le statut Asie–Pacifique de la France, le président de la République entrant pourrait ambitionner d’orchestrer successivement en 2021–2022 le VIème sommet France–Océanie et le 14ème sommet de l’ASEM. La France célébrerait ainsi sur son sol le vingt-cinquième anniversaire du lancement du dialogue euro-asiatique, qu’elle contribua à instaurer mais n’a jamais accueilli sur son territoire.
L’instrumentalisation de toutes ces échéances au service de la politique extérieure française sera le fruit de la détermination du président en personne, de son entourage et de sa disponibilité. Si les dialogues institutionnalisés des leaders sont une opportunité de contacts multiples, d’autres occasions seront à saisir. Les nombreux événements sportifs majeurs qui seront organisés en Asie dans les prochaines années en sont un exemple qui mérite réflexion. La diplomatie « sportive » pourrait bien constituer une dimension importante de la politique Asie–Pacifique du quinquennat à venir. Surtout si à Lima le 13 septembre 2017, la ville de Paris est désignée pour accueillir les Jeux Olympiques de 2024. N’oublions pas que les JO d’hiver de 2018 à Pyeongchang (9–25 février) et 2022 à Pékin(4-20 février) se tiendront pour la première fois en Asie du Nord-Est, tout comme la coupe du monde de rugby de 2019 au Japon, avant de voir revenir à Tokyo les Jeux olympiques d’été en 2020 (24 juillet–9 août).
Enfin, le vingt-cinquième président de la République française présidera à la toute fin de son mandat le Conseil de l’Union européenne (janvier – juin 2022). La tenue et la préparation de cette échéance exigeront que la France s’exprime sur l’Asie–Pacifique et organise des sommets européens avec les partenaires de la région, comme l’ASEM 14. Mais au-delà des échéances multilatérales du calendrier du président, la politique de la France avec ses partenaires d’Asie–Pacifique se décline impérativement sur place même.
Se préparer à voyager régulièrement en Asie–Pacifique
Si les visites vers l’Asie–Pacifique des plus hautes autorités de l’État se sont succédé, l’accueil des homologues à Paris fut tout aussi chargé. Au bilan, François Hollande aura rencontré la plupart des dirigeants asiatiques et océaniens au cours de son mandat, non seulement au palais de l’Élysée mais également outre-mer. Son successeur sera jugé, tôt ou tard, à cette aune.
Un réseau d’ambassadeurs familiers avec l’exercice du pouvoir présidentiel
Parmi les 26 ambassadeurs affectés en Asie–Pacifique début 2017, plus de 45 % d’entre eux ont exercé leurs talents dans des cabinets d’autorités régaliennes. Ainsi, sept ambassadeurs furent des conseilleurs à la présidence de la République (Afghanistan, Cambodge, Chine, Corée, Japon, Vietnam, Secrétaire permanent pour le Pacifique) dont quatre servirent Jacques Chirac, deux autres François Hollande et un dernier Nicolas Sarkozy. A ces hommes expérimentés, il faut ajouter deux ex-conseillers d’un ministre des Affaires étrangères (Inde, Taïwan), deux ex-conseillers des ministres de la Défense (Népal, Singapour) et un ancien conseiller diplomatique du président du Sénat (Sri Lanka). En 2017, l’influence de ces hommes – aucune femme chef de poste en Asie-Océanie n’a un tel profil – s’exerce dans toute la région Asie–Pacifique puisque 4 sont en résidence en Asie méridionale, 3 en Asie du Sud-Est, 4 en Extrême-Orient et 1 en Océanie. Cette imbrication du réseau diplomatique français en Asie-Pacifique avec les plus hautes autorités de l’État illustre l’importance croissante de la région dans les parcours professionnels des diplomates français et l’importance politique accordée à toute la région. Un avantage pour le nouveau président de la République et son gouvernement ! Encore faut-il qu’ils ne soient pas menés, l’un ou l’autre, par des responsables issus des rangs du Front National, l’ambassadeur de France auprès du Japon ayant fait savoir publiquement qu’il ne servirait jamais une diplomatie conduite par l’Extrême droite, un point de vue partagé par nombre de ses collègues en poste de l’Asie centrale au Pacifique.
Si le nouveau président de la République pourra s’appuyer sur des ambassadeurs familiers des attentes des plus hautes autorités de l’Etat, les défis auxquels il aura à faire face n’en sont pas moins légions. Au premier rang, il lui faudrait esquisser un nouveau narratif politique, expliquant les ambitions indo-Asie-Pacifique de la France et soulignant ses intérêts particuliers dans la région. Certains États de l’aire indo-Asie-Pacifique n’ont pas pleinement intégré l’idée que la France est géographiée en Europe mais aussi en Indianocéanie et dans le Pacifique où d’ailleurs elle a sa plus longue frontière maritime avec un État tiers (Australie).
Si la politique française en Asie–Pacifique ces dernières années a porté une attention très marquée aux questions de défense (cf. le développement des coopérations anti-terroristes, l’instauration d’un dialogue ministériel franco-japonais en format 2+2, la vente de 36 avions Rafale à l’Inde, la signature pour la vente de 12 sous-marins à l’Australie, la participation remarquée du ministre de la Défense au dialogue annuel de sécurité dit du Shangri-La à Singapour ou encore l’instauration d’un dialogue biennal des ministres de la Défense du Pacifique Sud), les intérêts français de l’Asie centrale au Pacifique ne se limitent pas aux questions de sécurité, notamment dans leurs aspects les plus mercantiles. La manœuvre diplomatique française a accordé une place nouvelle aux questions environnementales, à la gestion des océans et à la lutte contre les effets des évolutions climatiques. La préparation de la COP 21 et la mise en œuvre des accords de Paris sur le climat ont ouvert de nouveaux chapitres aux coopérations franco-asiatiques : en témoignent l’appel de Manille à l’action pour le climat des présidents Hollande et Aquino, ou la déclaration présidentielle commune de la France et de la Chine sur le changement climatique. De même pour les coopérations franco-océaniennes grâce à la première visite d’un chef de l’exécutif français au siège de la Communauté du Pacifique (Nouméa, 17 novembre 2014) à l’occasion d’un dialogue de haut niveau avec les chefs d’État et de gouvernements du Pacifique. Plus novateur encore, ces trois dernières années ont vu l’émergence de véritables diplomaties « territoriales » calédonienne et polynésienne. Elles ont accompagné, nourri et soutenu les démarches entreprises par l’État comme en ont témoigné les déclarations des Oceania Meetings (Lifou, avril 2015 ; Bourail, avril 2016) et celles du Groupe des dirigeants polynésiens (la déclaration de Taputapuatea, juillet 2015 ; la déclaration sur l’océan « Te Moana O Hiva », juillet 2016).
Les relations extérieures de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française sont des dimensions que tout chef de l’exécutif français se doit dorénavant de prendre pleinement en compte. Des relations sereines avec les présidents du gouvernement de Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française en sont les prémices et la condition sine qua non pour qu’elles permettent de démultiplier l’influence de la France dans le Pacifique insulaire, voire au-delà. Elles complètent la diplomatie par voie téléphonique qui ne cesse de s’intensifier avec un nombre croissant de leaders de l’Asie–Pacifique mais aussi par la fréquence de ces échanges sur des lignes protégées de communication. Cette dernière s’initie lors des prises de fonction du chef de l’État et se poursuit au cours du mandat dans la gestion de crises ou la préparation des moments diplomatiques clés. De nombreux contacts ont été ainsi ménagés avec le président afghan, le président chinois ou encore les premiers ministres australien et japonais. Ils démontrent que la politique régionale de la France ne peut être ni monocentrée sur la Chine, ni enfermée dans un cercle rassemblant trois ou quatre pays seulement. Conséquence, la succession à l’Élysée de François Hollande est scrutée avec la plus grande attention par les diplomates, analystes et commentateurs d’un très grand nombre d’États et territoires de la région indo-pacifique. Bien plus nombreux qu’on ne croit généralement ! Chacun se demande s’il y aura une nouvelle discontinuité dans la politique régionale de la France, ce qui nuirait à l’approfondissement des relation bilatérales bâties assez méthodiquement par François Hollande. Toutefois, cette politique nécessitera des actes volontaristes pour bien orienter les négociations de libre-échange engagées par l’Union européenne avec l’Australie, le Japon et la Nouvelle-Zélande ; pour assurer des partenariats de défense et sécurité durables et mutuellement avantageux ; pour accroître les investissements productifs asiatiques et australiens dans l’hexagone et outre-mer ; pour donner plus de place à une francophonie qui peine à s’affirmer dans une aire anglophone bien enracinée et pour garantir une insertion efficiente de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française dans leur environnement international. Autant d’orientation que la campagne électorale présidentielle et ses primaires n’a pas encore laissé paraître.
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