Mer de Chine : Pékin développe ses argumentaires souverainistes jusqu’en Océanie
En adoptant une posture diplomatique plus volontariste pour ne pas dire agressive, la Chine semble peu se soucier des conséquences à moyen-long termes de son nouveau langage de puissance en Asie – Pacifique.
Une diplomatie publique chinoise tous azimuts en Océanie
Un lobbying pleinement assumé et volontairement orchestré à l’heure où la Cour permanente d’arbitrage de La Haye compétente pour juger des revendications de Manille au regard de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer s’apprête à se prononcer sur le fonds du recours déposé par les Philippines le 23 janvier 2013. Dans ce contexte diplomatique singulier, les Etats océaniens sont une des cibles visibles. Ils n’échappent pas à la campagne de charme et demande d’assistance diplomatique de Pékin.
Les résultats à attendre de cette campagne de sensibilisation et de mobilisation sont pourtant modestes. L’aura internationale des Etats et territoires océaniens demeure limitée. Les enjeux juridiques des débats sur la mer de Chine méridionales sont largement méconnus des décideurs océaniens et de leurs collaborateurs. Ils ne sont même pas débattus dans les enceintes régionales. Ils étaient même rarement évoqués avec les partenaires « traditionnels » (Australie, Etats-Unis, France, Nouvelle-Zélande) et dans les médias nationaux, ce qui risque de n’être plus le cas dorénavant.
Pour parvenir à ses fins d’influence, la RPC doit donc consentir des efforts durables et d’autant plus couteux en temps et en moyens mobilisés qu’elle ne peut espérer dans le Pacifique sud des ralliements collectifs à son point de vue.
En Océanie à la différence de l’Asie centrale par exemple (et notamment l’Organisation de coopération de Shanghai), la Chine ne peut compter sur le soutien d’aucune organisation régionale ou sous-régionale. Elle n’est qu’un partenaire de dialogue du Forum des îles du Pacifique et elle n’appartient à aucune institution politique subrégionale. La culture politique océanienne constitue un obstacle supplémentaire à l’expression d’une solidarité multi-acteurs. Les Etats souverains au nom de la » Pacific Way » privilégient les approches les plus consensuelles possibles dans la définition de leur expression diplomatique collective. Ils rechigne(ro)nt aussi de devoir choisir publiquement entre Pékin, le partenaire économique d’avenir, et Washington, le pourvoyeur de sécurité historique.
A défaut de pouvoir mobiliser les institutions océaniennes, la République populaire doit compter sur les Etats pris individuellement or la RPC n’a encore qu’un petit nombre de partenaires dans la région. Elle n’est reconnue très officiellement que par sept Etats océaniens sur treize (Etats fédérés de Micronésie, Fidji, Papouasie Nouvelle-Guinée, Samoa, Timor-Leste, Tonga, Vanuatu), les six autres ayant maintenu des relations souvent étroites avec la République de Chine (Kiribati, Marshall, Nauru, Palaos, Salomon, Tuvalu). Certes sur le dossier de la mer de Chine méridionale, les points de vue chinois et taïwanais sont peu éloignés mais la RPC n’en doit pas moins en Océanie rompre avec son expression diplomatique traditionnelle.
Jusqu’ici auprès des Etats et territoires insulaires du Pacifique, Pékin insistait sur les dimensions économiques de ses partenariats que ce soit pour promouvoir les échanges commerciaux, les investissements ou les aides au développement. La campagne de mobilisation sur les enjeux de la mer de Chine méridionale nécessite elle d’adopter un récit plus politique, pour ne pas dire stratégique puisque les arguments avancés lient explicitement les bassins maritimes d’Asie du sud-est à ceux du Pacifique central. Une première !
L’expression de ce continuum maritime est d’autant mieux perçue par les acteurs océaniens que les diplomates de la République populaire mènent leur campagne de lobbying à grand renfort de publicité. Ils vont chercher un à un les soutiens et la publication de déclarations officielles se ralliant à leurs positions. L’effort de communication étant concentré dans le temps, Pékin donne le sentiment de vouloir obtenir par ses actions de diplomatie publique un avantage tribunitien immédiat. Ce présentisme vise à affirmer urbi et orbi que la Chine n’est pas isolée sur la scène internationale dans son interprétation du droit de la mer. Il faut donc convaincre avec des arguments « forts ». C’est pourquoi, les bien-fondés historiques et juridiques des démarches chinoises sont assénés même au prix de raccourcis grossiers.
Les effets recherchés de la communication devant être immédiats, des programmes d’invitation de journalistes du Pacifique sud ont été lancés. Il s’agit de mieux faire comprendre la politique maritime et pacifique de la RPC aux relais d’opinion et aux décideurs océaniens. Le langage employé appartient à la fois au registre académique rigoureux (droit, histoire) mais aussi à celui de l’émotion. Ce sont même des émotions extrêmes qui sont mises en scène puisque sont évoqués les humiliations passées des grandes puissances au XIXème et XXème siècle mais aussi la « victimisation » présente, orchestrée par Washington et Tokyo.
Dans ce contexte géopolitique, la Chine n’aurait pas d’autre choix que de réagir à l’agression d’un voisin, instrumentalisé par une puissance extérieure au bassin maritime sud-est asiatique, détournant à son profit les fondements mêmes du droit international et fondant ses appétits sur une tentative d’appropriation de ressources naturelles mise en évidence depuis les années 1970. Cette posture victimaire induit ni plus, ni moins, un appel à la solidarité Sud – Sud ; un axiome fondateur des relations que la Chine entend promouvoir auprès des Etats et territoires insulaires du Pacifique. Ce narratif est insuffisant voire malhabile car il n’apporte aucun explicatif à la militarisation des archipels et des pratiques de pêche, ce que ne manquent pas de relever les observateurs océaniens, diplomates et commentateurs pourtant peu familiers du dossier. Il n’en est pas moins colporté dans les mêmes termes dans les colonnes de presse, auprès des « experts » et des chancelleries.
Pour afficher le soutien aux positions chinoises de par le monde et en Océanie, le réseau des ambassades dans le Pacifique a été particulièrement mis à contribution depuis trois mois. Au Royaume des Tonga, l’ambassadeur Huang Huaguang a mis en ligne le 5 mai une tribune sur le site Internet de son ambassade (Uphold Peace and Prosperity in South China Sea). Aux Samoa, le numéro deux de la mission diplomatique Gu Xinqiang a convoqué une conférence de presse – un événement rare – pour établir la « vérité ». Au Vanuatu, le chef de la mission diplomatique Liu Quan a répondu à un jeu de questions sur une pleine page du Daily Post datée du 29 mai.
Aux Etats fédérés de Micronésie (EFM), l’ambassadeur Lie Jie s’est montré plus discret. Son site internet se limite à reproduire les déclarations de la porte-parole du ministère des Affaires étrangères Mme Hua Chunying. Il est vrai que les EFM sont le seul Etat micronésien à ne plus entretenir de relations diplomatiques avec Taïwan depuis le 11 septembre 1989. Cependant, les EFM demeurent très étroitement liés aux Etats-Unis pour leur défense et leur sécurité (le Compact Act de 1982). Dans ce cas de figure micronésien, les messages relatifs aux enjeux de la mer de Chine méridionale sont exposés plus discrètement, lors des entretiens officiels notamment avec le Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Lorin Robert.
Il en est de même avec la Papouasie Nouvelle Guinée où le vice-ministre Zheng Zeguang s’est rendu en février dernier avant de poursuivre vers les Tonga. Ces conversations diplomatiques ne restent guère confidentielles. On est en effet frappé de constater que les échanges se traduisent, bien plus souvent que par le passé, par des comptes rendus des organes de presse chinois où il n’est pas rare que les propos rapportés des hôtes soient présentés de façon exagérément favorables à la ligne diplomatique de Pékin et sans l’accord des dirigeants intéressés. Pour autant, la plupart de ces responsables politiques se montre gênée de contester publiquement les positions qui leurs sont prêtées par les journalistes chinois.
Le narratif chinois s’exprime avec peu d’entraves en Océanie
** Etats fédérés de Micronésie, Fidji, Kiribati, Nauru, Papouasie Nouvelle Guinée, îles Salomon, Samoa, Timor-Leste, Tonga, Vanuatu. L’Australie entretient également un Consulat général en Nouvelle-Calédonie.
*** Etats fédérés de Micronésie, Fidji, Marshall, Palau, Papouasie Nouvelle Guinée, îles Salomon, Timor-Leste, Samoa et Tonga. Le Japon dispose également d’un Consulat général à Guam.
Une diplomatie publique chinoise tous azimuts en Océanie
La bataille d’influence engagée par Pékin se joue dans le champ diplomatique, auprès des élites politico-administratives, dans la presse et auprès des opinions publiques. La campagne de communication a donc d’abord été méthodiquement relayée par la presse en langue chinoise de la région, à commencer par celle d’Australie qui est aussi la plus diffusée. En Nouvelle-Zélande, les colonnes du The Dominion Post de Wellington ont elles accueilli, tout comme Le Figaro, un supplément du China Daily détaillant les argumentaires du ministère des Affaires étrangères (Waijiaobu). Cette communication ordonnée n’a suscité que peu de réactions en Océanie. Les prises de position chinoises les plus élaborées sont rarement contestées au-delà de l’Australie et la Nouvelle-Zélande, faute d’expertises locales notamment universitaires et journalistiques.
** Paul Monk : China’s propaganda infiltrating our shores, The Sydney Morning Herald 10 juillet 2014. Egalement, Bill Birtles : Australian media playing into China’s grand strategy, The Drum 3 juin 2016.
** Defence White Paper 2016, New Zealand Government, 7 juin 2016, Point 3.39, p. 31. Le même document précise que plus la moitié du commerce maritime néo-zélandais transite chaque année par la mer de Chine méridionale.
Infléchir ces positions plus fermes que jamais sera une tâche d’ampleur et de longue haleine pour la Chine. De plus, le recours privilégié au soft power n’est pas une garantie absolue de succès. La diplomatie engagée ces derniers temps l’a rappelé avec rudesse lors des rebuffades diplomatiques de certains Etats océaniens. Les plus spectaculaires et récentes sont venues tour à tour du Timor-Leste et de Fidji. Des situations embarrassantes à l’heure où Pékin met en scène un à un ses soutiens sur le dossier de la mer de Chine méridionale.
Pékin peine à trouver des soutiens gouvernementaux océaniens
En internationalisant ses préoccupations sud-est asiatiques en Océanie, la République populaire de Chine rencontre(ra) des déconvenues. Elle ne pourra rassembler tous les soutiens espérés. Les gouvernements océaniens doivent compter avec des opinions publiques qui se montrent parfois plus critiques des politiques chinoises que leurs autorités – comme en témoignent les violences antichinoises aux Tonga en 2001 et 2006.
** Selon l’agence de presse Xinhua (13 avril 2016), la Chine « comprend et soutien » les aspirations fidjiennes à jouer un rôle grandissant sur la scène internationale et l’importance attachée à la nomination de l’ambassadeur Peter Thomson pour présider les travaux de la 71ème session de l’assemblée générale des Nations Unies. Il est le premier océanien à exercer cette responsabilité.
Seul le Vanuatu appui sans réserve les thèses de Pékin en Océanie
Au-delà de possibles transactions financières, en se ralliant publiquement aux thèses chinoises sur la mer de Chine méridionale, le gouvernement Salwai a pris le risque de mettre à mal les perspectives de coopération ouvertes ces toutes dernières années avec ses partenaires « aseaniens ». D’abord avec Hanoi. Lors de la visite du premier ministre Joe Natuman au Vietnam en octobre 2014 des projets de coopération se sont esquissés y compris dans le domaine de la francophonie, les deux pays participant à l’OIF. L’attitude de Port-Vila complexifie aussi un peu plus les relations déjà difficiles avec l’Indonésie, malmenées qu’elles sont depuis des mois par les solidarités ni-Vanuatu au profit des indépendantistes de Papouasie occidentale.
Si les risques de tension avec les pays d’Asie du sud-est ne sont pas nécessairement très bien appréhendés par les plus hauts responsables de Port-Vila ou minorés par ceux-ci, tous les arguments chinois sur la mer de Chine méridionale ne sont pas sans intérêt pour les ex-Nouvelles Hébrides. Dans le contexte du différend territorial qui oppose le Vanuatu à la France sur la souveraineté des îles de Matthew-et-Hunter, situées à 300 kilomètres à l’Est de la Nouvelle-Calédonie, les Ni-Vanuatu font leurs l’argument que toute revendication territoriale et maritime doit être fondée sur des faits « historiques et culturels ». Ils soulignent en effet depuis des années que les îles Matthew-et-Hunter bien qu’inhabitées sont historiquement rattachées à l’aire coutumière du Vanuatu, ce que ne contestent pas d’ailleurs certains coutumiers kanak. Mais si dans le cas de Matthew-et-Hunter le différend territorial est le fruit du processus de décolonisation, dans le cas de la mer de Chine méridionale Pékin fait comme si un siècle d’histoire coloniale n’avait eu aucun effet. Cet enjambement historique évite à la RPC d’avoir à s’opposer frontalement aux ex-puissances administrantes françaises et britanniques et de savoir au nom de qui elles détenaient depuis des décennies leurs souverainetés sur toute ou parties des îles Paracels et Spratley. Il n’est pas certain qu’il ne lui faudra pas revenir ultérieurement sur cette interprétation. Le révisionnisme historique est un danger non seulement pour l’Asie du sud-est mais il le serait tout autant pour un espace océanien où les Etats sont jeunes et continuent à faire face à d’importantes forces centrifuges (par exemple à Bougainville, Chuuk,…).
Tout le monde parlant à tout le monde dans le Pacifique, Pékin montre par sa campagne de communication qu’il lui sera plus difficile de trouver une solution aux différends territoriaux dans un schéma « Chine + 1 » et même dans des discussions en tête-à-tête avec les Américains. Dorénavant, trop d’acteurs ont été mobilisés et se sentent d’une certaine manière concernés.
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