Economie
Expert- Le Poids de l'Asie

R&D : quand l’Asie cherche et trouve

Un visiteur sud-coréen expérimente un jeu en réalité virtuelle en utilisant le Samsung Galaxy S7 Edge à la Korea Electronics Grand Fair (KES2016) à Séoul le 26 octobre 2016. (Crédits : Seung-il Ryu/NurPhoto/via AFP)
Un visiteur sud-coréen expérimente un jeu en réalité virtuelle en utilisant le Samsung Galaxy S7 Edge à la Korea Electronics Grand Fair (KES2016) à Séoul le 26 octobre 2016. (Crédits : Seung-il Ryu/NurPhoto/via AFP)
Il est des rengaines que l’on raconte aux enfants pour les endormir, d’autres que les adultes se racontent pour éviter de voir la vérité en face. Parmi ces dernières, il en circule une qui concerne l’Asie : les Asiatiques copient et sont incapables d’inventer. Cela s’entendait à propos des Japonais, puis des Coréens et maintenant des Chinois.
*J. M. Howkins, auteur de l’économie créatrice dans une tribune du Financial Times, le 12 Décembre 2013.
Outre l’amnésie historique au cœur de ces propos, ceux qui les tiennent oublient que copier permet de progresser lorsque l’on fait soi-même des efforts. Sinon la copie est une rente contre-productive comme le démontre une recherche sur les conséquences de l’espionnage industrielle par la Stasi : les espions est-allemands avaient réussi à acquérir toutes les technologies utilisées par l’Allemagne de l’Ouest ; or non seulement cette acquisition n’a pas permis le rattrapage mais la copie a eu un effet d’éviction sur la R&D en RDA. Ce n’est pas le cas en Asie et encore moins en Chine. Comme le remarque non sans ironie J. M. Howkins, auteur d’un livre sur l’économie créatrice*, dire que les Chinois sont des copieurs est une demi-vérité : ce sont d’excellents copieurs ! Si Baidu a commencé par être la copie conforme de Google, le moteur de recherche chinois a évolué. L’attention portée à la copie ne doit pas masquer l’essentiel. En même temps qu’ils copient, les pays asiatiques investissent dans la recherche et le développement.

Investissant plus de 4 points de PIB dans la R&D, la Corée est le pays qui en fait le plus et elle a récemment dépassé Israël qui était le leader mondial. Ces deux pays coopèrent depuis 2001 et c’est en Israël que Samsung a établi son premier centre de recherche à l’étranger. En 1999, les dépenses coréennes de R&D ont dépassé la barre des 2 % du PIB, la moyenne de l’OCDE, et l’objectif de Séoul est d’atteindre 5 % en 2017. Une mobilisation exceptionnelle que justifie sa situation concurrentielle car le le pays est dans un étau. Depuis plusieurs décennies, la Corée court derrière le Japon – et le dépasse parfois – et depuis les années 2000, elle est talonnée par la Chine qui a les moyens d’investir des montants considérables et qui s’engage sur les mêmes secteurs. Près des trois quarts de la R&D coréenne sont le fait du secteur privé et les plus grands chaebols en assurent l’essentiel. L’État investit dans la recherche fondamentale et l’objectif est de porter le budget à plus d’un trillion de wons en 2020. Objectif : un prix Nobel. Vingt et un scientifiques japonais – dont trois naturalisés américains – et quatre Chinois – dont trois naturalisés américains – ont reçu le Prix Nobel. Aucun Coréen. Dans la galerie qui permet d’accéder à librairie Kyobo, au centre de Séoul, à côté des photos des prix Nobel, un cadre vide attend le futur élu coréen. Chaque automne, la communauté scientifique espère et cette tension provoque des dérapages ! Il y a dix ans, les Coréens ont espéré un prix Nobel de biologie, jusqu’à que l’on découvre que le candidat avait manipulé ses résultats.

Revenu par habitant ($ en PPA), Budget alloué à la R&D ($ en PPA) et % du PIB consacré à la R&D en Asie (2014)
Revenu par habitant ($ en PPA), Budget alloué à la R&D ($ en PPA) et % du PIB consacré à la R&D en Asie (2014)
Compte tenu de sa taille, la Chine a le plus grand budget de recherche en Asie mesuré en parité de pouvoir d’achat (plus pertinent qu’en dollar courant) et le second au monde derrière les États-Unis (respectivement 370 et 420 milliards de dollars). Son budget est celui qui augmente le plus vite, sa part dans le PIB passant de 1,8 % en 2011 à 2,1 % en 2014 et l’objectif est 2,5 % en 2020. La stratégie chinoise a été présentée dans le plan 2006-2020 publié en 1996 par le Conseil d’État et son ambition est d’évoluer du « fabriqué en Chine » au « conçu en Chine », en privilégiant une vingtaine de domaines dont l’énergie, les technologies de l’information, les biotechnologies, la construction aéronautique, l’environnement ou le développement durable. Les entreprises assurent plus de la moitié des dépenses, en coopération avec les instituts de recherche et les universités. L’ouverture aux investissements directs étrangers (IDE) est une dimension de cette politique. Différente en cela des autres pays d’Asie de l’Est, la Chine joue sur l’appât de son marché pour imposer des transferts de technologies et l’implantation de centres de R&D. Des centaines d’entreprises l’ont fait qui, hésitant à engager des recherches dans un pays peu respectueux de la propriété intellectuelle, privilégient la partie Développement de la R&D. C’est le cas des groupes pharmaceutiques attirés par les opportunités colossales offertes par l’élargissement de la couverture santé. Les États d’Asie du Sud-Est et d’Asie du Sud se mobilisent beaucoup moins : l’Inde et Singapour consacrent 2 % du PIB à la R&D et les autres pays moins d’1 %.

Pour éviter les biais nationaux, évaluons les résultats de ces efforts à l’aune des brevets déposés auprès du Bureau américain des brevets, l’US Patents and Trademarks Office (USPTO). Entre 1995 et 2000, la Corée y a déposé 12 000 brevets, soit moins que la France (18 000) et dix fois moins que le Japon. Entre 2010 et 2016, elle en a déposé presque autant que l’Allemagne et trois fois moins que le Japon. Entre-temps, le nombre de brevets déposés par les Chinois a été multiplié par cent, de 577 à près de 60 000, plus que la France et deux fois moins que la Corée. Par contre, le nombre déposé par les pays d’Asie du Sud-Est demeure beaucoup plus faible – entre 2010 et 2016, respectivement 200 pour l’Indonésie, 880 pour la Thaïlande, 2 000 pour la Malaisie et 7 000 pour Singapour.

Déposer des brevets répond parfois à des objectifs stratégiques. Aussi, utiliser cet indicateur pour évaluer les efforts de recherche des pays est critiquable. L’évolution de leur nombre n’en est pas moins révélatrice de la montée de la recherche. Certes, ni la Chine, ni la Corée ne sont à l’origine de ruptures technologiques. Mais, il ne faut pas l’oublier, ces pays sont engagés dans une stratégie de rattrapage.

Nombre de brevets déposés à l’USPTO par Taïwan, le Japon, l'Allemagne, la France, la Chine et la Corée du Sud (1995-2016)
Nombre de brevets déposés à l’USPTO par Taïwan, le Japon, l'Allemagne, la France, la Chine et la Corée du Sud (1995-2016)

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).