Brevets, R&D : l'Asie au coeur de l'innovation
Sur la pléthore d’indicateurs sollicités par l’OMPI, deux nous intéressent particulièrement : les investissements en R&D, qui permettent de mesurer l’innovation en amont, et les dépôts de brevets, qui permettent de la mesurer en aval. Cap sur l’Asie qui innove, en 4 questions.
Contexte
Pourquoi les pays asiatiques cherchent-ils à innover ? Outre le prestige et la respectabilité qu’ils peuvent en tirer, les raisons sont avant tout économiques : améliorer la productivité et attirer une main d’oeuvre étrangère qualifiée pour stimuler la croissance. Pas étonnant, donc, que la Chine table massivement sur la R&D alors que sa croissance économique s’essouffle petit à petit… Et que des pays faiblement dotés en ressources naturelles comme le Japon, la Corée du Sud et Singapour lui aient accordé tant d’importance.
Quels sont les pays asiatiques qui investissent le plus en R&D ?
Mais cette croissance risque de s’essouffler rapidement si la Chine ne développe pas ses technologies de pointe en conséquence. Sans cela, le pays sera moins attractif, d’autant plus que les récentes augmentations de salaire et le ralentissement de son économie inquiètent l’industrie. Les investisseurs pourraient donc être tentés de se tourner vers l’Asie du Sud-Est.
Une analyse plus fine montre une tendance édifiante : la valeur des investissements chinois rapportés au PIB du pays est encore en-dessous de celle de la Corée du Sud et du Japon. Ces deux pays investissent depuis plus longtemps dans la R&D et ciblent leur recherche sur les domaines de pointe et à haute valeur ajoutée. La Corée du Sud, qui se focalise sur les technologies vertes, enregistre le score le plus élevé de toute l’Asie avec des investissements en R&D équivalents à 4,4% de son PIB en 2014.
L’Asie du Sud constitue le 2e pôle régional d’investissement en R&D grâce aux efforts de l’Inde (48 milliards de dollars PPP en 2011, soit deux fois plus qu’en 2008). Mais le jeu des comparaisons est sans pitié : les investissements indiens en R&D sont à peu près 7 fois inférieurs à ceux de la Chine, alors que les deux pays ont un taux de croissance comparable. Cela s’explique entre autres par le manque d’infrastructures en Inde, où l’environnement reste défavorable aux PME. Cela dit, le rapport du GII rappelle que, dans le cas indien, une partie des données pertinentes ne sont pas disponibles – notamment en raison du poids du secteur informel – ce qui tire artificiellement les performances du pays vers le bas.
L’Asie du Sud-Est arrive en troisième position, menée par Singapour avec des investissements en R&D à hauteur de 8 milliards de dollars PPP en 2012, soit 2% de son PIB (4 fois plus que la moyenne de la zone). La cité-Etat a fait de la R&D appliquée à l’industrie une priorité de longue date pour stimuler sa croissance et attirer la main d’oeuvre dont elle manque structurellement. Néanmoins, ses investissements sont encore inférieurs au niveau d’avant 2008.
La Malaisie suit Singapour de près avec des investissements supérieurs à 7 milliards de dollars PPP en 2012, essentiellement tournés vers les technologies de l’information et de la communication – à l’instar de l’Indonésie (2,1 milliards de dollars PPP en 2013) et du Vietnam (789 millions de dollars PPP en 2011).
L’Asie centrale, enfin, clôt le classement. La sous-région est tirée vers le haut par le Kazakhstan (93% des dépenses en R&D), tenant d’une politique ultra-volontariste. Astana veut en effet renouer avec sa tradition scientifique d’ex-république soviétique afin de répondre aux besoins industriels et économiques nationaux d’une part, et de s’ériger en pôle de diffusion de connaissances d’autre part. Le Kazakhstan souhaite ainsi consacrer 1% de son PIB à la R&D en 2016 et 3% à l’horizon 2050 (contre 0,16% seulement en 2013).
Dans quelle mesure les pays asiatiques font-ils financer leur R&D par l’étranger ?
La Corée du Sud, pays d’Asie qui investit le plus en R&D, dépend très faiblement des IDE dans ce domaine (0,3% de ses investissements totaux). Cette infime proportion s’explique par un manque d’attractivité lié à la faible compétitivité des PME et à l’ultra-spécialisation de la R&D sud-coréenne.
La Chine, en revanche, s’érige en hub des investissements étrangers en recherche et développement. Si les IDE qui lui parviennent stagnent de manière générale, ceux ciblés sur la R&D ne cessent d’augmenter. Pékin en est même le premier bénéficiaire mondial (3 milliards de dollars PPP en 2013). Sur les 5 dernières années, les secteurs chinois les plus attractifs sont ceux de l’industrie pharmaceutique (près de 25% des IDE en R&D), les machines et équipement de bureau (15%) et l’électronique grand public (10%).
L’Asie du Sud-Est se détache du lot : Singapour, Malaisie, Vietnam et Thaïlande disposent d’un taux de financement extérieur important (plus de 2 % des investissements totaux). En 2012, Singapour a bénéficié de 483 millions de dollars d’IDE en R&D, soit 5,9% de ses investissements totaux dans le secteur. La cité-Etat a volontairement orienté son économie autour des secteurs porteurs en R&D pour attirer les investissements. Mais elle est également une source de financement importante pour ses pays voisins, comme la Malaisie. Avec 388 millions de dollars d’IDE en R&D (4,6% des investissements totaux dans le secteur), Kuala Lumpur arrive en deuxième position dans la sous-région. Elle souhaite devenir le premier récipiendaire des IDE en R&D de l’ASEAN.
L’Asie centrale attire peu d’IDE dans le secteur de la R&D, avec 5,7 millions de dollats PPP pour les pays renseignés. Et le Kazakhstan en capte la quasi-totalité (95%). Cependant, les politiques volontaristes d’Astana sont encore trop récentes pour constater un impact sur la dynamique de financement extérieur – d’autant plus que l’Etat et les pouvoirs publics kazakhstanais orientent de façon dirigiste la recherche et l’innovation, ce qui peut rendre frileux les investisseurs étrangers (comme en Corée du Sud).
Pour ce qui est de l’Inde, l’UNESCO ne dispose pas de données fiables. Néanmoins, en 2009, les IDE en R&D à destination de New Delhi s’établissaient à 3,56 milliards de dollars courants soit 1 milliard de dollars PPP – donc 2,71% de ses dépenses totales en R&D. Les logiciels et les secteurs informatiques ont bénéficié de plus de la moitié des IDE en R&D (50,4%), suivis par l’aérospatial (12,5%), l’industrie pharmaceutique et biotechnologique (9,7%), et l’automobile (9,3%).
Quelle est la part des financements publics dans la R&D en Asie ?
En Asie du Sud-Est, où le secteur public contribue environ au tiers des dépenses en R&D à l’exception du Vietnam (64,5%), les données de l’OCDE montrent que l’efficacité des financements publics varie en fonction de leur attribution. En effet, plus le pays finance sa R&D au sein des universités, plus elle est performante, alors que les instituts publics de recherche sont tenus responsables d’un manque d’efficacité. L’organisation classe par ordre de performance en R&D la Malaisie, la Thaïlande puis Singapour.
Quant aux pays d’Asie centrale issus de l’ex-URSS, ils gardent encore une trace du dirigisme de l’Etat, auquel s’ajoute un faible développement des PME. Le Kirghizistan affiche 57,7% de financement public pour sa R&D, contre 63,7% pour le Kazakhstan et 92,2% pour le Tadjikistan.
Comment la R&D asiatique se traduit-elle en dépôts de brevets ?
Dans les années 1990 en Chine, les forts taux de croissance économique ont poussé les autorités à s’intégrer dans le système international de la propriété intellectuelle. Pékin a donc incité financièrement ses entreprises nationales à déposer des brevets. Une dynamique également épousée par les entreprises étrangères, cherchant à se protéger des violations de propriété intellectuelle sur le marché chinois, l’un de ses problèmes structurels.
L’Inde, quant à elle, se trouve dans un entre-deux. Elle occupe certes la 4e place du classement en 2014, mais elle reste 10 fois moins performante que la Corée du Sud classée 3e… et 37 fois moins que Pékin ! Un score faible, donc, au regard de sa puissance économique et démographique. Et si le gouvernement de New Delhi l’impute à un manque de sensibilisation des entreprises aux questions de propriété intellectuelle, d’aucuns y voient la conséquence d’une éducation supérieure dont la qualité laisse à désirer.
Cependant, ce classement ne saurait agir comme un argument d’autorité. Il faut en effet prendre en compte la nuance entre les brevets déposés et les brevets acceptés. Car un brevet n’est accepté que lorsqu’il consacre une nouvelle invention. Le simple dépôt de brevets peut parfois signifier la seule volonté de défendre ses droits sur un marché concurrentiel.
Plus intéressant, ces chiffres permettent de calculer le ratio entre brevets déposés et brevets acceptés. Si Tokyo et Séoul maintiennent leur classement avec des taux respectifs de 64% et 55%, Pékin dégringole avec un ratio de 21%, faisant – une fois n’est pas coutume – moins bien que… l’Inde et ses 23%.
Ce qui frappe également, c’est le ratio très haut du Kazakhstan, qui prend la deuxième place du classement avec ses 61%. Sa recherche universitaire est reconnue, mais la diffusion des brevets à l’économie n’est pas acquise.
La Thaïlande et l’Indonésie ferment la marche, avec des taux respectifs de 14% et 7%. Bangkok pâtit en effet d’un manque de main d’œuvre qualifiée, à commencer par les ingénieurs, tandis que Jakarta souffre d’un manque de confiance dans son système juridique pour faire respecter la propriété intellectuelle.
Une autre raison de se méfier du nombre de brevets déposés, c’est la notion de puissance des brevets. Car tous ne se valent pas, comme l’explique l’OMPI. Tout dépend de l’importance d’un brevet (est-il révolutionnaire ou n’apporte-t-il qu’une simple amélioration ?), de son marché (quel volume de vente et pour combien de temps ?), de sa durée de validité et de la « quantité d’inventions préalables du même type ». Ainsi, d’après l’association américaine IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineers), 1 brevet américain équivaudrait à 14 brevets japonais, 31 brevets sud-coréens, 71 brevets chinois… et 105 brevets français.
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