Politique
Billet d'humeur

En 2017, Taïwan sera-t-elle la victime de Trump ?

Le président-élu des Etats-Unis Donald Trump a reçu vendredi 2 décembre un appel de la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen. Une première depuis 37 ans entre les deux chefs d'Etat. (Crédit : AFP PHOTO / STAFF)
Le président-élu des Etats-Unis Donald Trump a reçu vendredi 2 décembre un appel de la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen. Une première depuis 37 ans entre les deux chefs d'Etat. (Crédit : AFP PHOTO / STAFF)
Pékin a mis ses menaces à exécution. Mardi 20 décembre, le petit État insulaire de Sao Tomé-et-Principe, l’un des trois derniers alliés diplomatiques africains de Taipei, a rompu ses relations avec Taïwan au profit du continent chinois. Une reprise de la « bataille diplomatique » qui vise à isoler un peu plus l’île sur la scène internationale, devenue trop bruyante au goût de Pékin depuis l’accession de Tsai Ing-wen à sa tête en mai 2016, mais aussi (et surtout ?) à la suite de l’élection de Donald Trump… En cause : la remise en question du « consensus de 1992 » par Tsai et du « principe d’une seule Chine » par Trump. L’investiture du président américain le 20 janvier 2017 va-t-elle faire bouger les lignes au point de voir la situation échapper complètement des mains de Taipei ?
Il est toujours utile de rappeler ce qu’est le « consensus de 1992 » et le « principe d’une seule Chine ». Le « consensus de 1992 » est un accord tacite auxquels sont parvenus les représentants informels de Pékin et de Taipei en 1992, à Hong Kong. Les deux parties se sont alors entendues pour reconnaître que l’île de Taïwan et le continent chinois font partie d’une seule et même Chine – libre à chacun de considérer de quelle « Chine » il s’agit. En l’occurrence pour Pékin, la République populaire de Chine, fondée en 1949 par Mao Zedong ; pour Taipei, la République de Chine, fondée en 1912 sur le continent chinois et repliée à Taïwan depuis 1949 à l’issue de la guerre civile. La reconnaissance de ce consensus par Pékin et par Taipei implique celle d’une seule et même nation chinoise de part et d’autre du détroit de Taïwan, dont l’objectif ultime reste la réunification sous l’égide d’un même État. Pékin considère ce consensus comme la pierre angulaire des relations interdétroit, tandis que Taipei, depuis l’accession au pouvoir de Tsai Ing-wen, souhaite l’écarter pour lui substituer de nouvelles fondations.

Le « principe d’une seule Chine » étend à l’échelle diplomatique les postulats du « consensus de 1992 », qui est réservé aux relations sino-taïwanaises. Il implique donc la reconnaissance par un État tiers que l’île de Taïwan et le continent chinois font partie d’une seule et même Chine. Ce principe est considéré par Pékin comme un pré-requis à l’établissement de relations diplomatiques avec un autre pays. Ainsi, l’État qui souhaite échanger des ambassadeurs avec Pékin s’engage à reconnaître la souveraineté des autorités continentales sur Taïwan, et donc à ne pas reconnaître les autorités de Taipei. Car en vertu de ce principe, il ne peut exister qu’un seul gouvernement légitimement représentatif de la nation chinoise dont la population de Taïwan est partie intégrante. C’est sur ce point que la République populaire de Chine attaque Donald Trump.

En 2016, Pékin a subi une double peine dans le détroit de Taïwan. Premier coup dur, l’élection de Tsai Ing-wen à la tête de l’île, candidate du Parti démocrate-progressiste (DPP) considéré comme méfiant vis-à-vis de Pékin – du fait de sa posture initialement indépendantiste (c’est-à-dire en faveur de la création d’une République de Taïwan se substituant à la République de Chine) lors de sa fondation en 1986. En outre, pour la première fois depuis la démocratisation du régime insulaire, le DPP jouit également de la majorité parlementaire, ce qui lui offre une marge de manœuvre confortable.
Second coup dur, l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, Pékin ne s’attendait certainement pas à voir le Républicain adopter une posture si dubitative vis-à-vis de la « politique d’une seule Chine », propulsant Taïwan sur le devant de la scène internationale. Élément déclencheur : l’affaire du coup de fil entre le président-élu américain et la présidente de Taïwan, le vendredi 2 décembre.

Trump a déjà rompu avec la « politique d’une seule Chine »

Laissons de côté les discours dédramatisants des analystes et des politiques en Occident. En communiquant sur le coup de fil qu’il a reçu de Tsai Ing-wen et en la qualifiant ouvertement de « présidente de Taïwan », Donald Trump a bel et bien rompu avec la « politique d’une seule Chine » – même temporairement. En se vantant publiquement d’un appel téléphonique qu’il a accepté de la part de la présidente taïwanaise, le milliardaire a de fait mis à bas 37 années de coutume diplomatique – Washington ayant officiellement reconnu Pékin en 1979. Cette revendication d’un échange direct fait sauter le verrou d’un interdit implicitement rivé par les autorités communistes.
Par ailleurs, en parlant de Tsai Ing-wen comme « présidente de Taïwan », Donald Trump (soutenu par son équipe de transition) reconnaît une indépendance de facto de l’île. Déclarer qu’il existe une « présidente » dans l’île remet en cause la souveraineté de Pékin sur ce territoire, pourtant induite par le « principe d’une seule Chine ». C’est d’ailleurs pour cela que les éléments de langage jusqu’à récemment partagés par Pékin et Washington faisaient état d’un « leader » et non d’un « président » à Taïwan.

Trump peut-il retourner la situation contre Taïwan ?

A priori, ce geste de rupture aurait pu bénéficier à Taïwan. Car depuis son investiture le 20 mai dernier, Tsai Ing-wen cherche à se départir du « consensus de 1992 » pour trouver un autre fondement aux relations entre Pékin et Taipei. Ainsi, le soutien – indirect – de Donald Trump au profit d’un changement de paradigme aurait pu peser dans la balance.
C’était sans compter sur l’inflexibilité de la Chine qui a choisi de sanctionner Tsai plutôt que Trump. Après avoir rompu les canaux de communication interdétroit dès l’investiture de la présidente taïwanaise, et réduit le contingent de touristes continentaux à destination de l’île, le revirement diplomatique de Sao Tomé-et-Principe en est la parfaite illustration. Désormais, Tsai appelle au calme et à l’unité nationale à Taïwan sans pour autant promettre de revirement.
Mais tout n’est pas entre ses mains. Donald Trump s’est profondément inséré dans la redéfinition des relations interdétroit – et ne s’est même pas caché de considérer la remise en cause du « principe d’une seule Chine » comme une incitation vis-à-vis de Pékin, afin d’obtenir des avantages en matière d’échanges commerciaux entre Chine et États-Unis. Être un pion sur l’échiquier politique sino-américain : voilà ce que redoutait Taïwan, et qui semble pourtant bien se profiler.

Trump pointe du doigt une situation ubuesque

Quelles que soient ses motivations, les déclarations fracassantes de Trump ont le mérite de mettre le doigt sur l’ambiguïté constitutive des relations entre Pékin et Taipei, et sur le sacro-saint statu quo entre les deux rives du détroit.
Qu’est-ce que le statu quo ? Une forme de suspension de la situation empêchant à la fois l’indépendance de l’île en tant que République de Taïwan, et la réunification entre Taïwan et le continent. Or ce statu quo est, par définition, intenable. Primo, le recouvrement effectif de Taïwan par Pékin est considéré comme un « intérêt fondamental » par la République populaire de Chine. Secundo, l’échiquier politique taïwanais se polarise autour d’une première coalition (pan-bleue, menée par le Kuomintang) refusant de renoncer à l’unification à long terme, et d’une seconde (pan-verte, menée par le DPP au pouvoir) refusant de renoncer sur le long terme à l’indépendance de l’île en tant que République de Taïwan.
D’un geste franc et nouveau, Donald Trump balaye donc d’un revers de la main le respect des représentations et des fictions nationales nourries par Pékin (et par certains à Taipei), en reconnaissant – certes non diplomatiquement mais ouvertement – qu’il existe bien deux Etats distincts de part et d’autre du détroit de Taïwan.
Mais les conséquences seront certainement bien plus lourdes à porter pour Taipei que pour Washington. Car en vertu de la loi anti-sécession proclamée en 2005 par Pékin, les autorités continentales s’accordent le droit d’envahir militairement Taïwan en cas de proclamation d’indépendance, mais aussi de velléités d’indépendance trop poussées. Le comportement de Trump, qui n’est pas seul responsable de la situation, peut-il contribuer à faire glisser Pékin sur cette pente belliqueuse ?
Par la Rédaction

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