Economie
Expert- Le Poids de l'Asie

Chine : pourquoi l'Europe a dit non au statut d'économie de marché

Le président de la commission européenne Jean-Claude Juncker lors du G20 à Hangzhou (province chinoise du Zhejiang), le 4 septembre 2016. (Crédits : Stringer / Imaginechina / via AFP)
Le président de la commission européenne Jean-Claude Juncker lors du G20 à Hangzhou (province chinoise du Zhejiang), le 4 septembre 2016. (Crédits : Stringer / Imaginechina / via AFP)
Le cave se rebiffe ! Comme promis par l’OMC, la Chine devait se faire reconnaître le statut d’économie de marché ce 11 décembre 2016, soit 15 ans après son adhésion à l’organisation mondiale du commerce. Les États-Unis et le Japon y restent opposés, mais jusqu’à récemment, l’Union européenne était disposée à cette reconnaissance. Elle a finalement décidé que non. Comment expliquer ce revirement ?
Lorsque la Chine a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), elle était le sixième exportateur derrière le Royaume-Uni et la France. Quinze ans plus tard, elle est le premier. Sur le marché européen, les produits made in China ont d’abord concurrencé les pays émergents comme dans le cas de l’habillement. La concurrence chinoise s’est élargie et, pesant sur les prix, elle a amélioré l’ordinaire des ménages tout en mettant en difficulté un nombre croissant de producteurs et leurs salariés. La situation s’est aggravée après la crise mondiale. Pour maintenir sa croissance, la Chine a en effet investi massivement dans les infrastructures, les énergies non renouvelables et l’industrie : en 2010-11, son investissement (en dollars) dans le secteur manufacturier était huit fois celui de l’Allemagne, l’accroissement de sa capacité sidérurgique équivalant à celle installée dans la Ruhr. Aujourd’hui, 60 % de la capacité sidérurgique mondiale est en Chine. Avec une surcapacité d’environ 200 millions de tonnes, elle exporte plus de 100 millions de tonnes à des prix de dumping.
Part de marché des importations chinoises dans l'Union européenne.
Part de marché des importations chinoises dans l'Union européenne.

Mesurer le dumping

Une entreprise d’un pays A est accusée de dumping lorsqu’elle vend un produit dans un pays B à un prix inférieur à celui qu’elle pratique sur son marché. Délicate lorsque A et B sont des économies de marché, cette appréciation est bien plus compliqué lorsque les prix du pays A ne sont pas déterminés par le marché. La question s’est posée avec l’adhésion des pays socialistes au GATT et dès sa création en 1995, l’OMC a autorisé les pays membres à utiliser des méthodes non fondées sur une stricte comparaison avec les prix intérieurs des pays exportateurs.

Les Européens ont choisi la méthode du pays analogue. En cas de dumping, ils ne comparent pas le prix des exportations chinoises au prix intérieur chinois mais au prix pratiqué dans un pays à économie de marché. Autrement dit, pour déterminer si les ventes de produits sidérurgiques chinois relèvent du dumping, ils comparent au prix de ces mêmes produits aux États-Unis.

Les Américains, eux, ont choisi la méthode de la « réduction à zéro ». Ils comparent le prix chinois aux prix des exportations chinoises sur des marchés étrangers en retenant seulement les cas où ils sont inférieurs pour déterminer des pénalités qui sont plus fortes que celles de l’UE. Une méthode dénoncée à l’OMC par les Européens, les Brésiliens et les Chinois en 2013.

La question du statut d’économie de marché

Lorsque la Chine a adhéré à l’OMC, les pays membres ne lui ont pas accordé le statut d’économie de marché (SEM). Cependant à la fin des négociations, ils ont ajouté un alinéa d : « Dès que la Chine aura établi, conformément au droit national du membre importateur, qu’elle est une économie de marché, les dispositions de l’alinéa a seront abrogées. […] En tout état de cause, ces dispositions […] arriveront à expiration 15 ans après la date d’accession »… c’est-à-dire le 11 décembre 2016.

Les diplomates ont eu une vision idyllique de l’évolution de la Chine. Ils pensaient qu’à l’horizon 2016, le pays serait une économie de marché voire une démocratie après avoir suivi la même trajectoire que la Corée et Taïwan. Ils n’anticipaient ni qu’elle deviendrait le 1er exportateur mondial, ni que le Parti communiste chinois présenterait la démocratie comme un péril. En 2016, l’État joue un rôle considérable dans l’économie, à travers les crédits, les subventions – en particulier l’énergie. Cependant, bien qu’elle se définisse comme une « économie socialiste de marché », la Chine estime qu’en vertu du protocole, le SEM doit lui être attribué. Vue de Beijing, toute autre décision relève d’un traitement discriminatoire.

Reconnaître ce statut ne signifierait pas l’abandon de mesures anti-dumping, mais l’utilisation des prix chinois conduirait à des pénalités inférieures. En mai 2016, on recensait cas de dumping 73 couvrant moins de 2 % (en valeur) des importations européennes de Chine. Les plus importantes concernent les panneaux solaires (droits de 47,6 %), la sidérurgie et la céramique. Octroyer le SEM à la Chine provoquerait entre 30 400 et 77 000 suppressions d’emplois à court terme, soit deux fois plus à moyen terme selon la Direction générale du Commerce à la Commission européenne, davantage selon Aegis, une association liée aux milieux industriels, et près d’1 million si l’on en croit une étude de l’Economic Policy Institute, proche des syndicats américains.

Le revirement de l’UE

Selon la lecture qu’ils font du protocole d’adhésion, les Américains ne se jugent pas tenus d’accorder le SEM à la Chine. Acceptant le risque d’être condamné par l’OMC, ils ont confirmé leur refus. Mais en octobre dernier, l’OMC ayant donné raison à ceux qui dénonçaient la méthode de la réduction à zéro, les États-Unis vont tout de même devoir élaborer une autre méthode.

Si l’attitude des Américains et des Japonais qui ont eux aussi refusé le SEM à Pékin n’a pas surpris les Chinois, ils ont été étonnés du revirement européen. En effet, d’une part, la Commission n’avaient pas la même interprétation du texte que les Américains, et d’autre part, plusieurs dirigeants européens avaient annoncé que l’UE accorderait le SEM. Le ton a évolué au cours de l’année et en mai dernier, le Parlement Européen a voté à l’unanimité contre l’octroi du SEM. Ce vote non contraignant et la mobilisation de nombreux acteurs ont amené la Commission à changer de position. Bottant en touche sur le SEM, elle a annoncé un changement de méthodologie qui concerne tous les pays – ce qui signifie la fin de la distinction entre SEM et non SEM. La Commission mettra en place un système de veille ciblée sur des pays et des secteurs, instruira les dossiers de dumping et évaluera les écarts sur la base d’une méthode proche du pays analogue. Parallèlement, elle musclera son arsenal pour que les sanctions soient plus dissuasives et plus rapides. Cette proposition a été acceptée par les États-membres et en attendant sa ratification par le Parlement européen, la Commission continuera de traiter la Chine avec la méthode du pays analogue.

La Chine a réagi en s’auto-déclarant économie de marché et en déposant une plainte à l’OMC contre le maintien par les États-Unis et l’UE de leur méthode d’évaluation d’anti-dumping. Les premières escarmouches d’une guerre commerciale à venir.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).