Chine : pourquoi l'Europe a dit non au statut d'économie de marché
Mesurer le dumping
Les Européens ont choisi la méthode du pays analogue. En cas de dumping, ils ne comparent pas le prix des exportations chinoises au prix intérieur chinois mais au prix pratiqué dans un pays à économie de marché. Autrement dit, pour déterminer si les ventes de produits sidérurgiques chinois relèvent du dumping, ils comparent au prix de ces mêmes produits aux États-Unis.
Les Américains, eux, ont choisi la méthode de la « réduction à zéro ». Ils comparent le prix chinois aux prix des exportations chinoises sur des marchés étrangers en retenant seulement les cas où ils sont inférieurs pour déterminer des pénalités qui sont plus fortes que celles de l’UE. Une méthode dénoncée à l’OMC par les Européens, les Brésiliens et les Chinois en 2013.
La question du statut d’économie de marché
Les diplomates ont eu une vision idyllique de l’évolution de la Chine. Ils pensaient qu’à l’horizon 2016, le pays serait une économie de marché voire une démocratie après avoir suivi la même trajectoire que la Corée et Taïwan. Ils n’anticipaient ni qu’elle deviendrait le 1er exportateur mondial, ni que le Parti communiste chinois présenterait la démocratie comme un péril. En 2016, l’État joue un rôle considérable dans l’économie, à travers les crédits, les subventions – en particulier l’énergie. Cependant, bien qu’elle se définisse comme une « économie socialiste de marché », la Chine estime qu’en vertu du protocole, le SEM doit lui être attribué. Vue de Beijing, toute autre décision relève d’un traitement discriminatoire.
Reconnaître ce statut ne signifierait pas l’abandon de mesures anti-dumping, mais l’utilisation des prix chinois conduirait à des pénalités inférieures. En mai 2016, on recensait cas de dumping 73 couvrant moins de 2 % (en valeur) des importations européennes de Chine. Les plus importantes concernent les panneaux solaires (droits de 47,6 %), la sidérurgie et la céramique. Octroyer le SEM à la Chine provoquerait entre 30 400 et 77 000 suppressions d’emplois à court terme, soit deux fois plus à moyen terme selon la Direction générale du Commerce à la Commission européenne, davantage selon Aegis, une association liée aux milieux industriels, et près d’1 million si l’on en croit une étude de l’Economic Policy Institute, proche des syndicats américains.
Le revirement de l’UE
Si l’attitude des Américains et des Japonais qui ont eux aussi refusé le SEM à Pékin n’a pas surpris les Chinois, ils ont été étonnés du revirement européen. En effet, d’une part, la Commission n’avaient pas la même interprétation du texte que les Américains, et d’autre part, plusieurs dirigeants européens avaient annoncé que l’UE accorderait le SEM. Le ton a évolué au cours de l’année et en mai dernier, le Parlement Européen a voté à l’unanimité contre l’octroi du SEM. Ce vote non contraignant et la mobilisation de nombreux acteurs ont amené la Commission à changer de position. Bottant en touche sur le SEM, elle a annoncé un changement de méthodologie qui concerne tous les pays – ce qui signifie la fin de la distinction entre SEM et non SEM. La Commission mettra en place un système de veille ciblée sur des pays et des secteurs, instruira les dossiers de dumping et évaluera les écarts sur la base d’une méthode proche du pays analogue. Parallèlement, elle musclera son arsenal pour que les sanctions soient plus dissuasives et plus rapides. Cette proposition a été acceptée par les États-membres et en attendant sa ratification par le Parlement européen, la Commission continuera de traiter la Chine avec la méthode du pays analogue.
La Chine a réagi en s’auto-déclarant économie de marché et en déposant une plainte à l’OMC contre le maintien par les États-Unis et l’UE de leur méthode d’évaluation d’anti-dumping. Les premières escarmouches d’une guerre commerciale à venir.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don