Afghanistan : annus horribilis, une fois de plus !
L’occasion, dans cette ambiance 2016 crépusculaire, d’opérer dans les paragraphes à venir un rapide tour d’horizon de la matrice générale afghane ; un panorama global qui, comme l’aura pressenti le lecteur, apporte moins de sujets d’espoir que de motifs de (grande) préoccupation pour le court terme, quel que soit l’angle retenu.
Insurrection talibane et progrès de Daech
Les forces régulières se trouvent de toute évidence sur une trajectoire et vitalité inverses. Ces derniers mois, l’armée afghane aurait perdu en moyenne de 30 à 50 soldats chaque jour, tarissant progressivement ses effectifs (on parle désormais d’un taux dramatique d’attrition de 33%, insoutenable à terme) et sa déjà toute relative attractivité auprès de recrues ne se pressant plus guère dans les bureaux de recrutement.
Les attentats-suicides, le recours aux redoutables IED (engins explosifs improvisés), n’ont pas connu la moindre pause ; y compris dans les périmètres a priori « sécurisés » de la capitale Kaboul. En témoignent attentats contre le ministère de la Défense en septembre (24 morts), visant l’université américaine un mois plus tôt (14 morts), ciblant un site religieux chiite en octobre (une quinzaine de victimes).
Les Talibans ne sont pas les seuls à durement affliger la vie des Afghans et de leurs forces de sécurité, chaque jour passant davantage sur la brèche, se rapprochant dangereusement du point de rupture. Il faut compter aussi avec les actions meurtrières des groupes islamo-terroristes Al-Qaïda et Daech. Ce dernier a profité d’un certain engouement local lors de l’année écoulée – comme dans la province orientale du Nangarhar -, ralliant sous sa bannière ultra-violente des éléments hier encore dans les rangs des Talibans (afghans et pakistanais) et d’Al-Qaïda.
La confiance perdue dans le gouvernement
Si le chef de l’État précédent Hamid Karzai quitta en 2014 ses fonctions au grand soulagement de la population, cette dernière éprouverait presque aujourd’hui une certaine nostalgie pour son administration, tant le gouvernement actuel peine à convaincre ses administrés de ses aptitudes au management. Il est vrai que celui-ci, après deux années d’une activité chaotique, brille avant tout pour ses ratés et « oublis » majeurs, à l’image de ces élections législatives qui devaient initialement être organisées cet été ou encore de la nomination d’Abdullah Abdullah au poste (inexistant aujourd’hui) de Premier ministre.
Dialogue de paix en panne
Ce n’est pas l’étonnant accord (draft peace deal) paraphé en septembre par le président et l’ancien Premier ministre Hekmatyar qui emportera la conviction des Afghans comme des observateurs étrangers. Surnommé le « boucher de Kaboul », notoirement proche d’Islamabad et inscrit depuis 2003 sur la liste américaine des « Global terrorists », Gulbuddin Hekmatyar et son parti Hezb-i-Islami n’ont cessé de changer d’allégeance lors des dernières décennies.
La manne financière engloutie, l’opium matrice de l’économie
Pourtant, dans ce pays où l’espérance de vie à la naissance demeure inférieure de trente ans au standard français, on ne saurait dire que rien de substantiel n’a été entrepris pour le développement depuis quinze ans. La santé (accès aux soins, hôpitaux, dispensaires), l’éducation (scolarisation en hausse, retour des filles à l’école, multiplication des établissements scolaires et universitaires, formations diverses), les infrastructures (électrification, construction-modernisation de routes, irrigation, télécommunications) en offrent d’évidents témoignages. Mais ces témoignages pèsent sans doute bien peu au regard des attentes de la population.
Assistance internationale et peur du désengagement américain
Réunis début octobre à Bruxelles, résistant à une lassitude redoutée par Kaboul en ces temps d’atonie économique et budgétaire, les représentants de 70 pays ont consenti une enveloppe d’une quinzaine de milliards de dollars pour les quatre prochaines années. Ce qui a confirmé une dynamique d’assistance (maintien de 13 000 soldats jusqu’en 2020, financement des forces afghanes à hauteur de 5 milliards de dollars par an) et d’empathie entrevue un trimestre plus tôt lors du sommet de l’OTAN à Varsovie en juillet dernier.
La partition jouée par certains acteurs en particulier interpellera davantage. Il en va ainsi de la République islamique du Pakistan et de l’Arabie Saoudite. Le royaume wahhabite cultive le paradoxe de soutenir à la fois officiellement le gouvernement d’Ashraf Ghani, tandis que les Talibans comptent parmi leurs plus généreux sponsors étrangers des sujets du royaume… Quant au Pakistan, dont on ne présente plus le rôle pour le moins trouble si ce n’est étrange chez le voisin afghan (entre assistance, condescendance et franche ingérence), il y aurait beaucoup à dire et peu à défendre. Davantage en cours à Kaboul, l’Inde s’est montrée bien plus à son avantage, au grand déplaisir que l’on imagine d’Islamabad…
Un mot enfin des États-Unis. Si certains alliés stratégiques de Washington en Asie-Pacifique se sont émus du résultat de l’élection présidentielle et notamment de l’arrivée prochaine à la Maison-Blanche d’un président dont la finesse de la lecture stratégique ne parait pas être la qualité première (on pense ici à Séoul, Tokyo, voire Taipei), un émoi compréhensible a également gagné Kaboul. Pour l’Afghanistan et ses 33 millions d’administrés, la perspective d’un éventuel désengagement américain à court ou moyen terme résonnerait du son particulier de la menace, du danger vital. Au milieu de tous ces tourments et des diverses pathologies éreintant le patient afghan, il n’est guère besoin d’ajouter davantage à sa douleur.
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