Pakistan : le tourisme attend son heure malgré les attentats
Si 2016 est déjà une année record pour le secteur au niveau local, le pays espère attirer à nouveau des touristes internationaux qui l’ont déserté depuis 15 ans. Un défi ambitieux pour l’un des Etats les plus touchés par le terrorisme et dont l’image à l’international est désastreuse. Mais depuis l’année dernière, les voyageurs étrangers reviennent petit à petit. Toute une industrie attend.
Contexte
Dans les médias internationaux, difficile de lire autre chose sur le Pakistan que le dernier attentat-suicide qui a fait au moins 52 morts au Baloutchistan ce samedi 12 novembre. Un adolescent s’est fait exploser lors d’une cérémonie religieuse au sanctuaire de Shah Noorani, un saint du soufisme, blessant également 105 personnes parmi le millier de fidèles présents. Le soufisme est une branche modérée de l’islam, considérée comme hérétique par certains groupes islamistes radicaux. Le lieu de culte est situé dans le district de Khuzdar, à 750 km de la capitale provinciale Quetta.
Le groupe Etat Islamique a revendiqué cette nouvelle attaque-suicide via son agence de presse Amaq. Selon le quotidien pakistanais The Express Tribune, l’attentat pourrait être une mesure de représailles après la mort du chef de Jundullah, une organisation radicale interdite. Saqib, alias Arif alias Anjum Abbas, avait été tué par les forces de sécurité lors d’une fusillade à Hub vendredi 11 novembre. Le Baloutchistan, province méridionale du Pakistan, frontalière avec l’Iran et l’Afghanistan, est accablé par le radicalisme islamiste, la violence sectaire et l’insurrection séparatiste dénoncée par le gouvernement d’Islamabad.
La région du Gilgit-Baltistan est un paradis pour les alpinistes : située à la jonction des chaînes de l’Hindu Kush et du Karakoram, entre l’Inde, la Chine et l’Afghanistan, elle possède 5 des 14 sommets de plus de 8 000 m du monde, dont le mythique K2, deuxième plus haut sommet de la planète.
Le hippie trail et l’âge d’or du tourisme au Pakistan
De l’autre côté de la frontière, l’Inde a attiré plus de 8 millions de voyageurs. Le Pakistan n’a pourtant pas à rougir des atouts de son puissant voisin indien : des plages de sable fin du Sindh aux palais du Punjab, de la vieille ville de Lahore aux sommets de l’Himalaya en passant par le désert du Cholistan, le « Pays des Purs » a toutes les cartes en mains pour attirer les voyageurs du monde entier.
Ce fut le cas dans les années 1970-80, « l’âge d’or du tourisme au Pakistan » selon Lal Hussain. Les photos jaunies de cette période révolue ornent encore les murs du Hunza Inn. L’époque où le pays ne posait aucun problème de sécurité, où sa traversée était une étape incontournable de la hippie trail, ce parcours mythique emprunté par les beatniks, de l’Europe au Népal. L’époque où les hôtesses de Pakistan International Airlines étaient habillées par Pierre Cardin, et où le terrorisme islamiste ne faisait pas encore la Une. Le Pakistan devait être « the next big thing in tourism » (« la prochaine grosse destination »), prophétisaient même les professionnels du secteur. Le pays se rêvait en rival touristique de l’Inde.
Pour les touristes étrangers, « c’était le Far-West »
Dans leur élégante maison du quartier huppé de Gulberg, à Lahore, le couple de sexagénaires évoque ce passé d’une voix teintée de nostalgie. Assis dans un fauteuil d’époque moghole, Akhtar se souvient : « Il y avait beaucoup de touristes, des Français notamment, ça ne s’arrêtait pas. On les faisait camper dans le désert. Ils adoraient boire du thé dans le bazar de Peshawar. Ce qu’ils appréciaient, c’était le romantisme de la région, les Pachtounes pour eux, c’était le Far-West ! » Son épouse Nishat soupire : « Aujourd’hui, c’est impensable. »
« Notre pays est devenu paria »
« Le 11 septembre a tué le business, regrette Nishat. Tous les touristes ont annulé leurs réservations. Les médias étrangers ne parlaient plus que du Pakistan sous le prisme du terrorisme. D’un seul coup, notre pays est devenu paria. » Aujourd’hui, Indus Guides survit, avec cinq salariés. Cette année, ils n’ont reçu qu’un seul groupe de touristes, sept Français en février, qu’ils ont emmené à Karachi, Lahore, Islamabad et dans la vallée de Swat. « Ils étaient très contents. Notre prochain groupe arrive fin octobre, des Chinois. Ce n’est pas grand-chose, mais ça nous permet de survivre… »
Pour Lal Hussain, ce massacre fut celui de trop. « Les touristes ont déserté le pays. Les guides de montagne ont arrêté leurs activités et la plupart sont retournés travailler dans les champs. » Pourtant, cette année, un léger regain du tourisme international se fait sentir. « Ce sont surtout les touristes pakistanais qui maintiennent le secteur en vie, mais le nombre d’étrangers remonte lentement. » Selon Lal Hussain, les Pakistanais n’ont pas la même manière de voyager que les Occidentaux : « Ils font très peu d’alpinisme et de trekking, et dépensent moins d’argent. »
« Le Gilgit-Baltistan n’est pas une région dangereuse »
Opération « coup d’épée du prophète »
Pour Eiman Shah, rédacteur en chef d’Ausaf, le quotidien le plus important du Gilgit-Baltistan, le succès de l’opération est indéniable. « Aucun attentat n’a eu lieu depuis 3 ans dans la province, et 2016 est déjà une année record pour le tourisme », en augmentation de 25% par rapport à 2015. « Regardez les routes, il y a des bus de touristes pakistanais partout. »
Si le Gilgit-Baltistan est la province qui survit le mieux à cette crise du secteur touristique, d’autres régions comme les zones tribales ou la province du Baloutchistan restent hors d’atteinte pour les voyageurs étrangers. Certains prennent tout de même le risque, comme Andrew, 26 ans, arrivé d’Australie. Dans le dortoir de son auberge de jeunesse à Lahore, au milieu de son équipement et de ses sacoches de voyage, Andrew explique qu’il fait un tour du monde à vélo pendant trois ans. « Je vais passer deux mois au Pakistan. » Prochaine étape : l’Iran. Pour s’y rendre, Andrew devra pédaler à travers le Baloutchistan, une des régions les plus instables et dangereuses du Pakistan, dont la capitale Quetta a été frappée le 25 octobre par un attentat revendiqué par l’organisation Etat islamique, qui a fait plus de 60 morts. « La police m’imposera une escorte armée pendant ma traversée de la région, mais ça ne me fait pas peur. » Pourtant, en janvier 2014, un cycliste espagnol est tombé dans une embuscade sur cette même route. Il en sortira vivant, mais 6 soldats pakistanais de son escorte sont tués. Filmée à la GoPro, la vidéo de l’attaque est disponible sur YouTube. « Il n’a pas eu de chance, balaye Andrew. Et puis l’actualité montre que les attentats peuvent arriver partout. Si je me fais pousser la barbe et que je porte le kameez, on me prendra pour un local, rien ne pourra m’arriver, sourit-il. Mes amis pensent que je suis fou, mais je leur envoie des emails régulièrement pour les rassurer. »
Situation sécuritaire et actualisation des guides de voyage
Rétablir la confiance et restaurer l’image d’un pays victime du terrorisme depuis 15 ans, autant d’objectifs qui s’apparentent à une gageure. Alors que l’organisation Etat islamique cherche à s’implanter durablement au Pakistan, les attentats du 25 octobre et du 12 novembre préfigurent la violence qu’elle lui promet. Pour le ministre-en-chef Rehman, la route est encore longue. « Mais on y croit. C’est ce que notre pays mérite. »
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