Japon : la rencontre Abe-Poutine vers une douche froide ?
Le président russe Vladimir Poutine et le premier ministre japonais Shinzô Abe se sont déjà rencontrés à quinze reprises et ont entamé un rapprochement durant les derniers mois. Au point que le Japon a pris quelque distance avec le camp occidental et ses sanctions contre la Russie après l’annexion de la Crimée en 2014. La seizième rencontre entre les deux hommes, prévue les 15 et 16 décembre prochains, sera une opportunité pour confirmer la progression de leurs relations, notamment économiques. Le traité de paix et le problème territorial sont dans les esprits, bien que le Japon et la Russie soient encore loin d’une résolution finale.
Contexte
Situés au nord-est de Hokkaidô, la plus septentrionale des quatre îles principales du Japon, les quatre îles contrôlées par la Russie et revendiquées par l’Archipel (Iturup/Etorofu, Kunashir/Kunashiri, Shikotan et l’archipel Habomai) représentent un territoire d’environ 5 000 km².
Dans le traité de Shimoda de 1855, le Japon et l’Empire russe reconnaissent que les quatre îles, entre autres, appartenaient à l’Archipel. À la fin de la « Guerre de Quinze ans », le 9 août 1945, l’Union soviétique brise le pacte de neutralité jusqu’alors en vigueur en déclarant la guerre au Japon, puis envoie notamment son armée dans les îles Kouriles. Avant 1948, les 17 300 Japonais qui y habitaient sont contraints d’évacuer.
Occupé depuis fin 1945 par les États-Unis, le Japon retrouve son indépendance en 1952 suite à la signature du traité de paix de San Francisco un an plus tôt. L’URSS, non signataire, normalise ses relations avec l’Archipel en octobre 1956 : si l’état de guerre entre les deux pays prend fin à ce moment-là, aucun traité de paix n’est signé et cette situation est toujours valable aujourd’hui.
Après une baisse de la population russe suite à l’effondrement de l’Union soviétique, les Kouriles du Sud se sont redéveloppées sous l’impulsion de la politique menée par Vladimir Poutine depuis une dizaine d’années. Ces îles comptent aujourd’hui quelque 16 700 habitants.
Soixante ans de négociations
Cependant, les négociations pour la conclusion d’un traité de paix se sont poursuivies et des étapes importantes ont été franchies. En 1992, après l’effondrement de l’Union soviétique, Boris Eltsine a proposé de céder les deux petites îles et de concentrer la discussion sur les deux grandes. En vain, puisque le Japon campait sur sa position, soutenue par la majorité de sa population, de retour de l’ensemble des Territoires du Nord. En accepter deux aurait été prendre le risque de ne jamais récupérer les deux autres. En 1993, la « déclaration de Tokyo » a réaffirmé le désir de conclure un traité de paix et de résoudre cette question territoriale. C’est tout… En 2001, le président russe Vladimir Poutine et le premier ministre japonais Yoshirô Mori ont signé une nouvelle « déclaration commune » à Irkoutsk. Y était présent un certain Shinzô Abe, alors vice-porte-parole du gouvernement. Mais une fois n’est pas coutume, les désaccords du côté nippon ont bloqué l’avancée du dossier.
La « nouvelle approche »
Dans l’espoir de sortir de l’impasse, en mai 2016, Shinzô Abe a proposé une « nouvelle approche » à Vladimir Poutine. En s’appuyant sur les échecs passés, il s’agirait à présent d’une réelle discussion, avec des propositions réciproques et non plus unilatérales, portant également sur la coopération économique et le développement conjoint des territoires.
Début septembre, devant une salle comble au forum économique oriental de Vladivostok, Shinzô Abe s’est adressé directement au président russe, par son prénom. « Vladimir, notre génération doit avoir le courage d’accomplir son devoir. En surmontant toutes les difficultés, le Japon et la Russie vont laisser aux jeunes de la prochaine génération un monde qui permettra de développer grandement leurs potentiels. » Ces mots, empreints de bonne volonté – voire d’intimité en omettant le patronyme Vladimirovitch –, récoltèrent l’enthousiasme des Russes, Vladimir Poutine compris. Mais ils furent bien trop flous pour savoir dans le détail ce que se sont dit les deux hommes la veille, lors d’un entretien en privé.
Ce qui est certain, c’est que l’économie occupe une place de choix. L’Extrême-Orient russe est en crise démographique et économique, faisant craindre un délitement du territoire russe et un affaiblissement de la capacité de projection vers une Asie si prometteuse. Sanctions suite à l’annexion de la Crimée, baisse des prix du pétrole : l’économie russe en a pris un coup. Ce qui explique le grand intérêt de Vladimir Poutine pour la collaboration économique en huit points proposée en mai dernier par le Japon, notamment dans les domaines médicaux et énergétiques. Des mesures pour inciter les entreprises nippones à s’implanter en Russie, comme l’allègement des conditions de délivrance de visas, ont également été évoquées.
Combien d’îles pour le Japon ?
La rencontre de la dernière chance ?
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don