Politique
L'Asie du Nord-Est dans la presse

Trump, Taïwan et Pékin : la nouvelle politique chinoise de Washington

Vendredi 2 décembre, dans un mouvement historique, le président-élu des Etats-Unis Donald Trump a accepté un coup de fil de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen. Copie d'écran du Straits Times, le 5 décembre 2016.
Vendredi 2 décembre, dans un mouvement historique, le président-élu des Etats-Unis Donald Trump a accepté un coup de fil de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen. Copie d'écran du Straits Times, le 5 décembre 2016.
Coup de tonnerre dans le détroit de Taïwan. En acceptant le coup de téléphone de Tsai Ing-wen, le président-élu des Etats-Unis Donald Trump entérine une double rupture. D’abord, avec la politique chinoise de son pays, vieille de 40 ans : depuis 1979, année où Washington a reconnu officiellement la République populaire de Chine et donc rompu ses relations diplomatiques avec la République de Chine (Taïwan), aucun président-élu ou en exercice américain ne s’est entretenu directement avec son homologue à Taipei. Ensuite, en évoquant explicitement Tsai comme « présidente de Taïwan », Donald Trump remet en cause la « politique d’une seule Chine » sur laquelle Pékin fonde ses relations diplomatiques – à savoir, la reconnaissance du fait que le continent chinois et Taïwan font partie d’une seule et même Chine, et qu’il est ainsi impropre de parler de « président » à Taïwan. Loin d’un coup de folie, c’est le premier acte de la nouvelle politique chinoise de Washington, comme l’ont confirmé les Tweets de Trump contre la Chine.
Sur Twitter, il persiste et signe. Donald Trump s’est fendu hier dimanche 4 décembre d’un message cinglant à l’adresse de Pékin : « La Chine nous a-t-elle demandé si nous étions d’accord pour qu’elle dévalue sa monnaie (rendant plus difficile la compétitivité de nos entreprises), pour qu’elle taxe fortement nos produits quand ils arrivent chez elle (alors que les Etats-Unis ne taxent pas les siens), ou encore pour qu’elle construise un gigantesque complexe militaire au beau milieu de la mer de Chine du Sud ? Je ne crois pas. » Le président-élu américain a été piqué au vif par les remarques de Pékin après s’être vanté d’avoir reçu un coup de fil de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen. Tous deux s’étaient alors félicités de leur élection respective et discuté de leurs relations « étroites » en matière de politique, d’économie et de sécurité.
Les médias chinois ont ainsi blamé « l’inexpérience » de Trump, rappelant que la moindre brèche dans l’application de la « politique d’une seule Chine » pourrait « détruire les relations sino-américaines », rapporte le site Hong Kong Free Press. Mais la plupart des critiques de Pékin ont visé l’administration de Tsai Ing-wen. Le quotidien d’Etat Global Times proposait hier de « punir » Tsai afin « d’envoyer un message au président-élu » des Etats-Unis, qu’il serait encore « inapproprié » de « cibler directement ». Parmi les mesures envisagées, le journal propose de « prendre un ou deux » alliés diplomatiques à Taïwan, ou encore de « renforcer son déploiement militaire » en vertu de la loi anti-sécession de 2005 – qui prévoit une intervention en cas d’indépendance ou de velléités d’indépendance trop marquées de Taipei. D’autant plus que les tweets de Trump font craindre aux autorités continentales une hausse des ventes américaines d’armes à destination de l’île, rapporte le Global Times dans un autre article.
Mais l’équipe de Trump soutient le président-élu. Sa conseillère Kellyanne Conway a réfuté les accusations de Pékin selon lesquelles Tsai aurait tenté de « duper » un Donald Trump mal informé : l’homme d’affaires serait « parfaitement au courant » de l’existence et du contenu de la « politique d’une seule Chine ». De son côté Mike Pence, le vice-président-élu, estime que ce battage médiatique et diplomatique n’est qu’une « tempête dans un verre d’eau », rapporte le South China Morning Post. « C’est frappant que le Président Obama soit considéré comme un héros pour avoir tendu la main à un dictateur cubain meurtrier [en référence à Fidel Castro, NDLR], tandis que les médias se déchaînent car le président-élu Donald Trump accepte un coup de fil de courtoisie de la part de la présidente démocratiquement élue de Taïwan. »
Car oui, Pence parle lui aussi d’une « présidente » – et ce n’est pas un « lapsus », d’après le quotidien hongkongais. Que faut-il alors comprendre de ce mouvement ? Pékin n’est pas dupe. Le président-élu ne chercherait pas à « saper » les relations entre les deux pays, mais à « tirer avantage de son apparente inconstance et imprévisibilité pour créer des vagues dans le détroit de Taïwan et voir s’il peut gagner des points dans la négociation qui suivra son investiture avec la Chine », rapporte toujours le Global Times. En d’autres termes, Trump aurait « deux visages » : « D’un côté, c’est un bluffeur imprévisible, et de l’autre, il n’a pas de plan particulier et ne cherche pas à renverser les relations internationales, mais simplement à rendre sa grandeur à l’Amérique. » Une application de la fameuse « théorie de l’homme fou » chère à Nixon ?
Bien que Mike Pence n’ait pas voulu confirmer de rupture dans la politique chinoise des Etats-Unis, repoussant cette question à l’investiture de Trump le 20 janvier, le Straits Times voit dans le coup de fil de Tsai la première concrétisation d’une stratégie américaine « établie depuis des mois ». Car parmi ses conseillers de longue date (qui l’entouraient avant même son investiture par le parti républicain) et les membres de son équipe de transition figurent parmi les plus ardents défenseurs républicains de Taïwan – dont Reince Priebus, futur chef de cabinet de la Maison Blanche. De leur côté, Peter Navarro et Alexander Gray, conseillers de Trump, déploraient début novembre dans Foreign Policy que Taïwan, « phare de la démocratie en Asie », ait pâti d’un traitement « volontairement nuisible » par l’administration Obama.
Et les réactions taïwanaises, dans tout ça ? La presse insulaire est majoritairement méfiante, rapporte le Straits Times. La plupart des titres ont tenté de « minimiser » le mouvement de Trump, hormis les publications les plus ouvertement indépendantistes. Car les journalistes craignent que Taïwan ne soit utilisé comme un « pion » dans les négociations sino-américaines. La perspective d’un changement dans la politique taïwanaise de Washington ne pourra être apprécié que sur le long terme.
Par Alexandre Gandil

Les autres faits du jour en Asie du Nord-Est

Corée du Sud : et si la tentative d’impeachment de Park Geun-hye n’aboutissait pas, se demande le Korea Herald ? Le parti Saenuri tente en effet de maîtriser ses députés « frondeurs », rapporte le quotidien dans un autre article.

Japon : le Premier ministre Shinzo Abe se rendra ce mois-ci à Pearl Harbor (fin décembre) avec Barack Obama, selon l’agence de presse japonaise Kyodo. L’attaque de Pearl Harbor par l’aviation nippone avait eu lieu le 7 décembre 1941.

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