Birmanie : une paix qui n'en finit pas de se négocier
Contexte
En novembre 2015, la victoire électorale massive de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi offrait un regain d’optimisme à un pays à peine sorti d’un demi-siècle de dictature. Depuis l’indépendance de la Birmanie en 1947, les minorités ethniques des régions montagneuses frontalières luttent pour leur autonomie. Après le coup d’État militaire du général Ne Win en 1962, la rébellion s’est intensifiée, mêlant aspirations démocratiques et lutte pour l’auto-détermination face à la brutalité de la junte. Pour ces minorités ethniques méfiantes vis-à-vis de l’armée birmane responsable de nombreuses exactions, l’icône de la démocratie Aung San Suu Kyi représentait une personne de confiance capable de mener le pays à la paix.
Aujourd’hui, les critiques fusent contre la nouvelle Conseillère d’État – de facto Premier ministre. Malgré les multiples négociations de paix en cours depuis des années, l’armée birmane indifférente continue ses offensives. L’impuissance d’Aung San Suu Kyi à s’opposer à l’armée est en passe de décevoir une bonne partie des populations ethniques dans l’État Shan et l’État Kachin, où les conflits s’éteignent et se rallument sans fin depuis 2011.
Héritage pragmatique
Sur les mauvais rails
Suivant un impératif de solidarité – « si on signe, on signe tous ensemble » -, la plupart des groupes rebelles influents ont refusé la signature. « Le NCA a brisé l’alliance des groupes armés ethniques, se justifiait en décembre dernier Shwe Myo Thant, secrétaire général numéro 2 du KNPP, non-signataire. Nous ne pouvions pas signer car les conditions n’étaient pas remplies. Nous voulons la paix, mais une paix authentique. »
Le NCA, présenté fièrement par le gouvernement précédent comme les rails à suivre pour parvenir à la paix, en a fragmenté le processus. Alors qu’il est supposé suivre son cours vers un dialogue politique national, seuls les huit signataires pourront y participer. Pour les autres, la seule option reste d’observer de l’extérieur le processus, tout en cherchant à renégocier la signature de l’accord national.
Un cessez-le-feu sans paix
Depuis l’année dernière, de nombreux conflits ponctuels ont continué d’éclater sur les territoires des signataires comme des non-signataires. L’accord national ne comprend aucun volet concret sur la manière dont l’armée et les groupes rebelles pourraient éviter les conflits sur le terrain. « Nous n’avons aucun code de conduite en partenariat avec l’armée », confirme l’officier de la KNU. Dans l’État Karen, les manœuvres militaires de l’armée et de ses milices alliées menacent le cessez-le-feu. Des combats se sont encore produit en octobre dernier. « S’ils envahissent nos bases, il faudra bien que nous répliquions », ajoute le haut-gradé de la Karen National Union.
Le principal obstacle
Face aux demandes répétées de la coalition des groupes rebelles de modifier le NCA pour y inclure tous les insurgés et des garanties solides sur le dialogue politique à venir, le gouvernement LND comme l’armée persistent à exiger que l’accord soit signé tel quel. De tous côtés, les groupes armés ethniques sentent la pression monter. Aung San Suu Kyi face à l’impasse des négociations, a déclaré à plusieurs reprises qu’il était désormais urgent que les groupes signent.
Les mains liées
Ils en ont d’autant plus lorsque les acteurs de la paix évoquent son enjeu potentiel, l’émergence d’une Birmanie fédérale, qui laisserait aux minorités ethniques une autonomie accrue après un demi-siècle de centralisation et d’oppression. Le fédéralisme souvent évoqué par les groupes armés comme leur objectif final, reste un terme que l’armée birmane n’aime guère employer. Car pour la Tatmadaw, il signifierait une dissolution du pays. Au final, le mot « fédéralisme » reste aujourd’hui la zone de flou dans les débats. Il cristallise les désaccords de fond que chaque partie a intérêt à atténuer aussi longtemps que possible. Par exemple, la question de la démobilisation de la multitude de groupes armés du pays ou de leur inclusion dans une armée fédérale réformée.
Si les négociations atteignent un jour le stade du dialogue, rien ne dit que les obstacles dressés par l’armée dans le jeu politique autorisent une sortie de l’impasse créée par des décennies de chaos militaire.
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