Economie
Expert - Entrepreneurs français d'Asie

Chine - Afrique : aplanir les différences dans le commerce en jouant les "pare-chocs culturels"

Le président sud-africain Jacob Zuma lors de l'ouverture du Forum de coopération Chine-Afrique à Johannesburg le 4 décembre 2015.
Le président sud-africain Jacob Zuma lors de l'ouverture du Forum de coopération Chine-Afrique à Johannesburg le 4 décembre 2015. (Crédit : MUJAHID SAFODIEN / AFP).
D’origine camerounaise, Jilles Djon a grandi dans le département de l’Essonne où il est arrivé très jeune. Il a effectué un parcours universitaire qu’il qualifie lui-même de « chaotique » : école d’ingénieur, université puis Ecole de commerce pour l’obtention d’un MBA. Il est arrivé la première fois en Chine en 2006 en échange universitaire et dès 2008 il a monté sa première société spécialisé dans les voyages d’affaires pour jeunes entrepreneurs dans l’industrie du textile. Depuis, Jilles Djon a créé l’AfCham, la Chambre de commerce africaine en Chine.
Grégory Prudhommeaux : Quels ont été vos différentes expériences professionnelles avant celles qui vous occupent aujourd’hui ?
Jilles Djon : Durant ma formation MBA en alternance, je travaillais pour une entreprise d’ingénierie informatique, ce qui m’a donné la possibilité d’entrer dans le monde de la business intelligence et de l’analyse des data. Dès mon arrivée en Chine, quelques années plus tard, j’ai travaillé pendant un temps comme ingénieur commercial dans une start-up, puis comme responsable des opérations dans une entreprise française de contrôle qualité.

Finalement, j’ai décidé de monter ma propre structure de solutions web aux Philippines et avec le soutien de quelques clients ici en Chine qui m’ont fait confiance sur des contrats de développement et maintenance long terme. Aujourd’hui, ma structure aux Philippines qui compte six développeurs est gérée par mon associé philippin pendant que moi je m’occupe du suivi et du développement commercial en Chine.

Quelle est l’activité de votre société et quels sont les clients types idéaux ?
La Chambre de commerce africaine est spécialisée dans la mise en relation des différents acteurs économiques situés en Afrique et en Chine. Nous représentons les intérêts de 35 pays africains, notamment l’Afrique francophone où nous bénéficions d’un épais carnet de contacts. Nous nous intéressons notamment beaucoup plus à des projets à caractère humain et avec un impact socio-éducatif durable.
L'entrepreneur Jilles Djon.
L'entrepreneur Jilles Djon. (Crédit DR.).
Pourquoi avez-vous créé cette activité ? Quels étaient les problèmes que vous avez identifiés et qui selon vous n’étaient pas encore traités jusqu’ici pour que vous finissiez par prendre les choses en main et décidiez de proposer votre solution ?
Nous nous sommes lancés dans cette aventure pour répondre à un besoin très simple : comment faciliter les échanges commerciaux entre les entrepreneurs chinois et africains ? En effet, jusqu’ici les échanges se faisaient de manière désordonnée ce qui par la suite se transformait en tensions culturelles. Notre solution consiste donc à aplanir un certain nombre de différences en jouant ce rôle de « pare-chocs culturel ».

Nos bureaux à Shanghai sont également à la disposition de pays africains qui ne disposent pas de consulats à Shanghai. Nous offrons donc ainsi des services consulaires (tel que visa, ou autre laissez-passer etc…).

Où en est votre société aujourd’hui ?
Nous sommes une Chambre de commerce, donc une organisation à but non lucratif. Pour l’instant nous ne comptons que onze employés dans nos bureaux shanghaiens, six membres du conseil d’administration et environ 200 membres – dont des Européens, des Asiatiques et des Africains.
Comment se structure légalement votre Chambre de commerce ?
Nous sommes une Whole Foreign Owned Enterprise (WFOE) dont l’actionnaire principale est notre société mère à Hong Kong capitalisée à hauteur de 1,6 million de USD. C’est pour répondre à notre vision à long terme que nous avons opté pour ce montage qui nous permet de pouvoir ouvrir des branches un peu partout dans le monde selon les besoins de nos membres, tout en bénéficiant de la sécurité bancaire nécessaire à l’obtention des licences requises par les différentes juridictions nationales.
Quels types de difficultés administratives avez-vous rencontré en montant votre entité ?
Les principales difficultés rencontrées sont liées à la durée d’obtention des diverses licences requises. Ainsi qu’un système légal pas toujours transparent ou facile à comprendre.
Quels sont, en revanche, les avantages évidents ?
Le principal avantage se situe au niveau des taxes qui sont moins asphyxiantes et beaucoup plus claires.
Pouvez-vous nous faire une description rapide de la communauté franco-africaine présente en Chine ?
Grâce aux bourses accordées par l’Institut Confucius, la communauté africaine francophone est aujourd’hui à environ 80 % constituée d’étudiants en dehors de Guangzhou (Canton) et Yiwu – ces deux villes étant constituées d’entrepreneurs et commerçants à majorité anglophone.
Il est malheureusement difficile de donner un chiffre exact sur le nombre d’Africains francophones résidant en Chine. Ce que l’on sait cependant c’est qu’il en arrive environ 100 par pays chaque année. Certains repartent la même année, d’autres restent pour des cycles plus long avec l’espoir de trouver un emploi en Chine ou en Afrique. Au bout du compte, moins de 4% de ces étudiants trouvent un emploi en Chine pour des raisons diverses et variées…

Ceci dit, nous observons une tendance positive qui est celle des recrutements en Afrique. Un grand nombre d’étudiants issus des universités chinoises arrivent ainsi à trouver un emploi en Afrique auprès d’entreprises chinoises ou d’entreprises exerçants dans une activité en relation avec la Chine.

Au niveau de la Chambre, nous avons mis en place un ensemble de programmes et formations (African Youth Empowerment Program AYEP) dans le but de faciliter l’insertion professionnelle de ces étudiants.

Nous négocions également avec les gouvernements africains afin qu’ils promeuvent la mobilité de l’emploi entre nations africaines.

Pensez-vous que vous auriez pu développer le même business en France ? Et envisagez-vous de revenir développer cette même activité en France ?
Non je ne le pense pas. La création de cette Chambre de commerce répond aux besoins des gouvernements africains et des entreprises implantées en Chine qui ont besoin d’un point de contact direct et sûr pour accéder à ce marché d’un milliard de consommateurs.
Quant à la possibilité d’ouvrir une Chambre de commerce africaine en France, pour l’instant le besoin ne s’est pas encore fait ressentir.

En France, il existe déjà plusieurs organisations qui offrent des services similaires et bien entendu le pool de potentiels investisseurs est largement plus vaste en Chine. Cependant nous aidons les entreprises françaises à nouer des partenariats avec des entreprises chinoises sur des projets en Afrique, par conséquent il est plus question d’établir un cabinet de conseil en France plutôt que de monter une Chambre de commerce africaine.

Envisagez-vous alors, un développement sur l’Afrique ? Si oui, par quel pays pourriez-vous commencer ?
Nous sommes indirectement présents dans 35 pays en Afrique grâce à notre réseau constitué de partenaires privés et publics. S’agissant d’une implantation directe, nous sommes pour l’instant uniquement présents en Afrique du Sud. Le pays offre en effet un environnement propice à nos activités. Et la majorité des grands groupes chinois avec lesquels nous travaillons ont leurs branches africaines installées en Afrique du Sud.
En Afrique, quels pays semblent attirer davantage la Chine ?
Jusqu’ici la Chine a toujours été Risk Averse, soit réticente au risque ; c’est pour cette raison que l’Afrique du Sud, grâce au niveau avancé de ses infrastructures, a pendant longtemps été la destination préférée des investisseurs Chinois. Les entreprises chinoises prennent un peu plus de risques aujourd’hui comme l’illustre leurs investissements importants en Afrique de l’Est, notamment vers l’Ethiopie. Plus récemment, le besoin en matières premières a conduit la Chine à s’intéresser davantage à l’Afrique francophone : notamment au Congo, au Burundi, à la Côte d’Ivoire, au Tchad ou au Gabon.
Parlons de vous, l’entrepreneur français basé en Chine. Racontez-nous quels sont vos rituels du matin pour démarrer votre journée de travail ?
Mes journées commencent très souvent à 6 h. Je commence par trente minutes sport suivi d’un petit déjeuner en famille. Ensuite j’accompagne ma fille à l’école et le plus petit à la crèche. J’arrive au bureau à environ 9h30 et à partir de là j’enchaine entre réunions d’analyse de projets, rendez-vous et conférences téléphoniques jusqu’à tard le soir.
A quoi ressemble une journée/une semaine de travail avec votre équipe à Shanghai ?
Nous sommes au service de nos membres. Par conséquent nos activités sont axées sur l’organisation d’activités permettant à nos membres de réaliser leurs objectifs. Cela peut aller des négociations avec les gouvernements africains pour accompagner les réponses aux appels d’offres, jusqu’aux visites d’usines pour attester de la conformité et la probité d’un potentiel fournisseur à la requête d’un gouvernement ou d’un client africain.
Quelle est selon vous la définition d’un entrepreneur ?
Un entrepreneur est un optimiste qui approche les difficultés et les échecs comme un challenge, comme une opportunité de pousser ses limites encore plus loin.
Cette définition évolue-t-elle du fait que vous soyez en Chine ?
Effectivement la définition est différente. En France, la pression sociale implique d’être persévérant face aux difficultés. Entrepreneur n’est ainsi pas un statut valorisant. Par exemple, trouver un appartement nécessite des fiches de paie qu’un jeune entrepreneur n’est pas toujours capable de fournir.
Du fait de la différence de l’environnement dans lequel vous évoluez, quelles sont les difficultés locales que vous rencontrez et que vos clients ont généralement du mal à comprendre ?
Dans mon cas, mon activité me permet de rencontrer différentes cultures souvent diamétralement opposées. En Chine, certains clients me disent très souvent : « les contrats ici ne sont pas comme en France… » ; et de la même façon en France on me dit : « les procédures ne sont pas aussi « élastiques » qu’en Afrique… » Le management interculturel prend tout son sens dans ce contexte.
Quels seraient les 2-3 conseils pour ceux qui souhaiteraient se lancer dans une aventure entrepreneuriale en Chine ?
S’armer de patience, faire preuve d’ouverture d’esprit, avoir des notions de mandarin et surtout bien développer leur réseau, leur guanxi.
Quels sont vos objectifs, vos projets dans les douze prochains mois ?
Dans les prochains mois nous comptons ouvrir une Chambre de commerce à Dubaï, ce qui nous permettra d’être présent dans cette région riche en potentiels investisseurs désireux de diversifier leurs portefeuilles d’investissements sur des projets avec un impact social très fort et offrant un énorme retour sur investissement.
Propos recueillis par Gregory Prudhommeaux

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A propos de l'auteur
Basé à Shanghai depuis 2006, Gregory Prudhommeaux est le fondateur de NextStep, qui accompagne les entrepreneurs en Chine par le conseil et la mise en réseau. Lui-meme "serial entrepreneur", il a longtemps animé la Jeune Chambre de Economique Française (JCEF) à Shanghai, et collaboré au Petit Journal Shanghai et est associe au Milu, le guide des nouveaux arrivants. Il a également travaillé pour des cabinets de conseils comme Altios International. Pour Asialyst, il donne la parole à ceux qui ont décidé de tenter l’aventure entrepreneuriale en Asie. Ils nous présentent leur activité, mais surtout leur parcours d’entrepreneur avec ses bons et moins bons moments, les difficultés et les avantages d’avoir choisi le marché asiatique, qui est aujourd’hui le leur.