Economie
Expert - Entrepreneurs français d'Asie

 

Pour entreprendre en Chine, il faut "créer un écosystème sain"

Des visiteurs équipés de harnais et de protections à l'extérieur du 88ème étage de la Tour Jinmao dans le quartier de la finance de Lujiazui, dans le district de Pudong à Shanghai, le 28 juillet 2016.
Des visiteurs équipés de harnais et de protections à l'extérieur du 88ème étage de la Tour Jinmao dans le quartier de la finance de Lujiazui, dans le district de Pudong à Shanghai, le 28 juillet 2016. (Crédits : Zhong yang / Imaginechina / via AFP)
Thomas Guillemaud a grandi à Nantes. Après un Master en Digital Business en Finlande et un Master d’entrepreneuriat à l’ESSCA (Angers), il fait ses valises pour la Chine au début 2011. Il a 22 ans et rejoint deux frères entrepreneurs, Yoan et Aurélien Rigart. Même s’il ne connaît pas encore ses futurs associés, il est tout de suite séduit par leur projet : co-fonder IT Consultis, une société de web design et d’accompagnement digital. Avec Gregory Prudhommeaux, il revient sur son parcours, la structure et le développement de son entreprise et ses conseils d’entrepreneur.
Grégory Prudhommeaux : Quelles ont été tes différentes expériences professionnelles avant celles qui t’occupe aujourd’hui ?
Thomas Guillemaud : Avant d’arriver en Chine, j’ai réalisé plusieurs stages dans le milieu des startups et de la technologie. Je suis notamment passé par les services Recherche & Développement du groupe Seloger.com, par le service commercial d’Axiatel, et j’ai effectué des missions de conseil en e-commerce pour Araok !, avec François Ziserman, un « gourou » du milieu.
Quelle est l’activité d’IT Consultis et quels sont les clients types idéaux ?
IT Consultis est une société qui compte 50 employés sur deux sites : le siège à Shanghai, qui regroupe la majorité des effectifs, et un bureau à Saigon, au Vietnam. Notre société est une agence digitale pour laquelle nous accompagnons nos clients sur trois pôles principaux : du développement e-commerce, de sites vitrines et d’applications mobile, du web design et du conseil.

Nous avons accompagné nos clients sur environ 400 projets depuis le lancement de l’activité. Ce sont majoritairement des sociétés internationales (Decathlon, Club Med, Leica, Porsche, Zara, Four Seasons). En général, les projets sont à destination du marché chinois et nous ne sommes pas liés à une industrie en particulier. Nous observons cependant une demande croissante sur l’Asie du Sud-Est.

Thomas Guillemaud, co-fondateur d'IT Consultis à Shanghai.
Thomas Guillemaud, co-fondateur d'IT Consultis à Shanghai. (Crédit : DR)
Pourquoi avez-vous créé IT Consultis ? Quelles étaient les difficultés, les « pain points », auxquelles selon vous personne ne répondait ?
La société est née d’une opportunité de marché détectée par mes deux associés. Au moment du lancement de la société, Yoan et Aurélien étaient en train de développer un projet en parallèle. Le prestataire choisi pour la réalisation du site e-commerce était loin de répondre aux attentes de qualités souhaitables pour un tel projet. C’est alors que l’idée a germé chez Yoan et Aurélien de lancer une agence proposant de meilleurs services à destination des sociétés étrangères pour le marché chinois. Terminant mes études et ayant envie d’entreprendre à l’étranger, le projet m’a immédiatement plu.
Où en est votre société aujourd’hui ?
IT Consultis est une société à capital étranger (WFOE – Wholly Foreign Owned Enterprise) dont les actions sont partagées entre les trois associés fondateurs. Nous sommes très fiers d’avoir réussi à en arriver là sans investisseur tiers. Nous avons une croissance annuelle de chiffre d’affaires supérieure à 200 %.
Pourquoi avoir ouvert récemment un bureau au Vietnam ? Comment se répartit le travail avec le bureau chinois ?
Afin de suivre la demande croissante de nos clients et les besoins de recrutement augmentant très rapidement, nous avons envisagé de nous rapprocher d’un pôle connu pour la qualité de sa production et offrant de la ressource rapidement opérationnelle. Nous avons en effet ouvert un bureau à Saigon au Vietnam il y a trois mois. Dans le même temps, le marché vietnamien est en pleine croissance avec une certaine stabilité politique, et des consommateurs avides de digital.

Notre volonté n’est pas de créer une filiale de sous-traitance, mais d’avoir nos deux équipes travaillant ensemble comme si elles étaient sur le même site. Nous suivons ainsi une tendance startup de « remote working » ou nous utilisons un grand nombre d’outils pour nous assurer que tout fonctionne bien. Point bonus, il y a seulement une heure de décalage horaire (-1 h vers le Vietnam), palliée par une journée de travail commençant traditionnellement à 8 heures du matin à Saigon.

Notre premier objectif avec le Vietnam est de compléter notre équipe en Chine, ce qui ne marque en rien l’arrêt du développement de notre bureau chinois. Nous continuons à recruter fortement à Shanghai et ne comptons pas changer cela. Le deuxième objectif est de développer les ventes directement au Vietnam, pour nos clients chinois souhaitant s’attaquer à ce marché, mais aussi sur de nouveaux comptes.

Comment est structuré légalement IT Consultis ?
Nous avons une structure classique pour l’Asie, avec une holding à Hong Kong, une société WFOE à Shanghai investie à la holding et
une WFOE à Saigon, également propriété de la holding. C’est une structure permettant la création de sociétés filiales déténues à 100% par des capitaux étrangers, car les investissements doivent venir d’une société étrangère, tout en permettant des mouvements financiers inter-groupes relativement facilement.
Quelles types de difficultés administratives avez-vous rencontré en montant votre entité ?
Comme beaucoup d’entrepreneurs ici, nous avons rencontré des difficultés administratives pour passer toutes les étapes de l’enregistrement de la société. Il faut s’armer de temps et être conscient que le coût n’est pas du tout le même qu’en France. Se faire accompagner par un spécialiste ou un avocat permet d’accélérer ces procédures.
Auriez-vous pu développer le même business en France ?
Si je fais le bilan après plus de 5 ans d’existence, beaucoup de gens voient la Chine comme un eldorado où il est simple d’apporter de bonnes pratiques occidentales. Il ne faut pas oublier que c’est un marché extrêmement compétitif dans lequel il n’est pas facile de se faire une place. Nous avons vu beaucoup de sociétés démarrer dans le digital, mais très peu percer.

J’aurais tendance à dire que cela n’aurait pas été possible à faire en France, car le marché y était déjà très structuré en 2011. Les acteurs présents l’étaient depuis longtemps, sur un marché moins changeant que la Chine. Les barrières à l’entrée nous semblaient plus importantes en France, particulièrement sur un manque de flexibilité du travail et de l’administration.

Aujourd’hui, une grande partie de notre expertise est liée à la Chine et l’Asie sur l’accompagnement des sièges de sociétés internationales, pour les aider à comprendre les meilleures pratiques en Chine.

Pensez-vous revenir développer votre activité en France à terme ?
Maintenant que nous sommes bien établis, il pourrait être envisagé d’ouvrir un bureau commercial en France pour se rapprocher de certains de nos clients et leur offrir le confort de la proximité. C’est un objectif à moyen terme. Dans le même temps, nous observons une volonté croissante chez nos clients chinois de s’exporter vers l’Europe ou les États-Unis. Nous comptons les accompagner dans ce développement.
Parlons de vous, l’entrepreneur français basé en Chine. Quels sont vos rituels du matin pour démarrer votre journée de travail ?
Je suis quelqu’un qui se lève généralement très tôt, aux alentours de 6 h en moyenne et parfois encore plus tôt lorsque la pression augmente. J’apprécie d’être seul le matin et de pouvoir attaquer mes tâches récurrentes avant que l’équipe ou les clients ne soient là ! Je commence généralement par estimer la charge de travail de ma journée : comment est mon planning, combien d’emails reçus dans la nuit…

Appliquant la méthode Inbox Zero, je commence alors le tri de mes emails. Je supprime ou j’archive ce qui ne requiert pas d’action de ma part et je commence ensuite à répondre aux emails ne demandant pas d’action forte (une confirmation par exemple). Vers 7 h, soit je vais faire du sport si la charge de travail me le permet, soit je vais directement au bureau pour m’attaquer aux emails nécessitant plus de réflexion et déléguer ce qui peut l’être à l’équipe. À l’arrivée des équipes à 9 h, j’ai généralement pris pas mal d’avance et peux être ainsi disponible pour les clients, les collègues et les urgences !

Cette méthode me permet de ne prendre aucun retard, de ne pas rater un seul email et donc de conserver un niveau de productivité élevé. Commençant tôt, je peux aussi quitter le bureau à des heures correctes et profiter de mes soirées pour me détendre.

À quoi ressemble une journée/une semaine de travail avec votre équipe à Shanghai ?
Les journées sont généralement chargées tout en laissant un peu de place à de l’imprévu. Elles vont être rythmées par les rendez-vous avec les clients, le suivi de la production, des recrutements et de différents indicateurs de performance. Je peux dire que j’ai la chance d’avoir tout le temps du nouveau et d’être loin de la routine. Cela reste tout de même fatigant à la longue.

Pour ce qui est de la gestion du personnel, nous attachons une grande importance au bien-être de l’équipe : de nombreux avantages sont offerts tels que des horaires flexibles, de nombreux événements de team building, des sorties hebdomadaires. Nous avons une équipe soudée, responsable et cela se ressent sur la qualité du travail et une fidélité plus importante que la moyenne de l’industrie.

Quelle est selon vous la définition d’un entrepreneur ?
Pour moi, un entrepreneur est avant tout quelqu’un qui trouve des solutions. Ces solutions, monétisées ou non, sont là pour répondre au besoin d’un marché. Elles seront mises en œuvre dans tous les aspects d’une entreprise : financement, ressources humaines, clientèle, innovation, etc. C’est quelqu’un de conviction, de volonté et surtout de courage.
Cette définition évolue-t-elle du fait que vous soyez en Chine ?
Je pense que cette évolution reste la même en Chine. Cependant, d’un marché à l’autre, d’une industrie à l’autre, le lot de problèmes et les solutions attenantes sont différentes.
Du fait de la différence de l’environnement dans lequel vous évoluez, quelles sont les difficultés locales que vous rencontrez et que vos clients ont généralement du mal à comprendre ?
Nous remarquons assez souvent que certains clients ont des difficultés à comprendre le fonctionnement d’Internet en Chine et qu’à cause des infrastructures, particulièrement du Great Firewall of China [le système de surveillance et de censure de l’Internet mis en place par le gouvernement chinois, NDLR], les temps de développement peuvent parfois être plus longs.
Quels seraient les 2-3 conseils pour ceux qui souhaiteraient se lancer dans une aventure entrepreneuriale en Chine ?
Si je devais donner trois conseils à des entrepreneurs souhaitant se lancer en Chine, je leur dirais d’abord de prendre le temps d’observer. Le fonctionnement de la plupart des choses est différent en Chine. Il est important de remettre sa perception en question à tout moment et d’essayer de comprendre comment fonctionne le marché chinois. Secundo, je leur dirais de trouver leur « secret sauce » : le marché étant si concurrentiel, il est primordial de se différencier des concurrents. Enfin, je leur conseillerais de se constituer un écosystème sain : on est plus fort à plusieurs que tout seul. Il est donc souhaitable de se constituer un écosystème de partenaires de la même industrie, voire même de tisser des liens avec ses concurrents.
Quels sont vos objectifs, vos projets dans les douze prochains mois ?
Les objectifs pour les prochains mois sont de continuer à monter en puissance grâce au développement de nouveaux comptes clients, de plus en plus gros. Ce qui implique forcément de continuer à faire grossir les équipes et en monter sur des technologies plus complexes. Je souhaite aussi m’impliquer encore plus sur le succès de notre bureau au Vietnam. Enfin, nous souhaitons continuer à augmenter notre extension géographique.
Propos recueillis par Gregory Prudhommeaux

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Basé à Shanghai depuis 2006, Gregory Prudhommeaux est le fondateur de NextStep, qui accompagne les entrepreneurs en Chine par le conseil et la mise en réseau. Lui-meme "serial entrepreneur", il a longtemps animé la Jeune Chambre de Economique Française (JCEF) à Shanghai, et collaboré au Petit Journal Shanghai et est associe au Milu, le guide des nouveaux arrivants. Il a également travaillé pour des cabinets de conseils comme Altios International. Pour Asialyst, il donne la parole à ceux qui ont décidé de tenter l’aventure entrepreneuriale en Asie. Ils nous présentent leur activité, mais surtout leur parcours d’entrepreneur avec ses bons et moins bons moments, les difficultés et les avantages d’avoir choisi le marché asiatique, qui est aujourd’hui le leur.
[asl-front-abonnez-vous]