Revue de presse Asie - 21 octobre 2016

Rupture américano-philippine, ambitions de Shinzo Abe et opposition pakistanaise

Rodrigo Duterte a officiellement procédé à un revirement diplomatique au profit de la Chine et de la Russie. Copie d'écran du Philippine Star, le 21 octobre 2016.
Rodrigo Duterte a officiellement procédé à un revirement diplomatique au profit de la Chine et de la Russie. Copie d'écran du Philippine Star, le 21 octobre 2016.

Asie du Sud-Est

The Philippine« J’annonce ma séparation avec les Etats-Unis. » Hier, jeudi 20 octobre, le président philippin Rodrigo Duterte marqué un tournant vis-à-vis de Washington lors d’un discours à Pékin, quelques heures après un sommet avec son homologue chinois Xi Jinping. Il a donc confirmé son revirement diplomatique vers la Chine au détriment de son traditionnel allié, et malgré les conflits opposant Pékin et Manille en mer de Chine du Sud. « Vous êtes resté dans mon pays pour votre propre intérêt. Donc c’est l’heure de se dire au revoir, mon ami », a-t-il déclaré à l’attention de Washington.

Le département d’Etat américain a aussitôt réagi demandant des explications à Rodrigo Duterte, indique The Philippine Star dans un autre article. Ses déclarations sont « de manière inexplicable, contraires à la relation très étroite que nous avons avec le peuple philippin », a déclaré le porte-parole John Kirby, à Washington.

La visite de Duterte à Pékin consacre le réchauffement des relations avec la Chine, détériorées ces dernières année par un contentieux autour de la souveraineté sur des îles, dont le récif de Scarborough, en mer de Chine du Sud. Duterte a par ailleurs refusé d’aborder ce débat lors de cette première rencontre avec Xi Jinping, voulant accorder la priorité à la signature d’alliances commerciales et militaires. Xi Jinping a ainsi déclaré son pays disposé à « participer activement à la construction d’infrastructures aux Philippines, dans les secteurs des chemins de fer, du transport urbain sur rail, des autoroutes et des ports », selon le ministère chinois de l’Economie. Depuis le début de son mandat, Rodrigo Duterte ne cessait de vouloir confirmer son éloignement des Etats-Unis au profit de Pékin et de Moscou. Après avoir traité Obama de « fils de pute », il annonçait ainsi vouloir mettre fin à l’accord militaire entre les deux pays. Il n’accepte pas que Washington condamne sa lutte contre le trafic de drogue qui a déjà fait 3 700 morts depuis le 30 juin dernier. En revanche, ce mercredi 19 octobre, Xi Jinping affirmait soutenir cette politique philippine et être disposé à une coopération sur ce sujet.

Dans un éditorial, le quotidien d’Etat chinois Global Times regrette la mauvaise réaction du camp américain au rapprochement sino-philippin. « Cette décision devrait être saluée par l’ensemble de la communauté internationale. Le risque d’explosion de la plus grosse poudrière de la région s’amenuise. Pourtant, à Washington, Tokyo et Singapour, les dirigeants restent silencieux et les médias ne font qu’évoquer le moment où Pékin et Manille seront de nouveau en confrontation, écrit l’éditorialiste. Ces forces veulent maintenir le statu quo et d’autres veulent les en empêcher ! »

Pour le ministre philippin du Commerce, cette nouvelle déclaration de Duterte ne signifie pas la fin des relations commerciales avec les Etats-Unis, relate The Strait Times : « Les Philippines mettent juste fin à un rapport de dépendance trop fort. Mais nous n’arrêterons pas le commerce et les investissements avec les Etats-Unis »,, a-t-il assuré.

Channel News Asia – Yingluck Shinawatra condamnée. L’ex-Premier ministre thaïlandaise a appris ce vendredi 21 octobre qu’elle devrait payer une amende de 996 millions de dollars et verrait ses actifs saisis prochainement. Peu de temps après son entrée en fonction, à l’automne 2011, son gouvernement avait décidé d’acheter le riz auprès de producteurs thaïlandais à un prix supérieur à celui du marché. Le programme fut un échec et le pays s’est retrouvé avec des tonnes de riz invendu. Yingluck Shinawatra fut accusée de négligence, n’ayant pas mis fin à temps à cette initiative et n’ayant pas empêché le développement de la corruption liée au programme. Il lui fut alors demandé de compenser les pertes financières subies par la Thaïlande. « Ce n’est pas juste, a lancé l’ancienne Premier ministre, j’utiliserai tous les moyens possibles pour me défendre. » Selon les spécialistes de la politique thaïlandaise, il s’agit d’une façon de limiter encore l’influence de l’ancienne famille politique chassée du pouvoir lors du coup d’Etat militaire de mai 2014.
Myanmar Times – Le gouvernement d’Aung San Suu Kyi sous le feu des critiques. Alors que l’Etat Rakhine est en proie à de vives tensions depuis plusieurs jours, les voix s’élèvent contre le gouvernement, l’accusant de s’adonner à une « rhétorique anti-musulmane » et de cacher des informations sur la situation réelle dans la région. « Deux semaines après l’attaque de postes de police à la frontière avec le Bangladesh, les preuves permettant de déterminer les coupables se sont amoindries. Pourtant, cela n’a pas mis fin au blocage militaire de la région et n’a pas empêché le gouvernement d’accuser les musulmans », écrit un éditorialiste du Myanmar Times.

Depuis le 9 octobre dernier, le nord de la région est effectivement aux mains des militaires et les observateurs et journalistes locaux sont interdits d’entrée dans la zone. Au total, 15 000 Rohingyas, minorité musulmane particulièrement présente dans la région, auraient fui leur domicile pour se rendre à Sittwe, la capitale régionale. Certains affirment que des musulmans ont été victimes d’assassinats extra-judiciaires par les forces de l’ordre et que d’autres ont vu leur village brûler. Pourtant, ces informations restent totalement absentes des déclarations du gouvernement et des journaux locaux. Ces derniers se concentrent avant tout sur l’aide humanitaire apportée dans la région. Des propos nuancés par l’ONU qui accuse le gouvernement de les empêcher d’atteindre la région afin de fournir une aide alimentaire à plus de 70 000 personnes. La question de l’identité des coupables reste par ailleurs encore en suspens bien que le gouvernement ait pointé du doigt un groupe islamiste bangladais qui serait affilié au RSO, une organisation rohingya.

Asie du Nord-Est

South China Morning Post – C’est l’équivalent de la population britannique. D’après le dernier recensement gouvernemental sur les migrations internes en Chine, 61 millions d’enfants de travailleurs migrants (mingong) vivraient à la campagne loin de leurs parents, partis travailler dans les grandes villes côtières. « L’un des coûts humains les plus lourds de la croissance économique chinoises », commente le South China Morning Post. En moyenne, 35,6 % des enfants chinois en milieu rural vivent sans leur père ou leur mère – une proportion qui monte jusqu’à 44 % dans les provinces du Henan, de l’Anhui et du Sichuan.

Mais pourquoi les enfants n’accompagnent-ils pas leurs parents lors de ces migrations ? Car bien que les grandes villes aient besoin des mingong, elles font peut de cas des « services essentiels » à leurs enfants comme l’école et les soins. Les procédures administratives sont bien souvent décourageantes car très exigeantes – ce à quoi s’ajoutent un maigre salaire et des conditions de vie spartiates.

Les autorités de Pékin ont décidé de prendre en main la question après que plusieurs drames ont ému la population. En juin 2015, quatre enfants de travailleurs migrants, issus d’une même fratrie et âgés de 5 à 13 ans, se sont suicidés en ingérant des pesticides. Deux ans et demi plus tôt, en novembre 2012, cinq garçons sont morts intoxiqués au dioxyde de carbone après avoir allumé un feu de charbon dans une benne à ordures, pour « rester au chaud ».

Asahai Shimbun – La tribune en Une du quotidien nippon Asahi Shimbun n’est pas tendre à l’égard du Premier ministre Shinzo Abe. Cause de l’indignation : la décision du Parti libéral démocrate (PLD) d’étendre à trois le nombre de mandats maximum successifs de son président (soit 9 ans) au lieu de deux actuellement. Une décision prise sans soulever de véritable opposition interne. Shinzo Abe pourrait donc rester en place plus de 3 500 jours s’il était reconduit en 2018, annonce le Japan Times.

Car au-delà du mandat de président du PLD, c’est celui de Premier ministre qui est visé. Par coutume, il est attribué par l’Empereur au président du parti majoritaire à la Diète… Ainsi, si le PLD continue de remporter les élections législatives, Shinzo Abe pourrait également se maintenir à la tête du gouvernement nippon – et battre le record de longévité de son précédesseur Taro Katsura, Premier ministre pendant 2 886 jours (éclatés entre 1901 et 1913).

Le Asahi Shimbun avertit pourtant : « Les hommes politiques qui restent trop longtemps au pouvoir deviennent insensibles à la volonté du peuple. C’est une leçon intemporelle enseignée par l’histoire tout autour du monde. » Et de rappeler le cas de Jose de la Cruz Porfirio Diaz, président mexicain pendant 35 ans, pourtant élu sur la promesse de « mettre fin à la réelection des leaders politiques »

Yonhap – Pour la cinquième fois depuis avril 2015, les vice-ministres japonais, sud-coréen et américain des Affaires étrangères se rencontreront jeudi 27 octobre pour évoquer le dossier nord-coréen. « La situation est plus grave que jamais, compte tenu des provocations continues du Nord », explique le gouvernement de Séoul à l’agence de presse Yonhap. Objectif : « coordonner les actions » des trois pays et « déterminer de nouvelles sanctions ». Mais jusqu’à présent, l’ensemble des avertissements émis et des mesures prises contre Pyongyang, qui az procédé à son cinquième essai nucléaire en septembre, n’a pas réussi à dissuader le « royaume ermite ». Hier encore, la Corée du Nord testait un missile – probablement un Musudan de portée intermédiaire (voir notre revue de presse du 21 octobre).

Asie du Sud

Dawn – Coup de vis contre l’opposition pakistanaise. Une cour antiterroriste d’Islamabad vient de rappeler à l’ordre la police, qui n’a pas encore appliqué les mandats d’arrêts émis à l’encontre de deux leaders des partis d’opposition, Imran Khan (Mouvement du Pakistan pour la Justice, Pakistan Tehrik-i-Insaf – PTI) et Tahirul Qadri (Mouvement du Peuple pakistanais, Pakistan Awami Tehrik – PAT) ainsi que 68 autres personnes. En cause : leur implication dans la dégradation des locaux de la chaîne PTV ayant conduit à une interruption de l’antenne le 1er septembre 2014, après s’être faits refouler des bureaux du Premier ministre situés en face. Désormais, la police pakistanaise a jusqu’au 17 novembre pour arrêter les 70 personnes et les présenter devant la Cour.

Mais cette piqûre de rappel intervient-elle spontanément ? Rien n’est moins sûr d’après le quotidien Dawn, qui rappelle « l’affrontement » entre Imran Khan et le gouvernement fédéral après l’explosion du scandale des Panama Papers, dans lequel la famille du Premier ministre Nawaz Sharif est impliquée. Une vaste manifestation doit d’ailleurs être organisée par le PTI à Islamabad le 2 novembre, afin de « mettre la pression » sur les autorités quant au Panamagate. Le parti a également déposé une pétition auprès de la Cour suprême, demandant la destitution de Nawaz Sharif.

L’annonce de la cour anti-terroriste n’a pas découragé le PTI, qui s’est fendu d’un avertissement au gouvernement ce vendredi 21 octobre sur un tout autre dossier : celui du corridor économique Chine-Pakistan (CPEC). Le président de l’assemblée provinciale du Khyber-Pakhunkhwa (KP), Asad Qaiser (membre du PTI), a ainsi rappelé que « l’unité nationale pakistanaise » était « menacée » par la concentration des projets du CPEC dans une seule province, car cela ne permettait pas à l’ensemble du pays de profiter du développement économique lié aux travaux d’infrastructure, rapporte The Express Tribune.

Firstpost – Panique à quelques jours des célébrations de Diwali, la fête des lumières. Trois millions de cartes bleues issues de plusieurs banques, dont la Bank of India, auraient été compromises par une faille de sécurité dans des distributeurs de billets. L’ensemble des établissements bancaires ont déjà commencé à bloquer ces cartes défaillantes et à en renvoyer une nouvelle à chaque client. Mais cela pourrait prendre jusqu’à une semaine, empêchant aux clients de faire leurs derniers achats avant Diwali – qui aura lieu le 30 octobre – ou de partir en vacances. Pour l’instant, aucune banque n’a dévoilé si des clients avaient perdus de l’argent ou si des données personnes avaient été diffusées.
India Today« Les Etats-Unis et l’Inde ont décidé de poursuivre leur engagement sur le dossier des visas, et sont résolus à faciliter le mouvement des professionnels, des experts et du personnel scientifique entre les deux pays ». C’est la conclusion du 10e forum indo-américain sur les politiques commerciales, émise dans une déclaration conjointe du ministre indien du Commerce et de l’Industrie Nirmala Sitharaman et le représentant du Commerce américain Michael Froman. En ligne de mire : la signature d’un accord de totalisation, que l’Inde souhaite au plus vite afin de mettre un terme à la restriction de mouvement de ses professionnels en informatique. Mais si les négociations continuent d’achopper, c’est parce que la question de la propriété intellectuelle et de la protection des secrets demande un examen plus approfondi.
Par Joris Zylberman, Alexandre Gandil et Cyrielle Cabot, avec Sylvie Lasserre Yousafzaï à Islamabad

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