Economie
Expert - Trait de Corée

 

Startups : ça bouge en Corée, la French Tech s’affiche

Un jeune homme sud-coréen entre l'incubateur de stratup Yongsan à Séoul le 6 février 2015.
Un jeune homme sud-coréen entre chez un incubateur de startup à Yongsan, Séoul le 6 février 2015. (Crédits : JUNG YEON-JE / AFP)

La « French Tech », c’est la « French Touch » de l’innovation, un label lancé par le gouvernement en 2014 pour fédérer, animer, accélérer et promouvoir l’écosystème national des startups. Si ce dernier n’a pas attendu pour se développer en Corée du Sud, la French Tech débarque à un moment intéressant pour les deux pays.

La Corée en plein boom

Certes, l’écosystème des startups innovantes en Corée continue à être vampirisé par les grands conglomérats (chaebol). Mais la donne a changé de façon spectaculaire ces dernières années, avec en particulier l’arrivée de Google Campus et de grosses pointures internationales du capital innovation (voir notre article sur le sujet). Ça bouge à tous les niveaux et chez tous les acteurs.
D’abord, s’ils peinent toujours à s’adapter à des écosystèmes ouverts, les chaebol du secteur (Samsung, KT, SK Telecom et compagnie) investissent massivement dans les jeunes pousses pour essayer de rattraper le temps perdu, et le phénomène gagne d’autres secteurs innovants.

Il faut savoir aussi que les net players qui avaient profité de l’échec des grands groupes pour créer des plateformes leaders en Corée (Daum – Kakao, Naver – Line) continuent à agréger de la valeur autour d’elles, et à étendre leur présence à l’international.

Par ailleurs, les politiques font le maximum pour exploiter au mieux le potentiel, y compris pour leur propre image. A droite, la Présidente Park Geun-hye ne jure que par « l’économie créative », ses 17 CCEI (Centres pour l’Economie créative et l’Innovation parrainés par des chaebol), ou l’apprentissage du codage informatique pour tous les enfants. A gauche, le maire de Séoul Park Won-soon multiplie les initiatives et infrastructures pour stimuler les startups et offre les clefs de la Big Data de la ville à tous les développeurs, avec une priorité sur l’économie du partage et les initiatives pour animer des communautés défavorisées.

Autre phénomène important, les meilleurs talents ne cherchent plus nécessairement la sécurité des grands groupes à la sortie de l’université, et de plus en plus prennent le risque startup parce qu’ils savent que quoi qu’il advienne ce sera un plus sur leur CV. De leur côté, de nombreux jeunes alternatifs rejoignent les mouvements « makers » et « sharing economy », à la source de nombreuses innovations.

Au-delà des accélérateurs, incubateurs et autres VCs venus d’ailleurs, la jeunesse contribue aussi fortement à l’internationalisation de l’écosystème local, entre les jeunes Coréens formés à l’Ouest, les Coréens-Américains venant tenter leur chance dans la mère patrie, la population croissante d’étudiants et d’entrepreneurs étrangers…
Bien sûr, il y a du déchet et des échecs, et beaucoup vont se retrouver sur le carreau. Mais précisément, l’échec commence enfin à être reconnu à sa juste valeur dans un pays où il était jusque-là tabou, et sur toute la chaîne, bottom-up comme top-down, un terreau fertile se met en place pour la suite.

La Corée semble enfin mieux armée pour capitaliser plus efficacement sur ses atouts exceptionnels : un paradis du haut débit fixe et mobile (infrastructures, hardware, services, contenus, usages…), des leaders mondiaux dans des technologies clef, un marché porté sur l’innovation, avec une forte base d’early adopters et souvent un rôle de trend setter dans la région…

Du savoir-faire français au « faire-savoir » French Tech

A priori, la Corée n’est pas la première destination venant à l’esprit d’un entrepreneur français, et aux yeux des startup coréennes, la France arrive après les Etats-Unis ou la Chine. Pourtant, il existe bien un écosystème franco-coréen, et l’agence digitale Asiance fait même figure de pionnière et de modèle avec sa soixantaine d’employés et son rayonnement à travers l’Asie.
Son CEO Olivier Mouroux souhaiterait voir plus d’entrepreneurs français faire le saut en Corée, où il trouve la création d’entreprise relativement accessible, et les plateformes locales assez rapides à assimiler.
Danny Sangyong Han (Orange Labs Seoul) sent monter l’intérêt entre les deux pays. D’un côté, note-t-il, plus d’investisseurs français font le voyage vers Séoul, et de l’autre, l’écosystème français réussit aux startups coréennes, à l’image des retombées médiatiques pour Dot, la smartwatch Braille retenue par Orange Fab (programme d’accélération tournant entre Tokyo, Séoul, et Taipei).
Danny a rejoint l’opérateur français en 2004, l’année où Olivier a co-fondé son agence. Avec l’Ambassade de France, Business France, et la Chambre de commerce et d’industrie franco-coréenne, Asiance et Orange Fab font partie des cinq partenaires fondateurs du French Tech Hub de Séoul.
IoT signifie « Internet of Things » ou « Internet des objets » ; fintech renvoie aux nouvelles technologies de la finance, et medtech aux nouvelles technologies médicales.
La « French Tech », c’est la « French Touch » de l’innovation, un label lancé par le gouvernement en 2014 pour fédérer, animer, accélérer et promouvoir l’écosystème national : de ses « Métropoles French Tech » à ses « French Tech Hubs » à l’étranger, avec ses « Réseaux thématiques French Tech » pour regrouper les verticales (IoT, fintech, medtech*…), en passant par son « French Tech Ticket » pour attirer des entrepreneurs étrangers en France, ses « French Tech Tours » pour accompagner les acteurs français à l’étranger, ou encore ses « French Tech Days » pour présenter le savoir-faire français…

Si ce côté marketing vous effraie, et si vous imaginez une machine étatique monolithique au sommet d’un écosystème fragile et agile, dites-vous qu’au contraire, l’Etat la joue plutôt smart en mettant en avant cet écosystème dans toute sa diversité, et en ne dédiant qu’une équipe réduite à sa Mission French Tech (rattachée au ministère français de l’Economie). La principale nouveauté réside dans le « faire savoir », et l’utilisation de la marque est ouvert à l’écosystème tout entier, bloggeurs compris, avec une charte simple et accessible.

En réalité, la vraie marque ombrelle demeure la France, et La French Tech doit aider ceux qui l’ignorent encore à travers le monde à comprendre que ce pays connu pour sa cuisine, ses vins ou sa mode bénéficie aussi d’un écosystème startup de classe mondiale. Au-delà d’une marque, c’est cette réalité qui doit s’imposer naturellement aux yeux du monde. D’ailleurs, apposer un label coûte bien moins cher que d’imposer une marque, et tout l’art consiste à capitaliser sur l’existant, à nourrir l’écosystème sans trop le solliciter, à optimiser les ressources comme les retombées pour tous et chacun.

Annoncé à l’occasion du sommet de novembre 2015 à Séoul entre François Hollande et Park Geun-hye, le lancement de French Tech Seoul en mars 2016 a pu ainsi profiter de l’Année France-Corée 2015-2016, et vice versa. Si l’Ambassade et Business France n’ont pas attendu le « hub » pour promouvoir l’écosystème, la seule marque peut apporter une dimension supplémentaire au quotidien ou à l’occasion des événements, missions, et présences sur les salons (comme pour le pavillon français au prochain Robot World 2016).

Bien sûr, le French Tech Hub de Séoul ne bénéficie pas encore d’un écosystème aussi développé que celui de San Francisco ou même Moscou, mais les French Tech Days de mai dernier ont réuni plus de 250 participants avec un coup de projecteur réussi sur la fintech. Et le hub compte déjà des acteurs majeurs des deux pays parmi ses partenaires, entre les ministères et administrations, les organisations professionnelles, les clusters, les VCs, accélérateurs et facilitateurs, et tous les Samsung, SK Telecom, Dassault Systèmes, et autres Naver… Il va prochainement se renforcer avec un expert dédié qui sera au plus près du terrain, hébergé par les incubateurs coréens (TIPS Town, CEL Venture Complex). Pour les jeunes pousses, les points d’entrée dans les écosystèmes des deux pays sont considérablement facilités.

Le potentiel est bien là, et tout le monde en est convaincu… A commencer visiblement par l’ex-ministre à l’origine de La French Tech en 2013 : écartée du gouvernement en février dernier, Fleur Pellerin a officiellement quitté la fonction publique cet été pour lancer Korelya, sa boîte de conseil pour les investissements sud-coréens dans les nouvelles technologies en France. Quand on vous dit qu’une bonne startup doit savoir capitaliser sur un échec…

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A propos de l'auteur
Auteur et concepteur né à Paris et basé à Séoul. Observateur de la société coréenne depuis un quart de siècle, cet expert en stratégie et innovation a survécu à trois start-ups avant de participer à la création de Cegetel et de piloter la veille stratégique de SFR. Fondateur de nombreux blogs dont SeoulVillage.com, il est également auteur de fictions et passionné d'urbanisme.
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