Corée du Sud : adresse inconnue à Séoul
Un quadrillage hérité de la colonisation japonaise
Le nouveau système a le mérite de la simplicité : un numéro de rue et un nom de rue suffisent : il n’est donc plus besoin de préciser le quartier ou l’arrondissement (précisons que le code postal a également été modifié en 2015, passant de six à cinq chiffres, mais c’est une autre histoire).
Le problème est qu’à l’occasion du changement de système d’adressage, chaque rue et chaque ruelle a reçu un nom souvent complètement différent de celui existant auparavant.
Pour la population, ce n’est a priori pas un problème : plus que sur le changement du nom de rue, le choc culturel porte sur le passage du numéro de dong au numéro de rue, matérialisé par le panneau apposé à la maison. A l’exception des dénominations des très grandes artères familières de tous les Séoulites, peu de gens connaissaient (et a fortiori utilisaient) ces anciens noms de rue. Pas même très souvent le nom de leur propre rue, s’en remettant souvent, pour expliquer où était leur maison à des explications visuelles (un arbre, une intersection, une boutique), parfois même dessinées sur un petit plan au dos des cartes de visite.
A leur insu, ils sont pourtant aujourd’hui en train de perdre tout un volet de leur culture, parce que trop souvent, les nouvelles dénominations, pondues à la chaîne pour rebaptiser des milliers de voies publiques d’un seul coup avec l’ambition de faciliter leur localisation, sont totalement dépourvues de poésie ou d’identité, et effacent même les dernières références à de nombreux quartiers de la ville.
Des noms de rues ancrés dans l’histoire et la littérature
Les anciens noms de rues faisaient souvent référence à un monument ou bâtiment important du quartier (Donhwa-ro, ainsi appelée en référence à Donhwa-mun, porte du palais Changgyeong, ou encore Jong-ro ou Jongno, l’avenue de la cloche pour celle qui autrefois sonnait le couvre-feu à Séoul), voire au quartier lui-même (Myeongdong-ro), ou parfois tout simplement à un arbre, un carrefour ou un lieu bien particulier (Supyo-ro, la rue de la “marque » de l’eau, en référence à l’échelle de mesure de crue qui autrefois ornait un pont du quartier). Des noms d’axes secondaires se déclinaient aussi en ajoutant des numéros, en particulier dans les quartiers récemment développés.
Avec son approche quasi industrielle, le nouveau système a généré en bloc une infinité de noms en procédant généralement par capillarité autour de l’axe principal du quartier. Par exemple, à Yeonhui-dong, les rues donnant sur l’avenue Yeonhui-ro sont numérotées de façon croissante dans le sens de la montée, les rues impaires à gauche, les rues paires à droite. Et les allées partant de ces rues secondaires sont numérotées de façon croissante en s’éloignant de l’axe principal, mais en suivant cette fois-ci l’alphabet coréen (ga, na, da…) au lieu des chiffres. Ainsi, Yeonhui-ro 27-na-gil est la deuxième allée donnant sur la rue Yeonhui-ro 27-gil quand vous venez de l’avenue Yeonhui-ro.
La logique paraît imparable, mais ce quartier n’a rien d’un quadrillage parfait ou même d’un modèle fractal régulier ; certaines horizontales peuvent devenir verticales, certaines allées se couder… Ailleurs, des rues parallèles peuvent référer à différentes avenues, avec en prime des numéros qui ne se suivent pas.
Quartiers partis sans laisser d’adresse
Cette réforme risque toutefois de détruire de la mémoire collective certains noms de quartier, même si c’est de façon plus subtile que ces bulldozers qui ont anéanti tant de « dong » du vieux Séoul pour faire place à des rangées d’immeubles sans âme, comme les six compris dans ce seul petit bloc aux pieds de la muraille de la ville, à Donhuimun : Gyobuk-dong, Gyonam-dong, Haengchon-dong , Hongpa-dong, Pyeong-dong, et Songwol-dong ( « In memoriam Samdong Samgeori, Gyonam-dong« ).
En fait, le dong avait déjà perdu son sens depuis des décennies, avec la multiplication de ces « nouvelles villes » dans la ville. A l’origine, le mot dong faisait écho à la source d’eau qu’une communauté partageait. Il fut par la suite employé pour distinguer les nouvelles unités de vie dans la ville, ces grandes tours de logements au sein d’immenses barres d’immeubles. Pour beaucoup de Séoulites, l’ancienne adresse comprenait donc deux numéros de dong (par exemple appartement numéro 710 au 7ème étage du 504ème dong du 5ème bloc de la marque Jugong à Sanggye-dong). C’est malheureusement le moins poétique de ces deux dong qui survivra.
Pratique
Pour convertir une adresse ancienne en son équivalent actuel, le site juso (adresse) en coréen et en anglais permet de ne pas se tromper !
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