Culture
Expert - Livres d'Asie

Laos : du danger des "mauvais termes"

Photo de fermiers
Des fermières sèment des grains dans le potager familial dans un village près de Ventiane, le 19 mars 2006. (Crédits : AFP PHOTO/HOANG DINH Nam)
« Les decisions arbitraires
Que ni larmes, ni prières
Ne font revenir en arrière
Sèment les grains de la revolte. »

C’est l’un des petits poèmes dont Anne-Sophie Gindroz, juriste et responsable d’une organization humanitaire suisse au Laos, parsème un livre publié récemment. Elle y raconte son experience, dans ce vaste pays, peu peuplé, sans accès à la mer, de près de 7 millions d’habitants. Une experience qui se terminera par son expulsion de la Republique populaire démocratique du Laos.

Le Laos est entouré de la Chine, du Vietnam, de la Thaïlande, de la Birmanie et du Cambodge. Il fait rarement la une des journeaux, sauf peut-être en Thailande, à l’occasion d’une visite d’Etat, ou d’une compétition sportive.Ou bien lors de la disparition d’un militant des droits de l’homme, tel Sombath Somphone, 60 ans, ami de l’auteur, et dont le sort a ému l’Union Europenne. Le livre est du reste dédie à l’épouse (la veuve ?) de Sombath.

Le livre est direct. Pas question d’exotisme touristique, mais de contacts avec les pêcheurs, les paysants, dans bien des cas, de veritables damnés de la terre, taillables et corvéables à souhait. Car Anne-Sophie Grindoz est une femme de terrain. Une bonne partie du livre décrit ses rencontres avec des paysans qui ont ou qui vont perdre leur champs. Dont les rivieres sont polluées, et ou ne flottent plus que des cadavres de poissons. Conséquences de la modernisation du pays, souvent confiée à des enterprises étrangères, chinoises, thaïlandaises, coréennes ou vietnamiennes.

Installée en 2009 à Vientiane avec sa famille, elle decouvre qu’une partie du jardin qui borde la route de terre va être expropriée. On va construire une route à quatre bandes. Elle interroge un voisin, qui contemple sa facade éventrée :

« Le projet va vous aider, non ? »
Reponse :
« Pfff… quelle aide? »
« Mais la loi ? » s’étonne l’auteur.
Reponse du citoyen laotien :
« Moi, je suis à la retraite, et je veux vivre en paix. Je ne veux pas finir mes jours en prison.

Des compensations ? Les Laotiens expropriés en touchent exceptionnellement. Elles ne couvrent que très rarement la valeur de ce qui est perdu. Les fonctionnaires, quoi qu’ils en pensent, ont appris a traiter les dossiers delicats. Ainsi d’un projet soumis par l’auteur à un fonctionaire des Affaires étrangeres qu’elle remercie d’avoir repondu en trois mois, alors que souvent la réponse se fait attendre, et attendre.

« Avec vous, ça n’a pas pose de probleme, lui explique le fonctionnaire du ministère, car vous n’avez pas fait usage de “mauvais termes”. »
Elle questionne : « Mauvais termes ?
– Oui, « droits de l’homme ».
– Dans ce cas vous rejetez ?
– Non, on ne refuse pas, on ne donne pas suite, tout simplement. »

En tout objectivité, il faut bien dire que le Laos n’est pas le seul pays où « droits de l’homme » est une « mauvais terme ».

A LIRE

Anne-Sophie Grindoz, Au Laos, la repression silencieuse, Col. Mékong, Asieinfo publishing, Bangkok, 2015, 15 euros. Disponible sur Amazon.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Jacques Bekaert (1940-2020) fut basé en Thaïlande pendant une quarantaine d'années. Il est né le 11 mai 1940 à Bruges (Belgique), où sa mère fuyait l’invasion nazie. Comme journaliste, il a collaboré au "Quotidien de Paris" (1974-1978), et une fois en Asie, au "Monde", au Far Eastern Service de la BBC, au "Jane Defense Journal". Il a écrit de 1980 a 1992 pour le "Bangkok Post" un article hebdomadaire sur le Cambodge et le Vietnam. Comme diplomate, il a servi au Cambodge et en Thaïlande. Ses travaux photographiques ont été exposés à New York, Hanoi, Phnom Penh, Bruxelles et à Bangkok où il réside. Compositeur, il a aussi pendant longtemps écrit pour le Bangkok Post une chronique hebdomadaire sur le vin, d'abord sous son nom, ensuite sous le nom de Château d'O. Il était l'auteur du roman "Le Vieux Marx", paru chez l'Harmattan en 2015, et d'un recueil de nouvelles, "Lieux de Passage", paru chez Edilivre en 2018. Ses mémoires, en anglais, ont été publiées en 2020 aux États-Unis sous le titre "A Wonderful World".
[asl-front-abonnez-vous]