Economie
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Corée du Sud : avis de gros temps pour les chantiers navals

Construction d'un porte-conteneurs dans les chantiers navals de Daewoo DSME à Okpo, à 60 km au sud de Pusan, le 3 décembre 2014.
Construction d'un porte-conteneurs dans les chantiers navals de Daewoo DSME à Okpo, à 60 km au sud de Pusan, le 3 décembre 2014. (Crédits : ED JONES / AFP)
Employant 150 000 salariés, la construction navale sud-coréenne qui est à l’origine de 7,6 % des exportations du pays, fait face à des difficultés sans précédent. En cause, l’effondrement des commandes dans le monde et la concurrence de la Chine. Cette année, entre janvier et mai, les trois plus grands chantiers ont décroché 14 commandes, un peu moins que le Japon et beaucoup moins que la Chine ! L’annonce en juillet d’un plan de restructuration prévoyant plus de mille licenciements par Samsung Heavy Industry a déclenché une grève.

La percée coréenne

Depuis plus d’un demi-siècle, la construction navale est dominée par les chantiers asiatiques et son histoire illustre le « vol des oies sauvages » : le transfert de spécialisations industrielles entre pays asiatiques. Il faut commencer par le Japon. Née en 1890, la construction navale nippone s’était hissée à la troisième place mondiale en terme de tonnage derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Curieusement, les chantiers japonais avaient été épargnés par les bombardements et en 1945, l’administration militaire américaine qui gérait l’archipel avait décidé de cantonner le Japon à construire des navires de faible tonnage. Une restriction rapidement levée et, dès 1948, les chantiers japonais retrouvaient leur activité d’avant-guerre. Ils ont alors bénéficié des commandes des armateurs du monde entier qui ont reconstitué leurs flottes – plus de 60 % du tonnage avait été coulé pendant la guerre. Dès les années 1960, le Japon devenait le plus grand constructeur mondial et sa part dans les ventes atteignait 50 % lorsqu’éclata la guerre du Kippour. Ce conflit provoqua un brusque arrêt des commandes qui retrouvèrent leur niveau de 1973 qu’en 2003.
Tonnage livré dans le monde et parts de la Chine, de la Corée du Sud, du Japon, de l’Europe et du reste de l’Asie.
Tonnage livré dans le monde et parts de la Chine, de la Corée du Sud, du Japon, de l’Europe et du reste de l’Asie.
Le premier choc pétrolier a été une mauvaise nouvelle pour la construction navale coréenne qui venait de s’engager dans la « roue des Japonais ». En effet, à la fin des années soixante, le gouvernement sud-coréen avait décidé de promouvoir ce secteur pour ses « vertus industrialisantes » : il constituait un débouché à la toute nouvelle sidérurgie – l’acier représente un cinquième du coût d’un pétrolier – et à l’industrie mécanique. L’État a ciblé la construction navale et choisi l’entreprise qui investirait dans ce secteur : Hyundai. S’il avait construit en un temps record l’autoroute Séoul Busan, Hyundai n’avait aucune expérience de la construction navale et les chantiers coréens construisaient des navires de moins de 20 000 tonneaux de jauge brute (tjb). La première difficulté a été d’assurer des financements. Une banque anglaise a accepté de faire un prêt à Hyundai sous réserve que l’entreprise lui présente des commandes. Le « chairman Chung » a convaincu un armateur grec de commander deux super-pétroliers à un chantier qui n’existait pas encore. Depuis, Livanos a commandé une quinzaine de pétroliers au constructeur coréen.

Dans les mois qui ont suivi, les ouvriers du chantier d’Ulsan ont construit simultanément le chantier et les deux super-pétroliers qui devaient être livrés en 1974. Le choc pétrolier ayant conduit l’armateur à renoncer à sa commande, Hyundai a créé une filiale de transport maritime qui a acheté les deux navires. D’autres commandes ont suivi et cette industrie a attiré d’autres groupes coréens. La construction navale sud-coréenne a progressé alors qu’au niveau mondial les livraisons ont diminué jusqu’en 1988. En 1985, la Corée a rattrapé l’Europe. Douze ans plus tard, elle dépassait le Japon et sa part du marché mondial frôlait les 40 % en volume, et les 50 % en valeur. En 1998, pendant la crise asiatique, la Corée a été accusée de maintenir des surcapacités. Les banques publiques ont soutenu les entreprises et ont transformé leurs créances en participations au capital, 6 % en moyenne et 52 % dans le cas de Daewoo Shipbuilding.

Structure des carnets de commandes des chantiers navals sud-coréens, chinois et japonais au 31 décembre 2015.
Structure des carnets de commandes des chantiers navals sud-coréens, chinois et japonais au 31 décembre 2015.

La montée de la Chine

Commencée à la fin des années 1990, la montée de la construction navale chinoise s’est déroulée dans un environnement porteur – les livraisons mondiales ont triplé entre 2000 et 2008. Les commandes aux chantiers chinois ont dépassé celles des chantiers japonais en 2009 et celles des chantiers sud-coréens trois ans plus tard. Si les Chinois obtiennent plus de commandes, les Coréens construisent des navires plus sophistiqués – fin 2015, les transporteurs de gaz représentaient 38 % des carnets de commandes coréens (6 % pour la Chine) et les pétroliers 25 % (Chine : 12 %) – et ils se sont diversifiés vers la construction de plateformes pétrolières.

À la veille de la crise de 2008, les chantiers sud-coréens vivaient une situation de pénurie de personnel : ils sous-traitaient en Chine où les salaires ouvriers étaient dix fois moins élevés tandis que les chantiers chinois faisaient des propositions alléchantes pour séduire les techniciens coréens. La crise mondiale a fait aussitôt chuter les commandes alors que les livraisons ont continué de progresser jusqu’en 2011. A cette époque, la construction navale coréenne consommait 7,4 millions de tonnes d’acier (l’quivalent de 1 000 Tours Eiffel !). Depuis les commandes ont diminué d’un tiers. Au premier semestre 2016, la Chine, quant à elle, a concentré près de la moitié des commandes mondiales. Grâce à la baisse du yen et aux aides publiques, les chantiers japonais ont obtenu 30 %.

Aujourd’hui, la situation financière des trois plus grandes entreprises coréennes (Hyundai, Samsung Heavy Industries et Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering) se détériore – ils avaient fait 6 400 milliards de wons de pertes en 2015 – et leurs difficultés plombent le bilan des banques d’État. La construction navale coréenne a des réserves de commandes importantes et les Coréens espèrent décrocher des contrats en Iran. Toutefois, même si le marché mondial se redresse d’ici cinq ans, comme l’attend la profession, la Corée devra compter avec la Chine qui non seulement a des coûts inférieurs mais a les moyens financiers de proposer des conditions de financement généreuses à ses clients.

Après le Japon et la Corée du Sud, la Chine va dominer la construction navale mondiale pendant quelques années. Y a-t-il des candidats pour l’après-Chine ? Le Vietnam s’était lancé dans ce secteur quelques années après la Chine. Victime d’erreurs stratégiques et d’errements de gestion, le groupe Vinashin a fait faillite – depuis, Hyundai a pris une participation dans son capital. Le Vietnam est désormais à la cinquième place mondiale avec 1 % du marché, derrière les Philippines à la quatrième avec 3 %. Parmi les quatre constructeurs philippins, on trouve le Singapourien Keppel (Singapour) et le Sud-Coréen Hanjin.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).
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