Economie
Expert - le poids de l'Asie

 

Chine : une économie à deux moteurs

Le Premier ministre chinois Li Keqiang a tenu une table ronde sur l'économie chinoise en marge du sommet 1+6 à Pékin le 22 juillet dernier, pour une "économie mondiale durable, forte et équilibée".
Le Premier ministre chinois Li Keqiang a tenu une table ronde sur l'économie chinoise en marge du sommet 1+6 à Pékin le 22 juillet dernier, pour une "économie mondiale durable, forte et équilibée". (crédit: Mark Schiefelbein / POOL / AFP).
Au deuxième trimestre de 2016, la croissance chinoise a été, comme au premier trimestre, de 6,7 %. Quels en sont les moteurs ?
La production industrielle chinoise, tout comme la croissance du pays, s’est stabilisée au deuxième trimestre 2016 à un niveau élevé – si on la compare à celle de la consommation d’électricité qui, après une poussée au premier trimestre, était de nouveau faible. La suspension de la publication indépendante de la production industrielle maintient le doute sur la fiabilité des statistiques. Leur analyse témoigne néanmoins d’une évolution préoccupante : l’arrêt, peut-être momentané, du processus de rééquilibrage entre les deux moteurs de l’économie.
Croissance du PIB, de la production industrielle et de la consommation d’électricité
Croissance du PIB, de la production industrielle et de la consommation d’électricité
A l’instar des voitures hybrides, l’économie chinoise fonctionne avec deux moteurs : le premier utilise un carburant traditionnel, l’investissement, le second, la consommation des ménages.

La France des Trente Glorieuses investissait le quart de son PIB, le Japon des années 1970 un tiers et ce taux atteignait 40 % en Corée du Sud dans l’année qui a précédé la crise de 1997. La Chine du Grand Bond en avant qui s’est achevé sur une famine et des millions de morts, aurait investi près de la moitié de son PIB.

Ramené à 33% entre 1980 et 2000, ce taux a augmenté après l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001 et le gouvernement a évoqué la nécessité d’un rééquilibrage vers la consommation pour aboutir à une croissance harmonieuse. Il n’a pas eu lieu.

En 2008, la crise mondiale aurait pu être l’occasion d’engager ce processus en décidant de mesures vigoureuses (certificat de résidence, propriété de la terre, sécurité sociale, santé) pour réduire l’épargne de précaution des ménages et favoriser la consommation. Le rééquilibrage aurait exigé plusieurs années et il aurait provoqué un ralentissement et la montée du chômage dès 2009, vingtième anniversaire des événements de Tian’anmen.

Le gouvernement a pris quelques mesures – parmi lesquelles la réduction de la TVA – pour doper les ventes et il a privilégié la relance par l’investissement. Bravant les pronostics alarmistes, il a annoncé dès octobre 2008 que la croissance de 2009 serait de 8 %. Pour atteindre ce résultat, s’il a un peu maquillé les chiffres, il a accéléré le programme d’investissement public et ouvert les vannes du crédit. Le taux d’investissement a dépassé les 45 %. Mesuré en dollars américains, l’investissement de la Chine (formation brute de capital fixe) dépasse celui, cumulé, des États-Unis, de l’Allemagne et de la France. Un quart va aux infrastructures, viennent ensuite l’immobilier et le secteur manufacturier dans lequel la Chine investirait huit fois plus que l’Allemagne et trois fois plus que les États-Unis.

La consommation est un moteur auxiliaire de l’économie. Une situation paradoxale pour un pays dont le marché a toujours fait rêver. Dans les années 1930, Carl Crow, un homme d’affaires américain vivant en Chine a publié un livre « 400 millions de consommateurs » qui témoigne de cette fascination. Dans son dernier chapitre, l’auteur fait ainsi miroiter les conséquences d’une évolution anodine : si chaque Chinois mangeait une pomme, il n’y aurait pas assez de navires pour satisfaire leur appétit !

Si elle progresse très rapidement depuis les années 2000, la consommation des ménages n’est pas le principal moteur de l’économie tout en pesant sans doute plus que ce que mesurent les statistiques (39 % du PIB) qui ont du mal à apprécier les achats de services et les dépenses des Chinois les plus fortunés. Toutefois, même redressée, la part dans le PIB de la consommation des ménages reste inférieure à celle de l’investissement.

La suspension du rééquilibrage

Compte tenu des poids respectifs de l’investissement et de la consommation, une forte accélération de cette dernière serait nécessaire pour compenser un ralentissement du premier.
Si ce n’est pas le cas, le rééquilibrage freine la croissance. C’est ce que l’on constate depuis plusieurs trimestres.
Croissance des ventes de détail et de l’investissement fixe (2009 - 2016)
Croissance des ventes de détail et de l’investissement fixe (2009 - 2016)
Les mesures de restriction de crédit adoptées en 2013 contre la spéculation immobilière ont ramené la croissance en dessous de 7 % en 2015. Depuis le premier trimestre 2016, elle s’est stabilisée à 6,7 % et a changé de carburant. Les ventes de détail ralentissent, l’investissement des entreprises d’État repart, autour de 10 %, et l’investissement privé pique du nez. Cela signale la suspension des efforts de rééquilibrage qui ralentissaient la croissance. Une attitude qui n’est pas étrangère au contexte politique marqué par le 19ème congrès du Parti qui, en 2017, devrait confirmer le second mandat de Xi Jinping.

Quel risque ?

La reprise de l’investissement signifie une augmentation de l’endettement. Rapportée au PIB, la dette agrégée de tous les agents (ménages, entreprises, provinces, État Central) atteignait 237 % en mars 2016. Ce niveau élevé, proche du taux d’endettement américain, et plus encore sa progression – il était de 148 % du PIB en 2007 – inquiète. Plus de la moitié s’explique par la dette des entreprises dont le montant est égal au PIB de l’Allemagne.
Partout dans le monde, les épisodes de poussée rapide du crédit se sont achevés par des crises financières. La Chine fera-t-elle exception ? Sa situation est certes différente. Libellée en Renminbi, sa dette est portée par des créanciers domestiques : les banques d’État et la finance de l’ombre (« shadow banking »). Sans pouvoir totalement empêcher les fuites de capitaux, l’État a les moyens de limiter des sorties massives dans le cas d’une panique comme ce fut le cas en Asie en 1997. Le risque est donc moins celui d’une crise que d’une asphyxie.
Cependant, compte tenu du poids de la Chine, cette situation est préoccupante. C’est ce qu’exprimait de manière feutrée, le FMI dans son actualisation, le 19 juillet 2016, des perspectives de l’économie mondiale après le Brexit : le « maintien de la dépendance à l’égard du crédit comme source de croissance aggrave le risque, au final, d’un ajustement perturbateur en Chine ».

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).
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