Economie
Analyse et Infographies

TGV en Asie : l'ère du "Grand Jeu"

Le TGV chinois ou CRH (China Railway High-speed) sur la ligne Guiyang-Canton, ici passant près du village de Maping, dans la commune de Guyi, près de Liuzhou dans la province septentrionale du Guangxi le 20 mai 2015.
Le TGV chinois ou CRH (China Railway High-speed) sur la ligne Guiyang-Canton, ici passant près du village de Maping, dans la commune de Guyi, près de Liuzhou dans la province septentrionale du Guangxi le 20 mai 2015. (Crédits : Gong pukang / Imaginechina / via AFP)
Traverser le Japon à plus de 500 km/h en lévitation magnétique, sillonner les immensités chinoises sur un réseau ferroviaire dense à plus de 250 km/h de Shenzhen aux confins du désert de Gobi, autant de rêves en passe de devenir réalité aujourd’hui. Dans une Asie en pleine mutation, le TGV s’impose petit à petit comme un marqueur de modernité et une infrastructure nécessaire pour rapprocher les territoires et densifier les échanges. Les enjeux économiques et géopolitiques sont importants, les investissements faramineux et chacun, des constructeurs locaux comme le Japon ou la Chine aux clients potentiels, tente de placer ses pions.

Contexte

Qui aura le TGV le plus rapide ? A ce jeu, c’est la Chine qui veut remporter la compétition symbolique : à partir de septembre prochain, la ligne à la plus grande vitesse au monde sur rail en transportant les voyageurs – 380 km/h – reliera Zhengzhou dans le Henan (Centre) à Xuzhou dans le Jiangsu, sur la côte est au nord de Shanghai. Attention, ne pas confondre ce record avec celui de la vitesse en test, toujours détenu par le Japon depuis 2015 avec 600 km/h.

Entre Zhengzhou et Xuzhou, le temps de trajet passera alors de 2 heures 33 minutes à 1 heure et 20 minutes. Les ingénieurs chinois ont également réalisé la jonction entre cette ligne et les TGV Pékin-Canton et Zhenzhou-Xi’an, pour créer un réseau intégré de l’est du pays aux régions du Centre-Ouest. Et pour en mettre plein la vue à tous ses clients potentiels en Asie en particulier et dans le monde en général, la Chine tient à assurer le spectacle : une vidéo impressionnante montre un test de deux TGV qui se croisent à 420 km/h à Zhengzhou, battant le record du monde dans ce genre d’exercice, selon les médias chinois.

C’est que la Chine revient de loin. Son image dans le secteur avait été gravement ternie par le terrible accident de Wenzhou en 2011. 40 personnes avaient été tuées et une vingtaine d’autres blessées lors de la collision entre deux TGV sur un viaduc.

En général, Asie et transports en train riment avec l’expérience de la lenteur et une certaine forme d’indolence. Pour les voyageurs occidentaux, les chemins de fer asiatiques restent teintés d’une nostalgie quasi coloniale où l’on regardait défiler des paysages exotiques dans une douce rêverie ponctuée par des arrêts improbables tout en se mêlant à la population locale pour des trajets de 10, 24 voire 36 heures. Encore vraie par endroits, cette image d’Épinal va désormais être rapidement remplacée par de véritables réseaux TGV en cours d’élaboration et de construction dans toute l’Asie.

Du Shinkansen japonais aux routes de la Soie chinoises

L’histoire mondiale du train à grande vitesse débute au Japon avec une première ligne rapide construite pour les Jeux Olympiques de Tokyo en 1964 entre la capitale nippone et Osaka. Avec une géographie montagneuse et une densité de population côtière très forte, une ligne de trains à grande vitesse avec des passages fréquents est parfaitement adaptée pour assurer la mobilité des personnes. Le succès est rapide avec 100 millions de passagers transportés dès 1967 et un milliard en 1976. Depuis, le Japon reste un pays à la pointe en termes de trains rapides et ne cesse d’innover dans le secteur avec la ferme volonté d’exporter sa technologie, même si Taiwan et la ligne Taipei-Kaoshiung ouverte en 2007 reste le seul exemple à ce jour.

Aujourd’hui, le réseau nippon compte 8 lignes TGV soit près de 2 500 km de voies avec pas moins de 1 150 trajets effectués chaque jour. Lancé en plein âge d’or économique pour le pays, le projet a reçu un fort soutien en termes d’investissements publics mais s’est transformé en gouffre financier après les deux chocs pétroliers des années 1970. Aujourd’hui encore, les ventes de billets sont loin de couvrir les dépenses, mais cela n’empêche pas la densification continuelle du réseau car les bénéfices économiques liés à la mobilité sont également très importants.

De son coté, la Corée du Sud a cherché à développer sa propre technologie TGV en s’associant au départ en 1992 avec le Français Alstom. En 2004, elle ouvre une ligne entre Séoul et Busan et propose aujourd’hui un prototype de train de troisième génération capable de dépasser les 420 km/h. Le pays n’a pour le moment pas réussi à exporter son savoir-faire mais il se hisse dans le cercle restreint des nations capables de développer son propre système.

A une toute autre échelle, la Chine a bien compris qu’un réseau à grande vitesse lui était nécessaire pour resserrer les distances sur son gigantesque territoire et densifier les échanges économiques. En mettant en concurrence les leaders internationaux du secteur sur son propre marché au début des années 2000, Pékin a réussi à bénéficier d’un transfert de technologie ultra rapide et a depuis fin 2007 construit le plus grand réseau TGV du monde. Avec 19 000 km de voies à ce jour – un objectif de 30 000 km en 2020 – et 1,1 milliard de passagers transportés, la Chine est clairement un des moteurs les plus spectaculaires de la percée du TGV en Asie.

Carte du réseau ferré chinois à grande vitesse et de ses expansions prévues.
Carte du réseau ferré chinois à grande vitesse et de ses expansions prévues.
En moins d’une décennie, toutes les villes de plus de 500 000 habitants ont été reliées ; il faut désormais tout juste 8 heures et demie de trajet pour joindre Pékin à Shenzhen et une demie journée pour traverser le désert de Gobi entre Lanzhou et Urumqi ! Comme au Japon, les investissements nécessaires, 300 milliards de dollars, risquent de ne jamais être « rentables » directement. Mais les bénéfices économiques « annexes » sont bien rééls, sans parler du symbole politique de modernisation. Pour les centaines de millions de Chinois qui ont les moyens de l’utiliser, le TGV est véritablement une révolution en terme de transports.

Cependant, les ambitions chinoises ne se limitent pas à mettre en place un réseau interne dense : Pékin se verrait bien aux commandes de véritables nouvelles « routes de la soie » version grande vitesse, allant de Moscou jusqu’à Singapour et Jakarta en passant par Bangkok et le Laos. Avec ses deux géants ferroviaires CRRC et CRG, la Chine peut désormais proposer la construction et la maintenance de réseaux grande vitesse à des prix ultra compétitifs, et même offrir de généreuses conditions de financement.

Carte des ambitions chinoises en matière de lignes transcontinentales à grande vitesse.
Carte des ambitions chinoises en matière de lignes transcontinentales à grande vitesse.

L’Asie du Sud Est et l’Inde, objets de tous les désirs

Alors que la stratégie chinoise de la diplomatie « TGV » semblait prometteuse à ses débuts avec des projets bien engagés au Laos, en Thaïlande, en Indonésie et même en Inde, Pékin a subi dernièrement une série de revers importants. La contre-attaque du Japon a fini par souffler les aspirations de l’empire du Milieu qui a vu un contrat de 15 milliards de dollars avec New Delhi lui passer sous le nez pour la première ligne du pays entre Mumbay et Ahmedabad. Loin de maîtriser la technologie nécessaire, l’inde veut néanmoins lancer son réseau TGV et doit faire des partenariats en attendant de se mettre à niveau.

La Thaïlande, suite au coup d’Etat de 2014, a pour sa part validé un nouveau partenariat avec Tokyo tout en gelant ses accords précédents avec la Chine. Bangkok n’était pas satisfait des conditions de financements proposées, des financements également dénoncés par le Laos. Même l’Indonésie semble aujourd’hui remettre en question le seul contrat « solide » de Pékin pour une ligne entre Jakarta et Bandung avec toujours des considérations financières en jeu. De son coté, le Vietnam s’est rapproché du Japon pour la construction d’une ligne TGV Hanoï – Hô-Chi-Minh-Ville à l’horizon 2030 dans le cadre d’une aide au développement. Reste la ligne entre Kuala Lumpur et Singapour prévues pour 2026, un contrat de près de 10 milliards de dollars que courtisent tous les équipementiers internationaux.

Carte du développement des lignes à grande vitesse en Asie.
Carte du développement des lignes à grande vitesse en Asie.
Pour l’instant, Tokyo semble avoir l’avantage en Asie sur le créneau TGV. Mais les décisions des pays « clients » sont susceptibles d’évoluer très rapidement : ils expriment souvent un positionnement à court terme ou tout simplement une manière de faire monter les enchères sur un dossier sensible du point de vue de la géopolitique locale.

Une chose est certaine, la technologie TGV est désormais un enjeu capital en Asie que ce soit pour les constructeurs ou pour les pays bénéficiaires. Ainsi les besoins sont-ils très loin d’être couverts, ce qui laisse de bons espoirs à Pékin pour se positionner sur le long terme. D’ailleurs, ce sont peut être les prochaines technologies de train à grande vitesse qui feront la différence, des trains du futur capables de dépasser les 600 km/h. Exemples avec le dernier prototype japonais de train à lévitation magnétique (Maglev), ou le très expérimental projet chinois de Maglev HTS circulant dans des tubes basse pression pour atteindre voire dépasser la vitesse actuelle des avions… Tout un programme !

Par Nicolas Sridi, avec Alexandre Gandil (cartes)

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
Tags de l'article
A propos de l'auteur
Co-fondateur de Asia Focus Production, journaliste accrédité à Pékin pour Sciences et Avenir depuis 2007, Nicolas a collaboré avec de nombreux média presse écrite et web français, notamment le groupe Test (01Net), lemonde.fr,… Il est également co-rédacteur en chef de l’ouvrage collectif « Le temps de la Chine » aux éditions Félix Torres (2013) en partenariat avec la CCIFC. Nicolas est par ailleurs cameraman et preneur de son et collabore à divers postes avec de nombreuses chaines comme Arte, ARD, France2, RCN,… ainsi que sur des productions corporate et institutionnelles.