Economie
Expert - Le Poids de l'Asie

 

La mutation du Vietnam

Le président américain Barack Obama et son homologue vietnamien Tran Dai Quang (L) après une conférence de presse à Hanoï le 23 mai 2016.
Le président américain Barack Obama et son homologue vietnamien Tran Dai Quang (L) après une conférence de presse à Hanoï le 23 mai 2016. (Crédits : LUONG THAI LINH / POOL / pool / AFP)
Précédée par la décision américaine de lever l’embargo sur les exportations d’armes, la visite d’Obama à Hanoï a illustré le rapprochement des Etats-Unis avec leur ancien adversaire. Cette transformation des relations politiques s’est accompagnée d’une modification tout aussi étonnante des relations économiques qui témoignent de la mutation du Vietnam.

Le Vietnam, premier exportateur de l’ASEAN vers les Etats-Unis

En 2000, le Vietnam apparaissait à peine sur les radars des douanes américaines. Il était alors à la 71ème place parmi les fournisseurs des Etats-Unis, entre l’Ukraine et le Cambodge. Au premier trimestre 2016, il a grimpé à la 12ème place, entre l’Irlande et Taïwan, et a atteint la première position parmi les pays de l’ASEAN. Avec 1,9 % du marché américain devant la Malaisie et la Thaïlande, le Vietnam est très loin devant l’Indonésie et les Philippines.
Les pays de l’Asean sur le marché américain (données trimestrielles annualisées).
Les pays de l’Asean sur le marché américain (données trimestrielles annualisées).
La modification des relations économiques entre Washington et Hanoï a commencé par la signature d’un accord bilatéral (BTA) en 2000. Les Etats-Unis ont accordé au Vietnam le statut de la nation la plus favorisée, et le BTA a ouvert la voie aux négociations pour l’adhésion du pays à l’OMC en 2007. Les exportations vietnamiennes vers les Etats-Unis, qui avaient progressé à un rythme soutenu jusqu’à cette date, ont connu un passage à vide pendant la crise mondiale, pour reprendre à un rythme rapide jusqu’en 2015 et au premier trimestre 2016. Le Vietnam est le seul pays asiatique dont les exportations vers les Etats Unis ont continué d’augmenter au premier trimestre 2016.

Pour le Vietnam aujourd’hui, comme pour la Corée et Taiwan hier, les Américains traitent avec « begnin neglect », ou « douce négligence », le creusement de leur déficit bilatéral (8 milliards de dollars en 2015) qui accompagne l’intensification des échanges. Cependant, en dépit de son adhésion au Partenariat Transpacifique, l’accord de libre-échange lancé par les Etats-Unis en Asie-Pacifique, le Vietnam n’est toujours pas considéré comme une économie de marché par Washington. Aussi en cas d’accusations de dumpings, les Etats-Unis peuvent instruire le dossier en comparant les prix américains non pas aux prix vietnamiens (ils ne sont pas considérés comme pertinents), mais aux prix de produits similaires dans des pays tiers ayant le statut d’économie de marché. Cela peut conduire à des taxes anti-dumpings plus élevées.

Cette méthodologie est interdite par l’Organisaiton du Mondiale du Commerce, mais lorsque le Vietnam (et la Chine) ont adhéré à l’OMC ils ont accepté que elle soit utilisée pendant 15 ans, c’est-à-dire jusqu’en 2016 dans le cas de la Chine et 2022 pour le Vietnam. Aujourd’hui, les Vietnamiens souhaitent que cela soit ramené à 2019. Hors de question pour les Américains qui jugent la concurrence sur le marché vietnamien biaisée par la position occupée par les entreprises d’Etat. Si elles sont moins nombreuses (1 309 en 2015 contre 12 000 en 1995) et si leur participation à la production a été ramené à 16 %, les entreprises d’Etat dominent néanmoins le classement des 500 plus grandes firmes du pays. Avec en tête Vietnam Oil and Gas Group, Vietnam National Petroleum Corporation, Vietnam Electricity, Vietnam Post and Telecommunications Group, et Vietnam National Coal and Mineral Industries Group.

Le Vietnam tremplin de la Corée et du Japon

En 2000, le Vietnam exportait aux Etats-Unis des produits agricoles et piscicoles. Dix ans plus tard, les articles d’habillement et des chaussures représentaient la moitié de ces exportations. Au premier trimestre 2016, ils sont rattrapés par les composants électroniques et les téléphones. Cette transformation rappelle celle qu’ont connu les exportateurs d’Asie de l’Est, et s’explique par les entrées d’investissements des pays de cette région.

Cette mutation est aussi la conséquence des vagues d’investissements étrangers qui ont transformé le Vietnam. Arrivées dès la fin des années 1980, les PME taïwanaises ont investi dans l’habillement et la chaussure. La normalisation des relations entre Séoul et Hanoï a déclenché une « fièvre vietnamienne » en 1992 parmi les entreprises qui commençaient à délocaliser. Ayant investi dans l’habillement et l’électronique, Daewoo était en 1996 la première entreprise étrangère au Vietnam. Interrompus par la crise asiatique, ce mouvement a repris après la signature du traité américain BTA. L’investissement a alors pris une ampleur considérable avec l’arrivée de Samsung dont les exportations représentaient un cinquième des exportations vietnamiennes en 2015, avec un taux d’intégration locale de 36 % en partie assurée par les sous-traitants coréens. Entre-temps, préférant le Vietnam aux Philippines pour construire sa plus grande usine d’assemblage, Intel l’a introduit dans le « circuit intégré » asiatique.

En réaction aux émeutes anti japonaises qui ont éclaté en Chine en 2005, les entreprises nippones ont adopté une stratégie baptisée « China plus one » par Nomura. Pour ne plus mettre leurs œufs dans le même panier, elles ont jugé plus prudent d’investir en Chine et dans l’ASEAN. Le Vietnam s’est trouvé le premier pays bénéficiaire de cette stratégie qui depuis la dégradation des relations sino-japonaise a évolué de « China plus one » à « No China ». Selon l’enquête de Mizuho (mars 2016) sur les intentions d’investissements à l’étranger des entreprises, le Vietnam est la destination préférée parmi les pays adhérents au TPP et la seconde dans l’ASEAN après la Thaïlande, où les Japonais ont une présence cumulée bien plus importante.

Et la Chine ? Premier fournisseur du Vietnam, elle y est un investisseur modeste derrière la Corée du Sud, le Japon, Singapour, la Malaisie, Taïwan et les Etats Unis. Ses projets soulèvent parfois de violentes polémiques – l’accord signé pour un investissement dans une mine de cuivre au centre du pays avait été critiqué dans une lettre ouverte du général Giap. Par ailleurs, après un incident dans les îles Spratleys, les violentes manifestations anti-chinoises de 2015 n’ont pas amélioré le climat des investissements en provenance de Chine.

Les principaux postes d’importations américaines en provenance du Vietnam.
Les principaux postes d’importations américaines en provenance du Vietnam.
Grâce aux Coréens et aux Japonais, pour la première fois, le déficit commercial du Vietnam vis-à-vis de la Chine a diminué. Selon les statistiques de Pékin, les exportations chinoises ont baissé de 12 % et les importations du Vietnam ont augmenté. Résultat, l’excédent chinois a chute de 30 % au cours des 4 premiers mois de 2016.

Où sont les exportateurs vietnamiens ?

Le Vietnam est un tremplin pour les investisseurs étrangers vers les Etats-Unis et l’Europe. La part des filiales étrangères dans les exportations totales a grimpé de 27 % en 1995, de 47 % en 2000, et de 63% en 2012, dernière année renseignée par le GSO. Si l’on raisonne hors pétrole, ce pourcentage dépasse maintenant les 70 % avec la poussée des exportations des filiales coréennes. L’effacement relatif des exportateurs vietnamiens entre 2000 et 2015, ne doit pas faire oublier qu’entre-temps les exportations totales ayant plus que décuplé (de 14 à 180 milliards de dollars), celles des entreprises vietnamiennes sont passées de 7 à 54 milliards. Il n’en demeure pas moins que l’accrochage entre le tissu local et les filiales étrangères n’est pas facile, et qu’il est rendu plus difficile par la mutation vers l’électronique.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).
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