Histoire

Roland Castro : "Quand ma secrétaire fait une connerie, j'applique la ligne de Mao !"

Dans la cour de l'université de Paris-Sorbonne, occupée par des étudiants contestataires, un portrait du leader chinois Mao Zedong est accroché à un mur le 1er mai 1968.
Dans la cour de l'université de Paris-Sorbonne, occupée par des étudiants contestataires, un portrait du leader chinois Mao Zedong est accroché à un mur le 1er mai 1968. (Crédit : AFP)
« Qu’est-ce que je peux faire, j’sais pas quoi faire ? » La question fredonnée par Anna Karina dans Pierrot le Fou vient directement de Lénine. Que faire ? L’interrogation continuera d’animer celles et ceux qui voudront changer la société en 1968. Nous sommes alors juste après la sortie de La Chinoise (Jean-Luc Godard encore) et l’apparition des « prochinois » dans la sphère gauchiste. Des militants motivés par la révolution venue de Pékin, qui désormais savent quoi faire.
C’est le cas de l’architecte Roland Castro, 28 ans, sur les barricades du quartier latin et dont le passé maoïste va irriguer les engagements futurs. En 1969, il participe à la fondation de VLR (Vive la révolution !), mouvement maoïste qui se distingue par son aspect festif et libertaire. En 2003, le citoyen Roland Castro crée le MUC (Mouvement pour l’Utopie Concrète) pour plus d’égalité et de justice dans les quartiers populaires de la république. En 2016, nouveau sigle en trois lettres, mais cette fois il s’agit d’une cible. Roland Castro s’attaque à l’ENA (l’Ecole Nationale d’Administration) et entend « tout reconstruire ». Dans son dernier ouvrage, l’architecte rêve « d’une nouvelle société » et propose pour y parvenir de compléter la déclaration des droits de l’homme par une déclaration des devoirs, d’instaurer un service civique filles/garçons à 18 ans et d’en finir avec l’apartheid urbain. A 76 ans, l’engagement continue…

Entretien

*Lire l’excellente chronologie des maoïsmes en France, de 1930 à 2010 par Christian Beuvain et Florent Schoumacher de l’Université de Bourgogne.
A bas les veilles lunes, les idées anciennes, les coutumes ancestrales et la culture d’autrefois ! En dénonçant les « quatre vieilleries », c’est un monde nouveau que proposaient Mao et ses légions de gardes rouges il y a tout juste 50 ans en Chine. Le 16 mai 1966, une circulaire vient dénoncer tous les « révisionnistes » et libère du même coup la fureur des lycéens et des étudiants chinois résolus à en découdre avec l’ordre établi. Un objectif similaire nourrira deux ans plus tard les slogans des manifestations du printemps 68 en occident. Chacun doit alors choisir son camp : le mouvement gauchiste se divise entre partisans de Trotsky, de Moscou et de Pékin*.

Sans perdre une seconde, l’ambassade de Chine en France a déversé des caisses d’exemplaires du Petit Livre Rouge sur les campus. Les premiers maoïstes français forment un club d’intellectuels issus de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, qu’on appellera l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes – l’UJC(ml). Mais après les « événements de juin 1968« , l’organisation, accusée d’actions violentes, est interdite par décret du président de la République.

Les « maos », qui aimeraient faire durer les idées de 68, se retrouvent dans les groupes « mao-spontex » (« maoïstes » et « spontanéistes ») de la Gauche prolétarienne ou de Vive la révolution (VLR) ! C’est le début de la « fabrique du rêve » pour l’architecte Roland Castro cofondateur de VLR. Mais après le rêve, vient le désenchantement. La Révolution culturelle était d’abord une guerre civile et une lutte de pouvoirs raconte Simon Leys dès 1971. Le « Grand bond en avant » a fait des millions de morts.

L'architecte Roland Castro.
L'architecte Roland Castro.
Qu’est-ce qui vous a fait choisir le camp de Pékin ?
Roland Castro : C’est une histoire vraiment idiote au départ. En fait, je suis tombé amoureux d’un concept. Avant la Révolution Culturelle, j’étais plutôt sur l’idée de Vladimir Jankélévitch. J’avais étudié la Révolution Française et je savais que la révolution finit toujours par dévorer ses enfants. En gros, j’étais pour la révolution et immédiatement après j’étais contre. Oui, avant de devenir maoïste, je vivais sur cette idée que toutes les révolutions se terminent mal.
Et la révolution permanente ?
Je n’étais pas trotskyste, donc je ne pensais pas que la révolution puisse être permanente. C’est surtout le fait qu’elle soit culturelle qui m’a séduit. J’ai mis dans ce concept les Lumières, j’ai mis dedans la lutte contre la bureaucratie, j’ai mis l’horizontalité du peuple, la capacité de faire un pas vers une société avec moins d’Etat. J’ai vraiment adoré le concept.
« Je ne vois pas pourquoi un ajusteur ne serait pas philosophe et je ne vois pas pourquoi un chauffeur de Uber ne serait pas un grand peintre ? »
C’est aussi la fin des mandarins, les intellectuels envoyés dans les rizières…
Il y avait cet aspect-là aussi, ne pas distinguer le travail manuel du travail intellectuel. Une idée qui encore aujourd’hui ne me parait pas poser de problème, dès l’instant où elle est décidée librement. Je ne vois pas pourquoi un ajusteur ne serait pas philosophe et je ne vois pas pourquoi un chauffeur de Uber ne serait pas un grand peintre ? Donc j’ai bien aimé cette histoire en ce qu’elle avait d’idyllique. C’est vrai que je n’ai pas non plus pratiqué le doute méthodique. On ne peut pas dire ça, non (rires). J’ai même foncé dedans tête baissée. J’avais quitté le parti communiste à cause du stalinisme et j’ai eu l’impression grâce au maoïsme de pouvoir retourner dans ma religion d’origine. Le caractère religieux de l’adhésion au maoïsme ne m’a pas déplu.
Le maoïsme comme religion et le Petit livre rouge comme bible ?
Oui, avec toute l’espèce d’intelligence pratique qu’il y a dans le Petit livre rouge. Il n’y pas que des conneries dans la bible de Mao. On y retrouve la stratégie militaire de Bonaparte, la philosophie du jeune Marx et tout cela m’a paru de bon augure à l’époque. Encore aujourd’hui d’ailleurs, je ne vais pas vous dire que je suis opposé à une citation de Mao Zedong qui me parait pertinente par rapport au comportement à avoir en société sur telle ou telle question. Mao a pompé mondial. Grâce à lui, j’ai même compris comment Napoléon Bonaparte s’est démerdé en Italie. Mao a appliqué la ligne de Bonaparte au fond : 10 contre 1 sur le plan tactique, 1 contre 10 sur le plan stratégique. C’est ça la campagne d’Italie : avec une armée plus petite que l’armée autrichienne, Bonaparte a bouffé bout par bout les lignes de son adversaire ! Et puis, il y a aussi la sagesse des nations chez Mao. J’ai particulièrement aimé la morale, les trois règles de discipline et les 8 recommandations de l’armée rouge. Bon évidemment depuis, j’ai lu des tas d’autres livres sur la Révolution culturelle. On sait désormais que les choses étaient beaucoup moins idylliques qu’on ne le croyait.
Quand prenez-vous conscience que la Révolution culturelle est d’abord une lutte de pouvoirs à la tête du régime chinois ?
Pour cela, il a fallu du temps. C’est vrai que je n’ai pas voulu lire Simon Leys tout de suite par exemple, car ce qu’il écrivait m’embêtait. Cela dit, j’étais loin d’être un maolâtre. J’ai toujours mis de la distance. Je faisais partie par exemple de ceux qui disaient : « Les prochinois en pro-chine ! » Au fond, j’ai toujours été assez insolent avec cette histoire. J’ai toujours pensé qu’il n’y avait pas de recette pour sauver le monde. J’ai même inventé une citation de Mao lors d’une réunion à Nanterre. Et puis, progressivement, on a dû se rendre à l’évidence. On a lu les biographies sur Mao. Le Grand Timonier entouré de nanas tels un sybarite, ce n’est pas déplaisant mais bon ce n’est pas reluisant non plus. Et on a tous fini par comprendre ce qui s’était réellement passé en Chine.
Comment cet engagement de jeunesse s’est-il ensuite traduit dans votre travail ? Je pense notamment au Mouvement des Utopies Concrètes : un architecte, c’est aussi quelqu’un qui pense la ville ?
Oui mais mon véritable engagement date d’avant le maoïsme, en réalité. J’ai une dette dans la vie, un serment où il est écrit : « Petit juif sauvé par les maquis communistes du limousin. » Je suis donc tombé dans la marmite communiste tout petit. Grâce au maquis de Guingouin et grâce notamment à ma directrice d’école qui a été déclaré par Israël « Juste parmi les nations », mes parents, ma sœur et moi ont été sauvés [de la déportation, NDLR]. Ce genre de souvenir c’est pour la vie, même si plus tard, j’ai été foutu à la porte du parti communiste français car j’étais pro-italien. En gros, je pensais que le communisme et la démocratie pouvait marcher ensemble. J’ai cette dette-là en tous cas. Et je continue d’avoir cet attachement très profond à l’idée qu’il y a du commun possible.

Maintenant, je suis aussi d’accord avec Freud quand il explique qu’on peut vouloir changer le monde, mais à condition de s’ôter de la tête que l’homme est bon. Je ne pense pas à l’homme nouveau. Je pense qu’il faut prendre l’homme tel qu’il est avec son misérable tas de petits secrets et son ignominieuse structure. Il peut quand même organiser des relations avec les autres pourritures que sont les autres hommes, et cela de manière parfois plus harmonieuses que dans le tous contre tous. Encore une fois, je suis pour l’idée du commun. Voilà pourquoi j’ai travaillé sur les banlieues et j’ai défendu un droit à l’urbanité pour tous, qu’on soit puissant ou misérable ! Mon travail d’architecte m’a d’ailleurs beaucoup guidé. Après, il y a la question du pourquoi on s’engage ? C’est vrai aussi que c’est souvent par narcissisme. Et après toutes ces années, je sais que tout ce bordel est lié au fait de vouloir plaire aux gonzesses.

« Quand ma secrétaire a fait une connerie, je ne dis pas que c’est la faute de ma secrétaire ! J’applique la ligne de Mao : quand les masses font une erreur, ce sont les cadres qui doivent faire leur autocritique ! »
On aperçoit un cheval de bois venu de Chine à l’entrée de votre cabinet ; il y a des poèmes de Rimbaud et de René Char sur les murs de votre bureau ; on découvre également une maquette de bateau… C’est le Roland Castro éternel étudiant engagé, l’architecte voyageur ?
Il s’agit d’un cheval de bois que nous avions offert à mon fils, mais rassurez-vous ma langue n’est pas de bois. Je fais partie de ceux qui croient qu’il faut toujours prendre les choses sérieuses en restant simple et en y mettant un peu de poésie et d’humour. C’est aussi le bon sens qu’on retrouve dans le Petit livre rouge. Il y a par exemple un truc auquel je crois toujours : quand ma secrétaire fait une connerie, je ne dis pas c’est ma secrétaire ! J’applique la ligne de Mao : quand les masses font une erreur, ce sont les cadres qui doivent faire leur autocritique !
Le communisme chinois est devenu un capitalisme rouge. En même temps, le pouvoir central conserve son extrême autorité et peut imposer des choses en matière d’urbanisme par exemple. Vous êtes le penseur du Grand Paris et pour l’instant le concept est au point mort… Les politiques en France n’ont plus le pouvoir d’agir ?
Si vous lisez mon dernier livre, j’explique qu’on est arrivé au bout du bout d’un modèle administratif. Et on est du même coup au bout du bout d’un système politique constitué de baronnies. Pourquoi le Grand Paris ne se fait pas ? Parce que les débats ne font pas un royaume. Il n’y a que les maires qui font avancer les choses aujourd’hui et seule la maire de Paris pourrait initier le mouvement. Pour le reste, j’explique dans mon bouquin que je suis un partisan de la dissolution de l’ENA. Cela fait un moment que la république française fonctionne à l’horizontale et comme dit Régis Debray, il manque du vertical. La question sur laquelle on doit travailler c’est le vertical. C’est pourquoi on a besoin d’une déclaration des devoirs et d’un service civique obligatoire. C’est le vieux gauchiste qui vous dit ça, il faut de l’obligation dans la vie. Si tu veux jouir, il faut un cadre. Et on peut fabriquer du commun sans tomber dans le moralisme. Il faut construire des règles qui autorisent la créativité. Il y a un rapport libertés/cadre qu’il faut revoir.
Vous vous en prenez aux conservatismes qui minent la France. Quels sont-ils ?
Marx l’avait pointé dans Les Luttes de Classes en France : il existe une bourgeoisie bureaucratique d’Etat dans notre pays et c’est elle qui dirige ! C’est une véritable noblesse d’Etat qui est désormais au bout de son rouleau.
Par quoi remplacer cette « Nomenklatura » française qui selon vous a fait son temps ?
Je rêve d’un Sénat élu au suffrage universel et composé uniquement de citoyens actifs qui en plus de leur travail passeraient 10 heures par semaine au Sénat. Ce sénat philosophique et ces nouveaux sénateurs pourraient commencer par établir une déclaration des devoirs permettant de compenser l’inflation complètement dingue des droits.
Parmi les choses que vous proposez de reconstruire, le service civique…
Oui, je suis pour un service civique obligatoire dès 18 ans. Un service mixte pour les garçons et pour les filles. Je suis également pour que le droit des femmes soit le guide de notre politique étrangère. Je suis pour la rupture des relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite. Je trouve débile de vendre des avions à l’Arabie saoudite et de refuser de vendre un bateau à Poutine. Enfin, je pense à un serment de laïcité. On ne plaisante pas avec la laïcité. Nous ne vivons pas sur le communautarisme comme aux Etats-Unis, nous sommes les produits d’une république qui fusionne tout ce qui arrive. Dans mon bouquin je parle d’imams constitutionnels et de poursuivre les imams réfractaires. En plus de la fermeture de l’ENA, je ferme aussi évidemment les mosquées salafistes.
Les religions doivent être encadrées, un peu comme l’église officielle sous Mao si on vous comprend bien ?
Oui c’est ça… Je pense par ailleurs qu’on a un vrai problème avec l’école et qu’on est pourri par la pensée de l’élève roi en matière scolaire. Moi je suis pour ce que dit Finkielkraut en la matière. Je pense aussi qu’il faut du latin, du grec et de la philo dès la sixième. Il faut arrêter d’avoir une vision instrumentale de l’école.
Pour refaire des citoyens ?
Je suis pour qu’on débaptise l’éducation nationale et qu’on revienne à l’instruction publique. Il faut faire ces réformes, car on est vraiment au bout d’un système. C’est ça aussi que représente le mouvement Nuit Debout, tous ces gens qui essayent d’organiser des primaires citoyennes notamment. Le fait que la classe politique soit constituée en endroit à part est une catastrophe. On observe une déviation folle de la cinquième république. Chacun doit être à sa place. Le général de Gaulle ne se mêlait pas de tout par exemple. Il avait son domaine réservé et la télé se devait d’avoir un peu de tenue, mais il foutait la paix à son Premier ministre. Il laissait les choses se faire, il déléguait beaucoup. C’est tout l’inverse de l’ultra présidence infernale qu’on a aujourd’hui. On vit dans une espèce de monarchie de merde, on est donc à un moment tragique de notre histoire.
Et la sixième république ?
Je suis pour évidemment, je suis même pour une constituante. Nous devons réécrire notre constitution et il nous reste peu de temps si nous voulons éviter les catastrophes.
L’architecture et la beauté peuvent-elles sauver le monde ?
En 2005, il n’y a pas eu d’émeutes dans les quartiers que j’ai contribué à désenclaver et embellir. Donc oui, il y a un rapport entre la beauté et la pacification. En même temps, je pense malgré cela que nous sommes arrivés à un point de rupture. Il y a un véritable danger de guerre civile en France. Nous sommes tout le temps à la merci d’un moment ou les passions s’exacerbent, encouragées par le Front national et d’autres. Je pense notamment aux islamo-gauchistes qui ont une grande responsabilité. Je conchie les Indigènes de la République par exemple. J’ai toujours été antiraciste, j’ai toujours été christianophobe, judéophobe et islamophobe. Le concept d’islamophobie est pour moi une saloperie.
Dans votre dernier ouvrage, vous formulez une série de « propositions pour une nouvelle société ». La révolution et le changement ont-ils été également les moteurs de votre carrière ?
Je fais dans ce livre des propositions pour restaurer le lien social, pour transformer sans révolution la société de façon à aller vers plus d’égalité et de justice. Pour le reste, j’espère ne pas avoir eu de carrière, mais un destin.
Le dernier ouvrage de Roland Castro : "Il faut tout reconstruire", aux éditions de l’Archipel, mars 2016.
Le dernier ouvrage de Roland Castro : "Il faut tout reconstruire", aux éditions de l’Archipel, mars 2016.
Propos recueillis par Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.