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Cinéma

Quand la Corée du Nord fait son cinéma

Mosaïque à l'entrée des Studio de cinéma Chollima à Pyongyang.
Mosaïque à l'entrée des studios de cinéma Chollima à Pyongyang. (Créidts : LAFFORGUE Eric / hemis.fr / Hemis / via AFP)
Avec près de 300 films produits en l’espace de plus de 65 ans d’existence, le cinéma de Corée du Nord demeure confidentiel hors de ses frontières. Pourtant, d’autres pays ayant connu un régime communiste sont parvenus à faire connaître leur cinéma à travers le monde. La Corée du Nord ne ménagea d’ailleurs pas ses efforts, surtout dans les années 1980, pour s’affirmer comme un acteur d’importance dans le paysage cinématographique mondial. Mais l’entreprise fit long feu…
Rien d’étonnant à cela à y regarder de plus près. Techniquement, l’industrie cinématographique, tout comme le reste du pays, est restée bloquée dans les années 1960. Si bien qu’il est impossible de distinguer par la réalisation ou la photographie si un film a été produit en 1970 ou en 2010. Thématiquement, le message propagandiste a toujours eu le dessus sur toute autre considération et rend la très grande majorité des œuvres répétitives et indigestes.
Le cinéma de la République Populaire nord-coréenne mérite néanmoins qu’on s’y intéresse car il offre une fenêtre, même biaisée, sur le pays. Pour vous le faire découvrir, Asialyst vous propose une sélection de 5 longs-métrages qui donnent un aperçu de la culture locale telle qu’elle est mise en avant par le régime. Evidemment, il s’agit d’une Corée du Nord fantasmée, idéalisée mais dont certains aspects correspondent à la réalité du pays. Parfois pour le meilleur, souvent pour le pire.

Contexte

Comment la Corée du Nord pourrait-elle être un désert cinématographique avec des dirigeants si investis dans le 7ème art ? Déjà le « Grand Leader », Kim Il-sung, père de la patrie, avait fait adapter plusieurs de ses récits au cinéma, et avait même, disait-on, participé à des tournages. Mais plus encore, son fils héritier Kim Jong-il se voyait en patron du cinéma nord-coréen. Auteur d’un traité sobrement intitulé De l’art cinématographique, publié en 1973, le « Cher Leader » se voulait réalisateur, producteur et scénariste.

C’est lui qui a défini les sujets et surtout les valeurs devant être véhiculées dans les films nord-coréens : l’amour de la patrie, l’héroïsme dans le sacrifice de soi, l’éducation des masses et la notion coréenne clé, le Juche. Développée par son père Kim Il-sung, cette idéologie autocratique est le fondement du régime nord-coréen. Elle a pour vocation de régler le destin de chaque citoyen.

« A forest is swaying » (1982) : sacrifice de soi et déforestation

Extrait du film nord-coréen "A Forest is swaying"
Extrait du film nord-coréen "A Forest is swaying" (Source : Youtube)
S’l y a bien un thème qui revient constamment dans le cinéma nord-coréen, c’est celui du sacrifice. Sacrifice pour la nation, sacrifice pour le Parti, mais surtout sacrifice pour le leader suprême, celui qui synthétise à lui seul tout ce qu’il y a de meilleur dans le régime. A Forest is Swaying (« Une forêt se balance »), réalisé par Jang Yong-bok en 1982, est un des nombreux films à mettre cette idée en avant.

On y suit un ancien soldat œuvrant sur une colline ravagée par la guerre. Malgré ses efforts, les arbres ne parviennent pas à repousser. Le comité provincial envoie alors un ingénieur pour aider à la reforestation. Mais un désaccord se fait jour entre eux sur le type d’arbre à replanter. Obstiné, l’ancien soldat persiste malgré ses échecs répétés et la pression de son entourage. Armé des paroles de Kim Il-sung, il finira par réussir dans son entreprise !

Le fait que l’on retrouve de multiples variations de ce scénario dans le cinéma nord-coréen n’est évidemment pas fortuit. C’est en effet un des deux schémas types suggérés par Kim Jong-il lui-même dans son ouvrage consacré au cinéma. Les écrits du « Cher leader » ayant paroles d’évangile, les scénaristes locaux se sont employés à l’appliquer à la lettre dans leurs histoires. On peut ainsi le voir transposé au sport, au monde agricole ou industriel…

Malgré ce schéma éculé, le film s’avère intéressant en ce qu’il révèle l’importance de la question forestière dans le pays. En effet, la déforestation est un vrai problème pour le régime. Pendant des décennies, les arbres du pays ont été abattus pour pouvoir servir de source d’énergie et faire place à davantage de terres arables. Résultat : quand les abondantes pluies d’été arrivent, les glissements de terrain et autres inondations se multiplient, anéantissant au passage les cultures. Depuis qu’il a pris les rênes du pouvoir, Kim Jong-un a lancé une grande campagne de reforestation mais les résultats au niveau local se font attendre. Ne doutons pas que A Forest Is Swaying est régulièrement diffusé pour aider au succès de ladite campagne !

A voir, le film A Forest is swaying :

« Le Calice » (1987) ou la lie de l’individualisme

Un des rares films nord-coréens à avoir été distribué en France, Le Calice est un autre de ces longs-métrages qui exalte l’idée de sacrifice pour le bien de la nation. Mais il lui rajoute une autre dimension sociale sur les bienfaits du système de classes.

Le personnage principal est Won-bong, un ancien architecte. Accompagné de son fils, il se rend dans son village natal. Mais le vieil homme n’y est pas le bienvenu. Et pour cause, il y a longtemps, quand tous les habitants se battaient pour faire de ce village un endroit moderne, Won-bong avait préféré partir à la ville, sacrifiant sa bien-aimée et les autres villageois à ses ambitions personnelles. Un acte impardonnable qui n’a cessé de le hanter. Les habitants accepteront-ils qu’il revienne dans son village natal dans ces conditions ?

Si Le Calice, réalisé par Jo Kyong-sun en 1987, illustre comme il se doit la joie que représente la vie dans le paradis des travailleurs, l’essentiel du message est ailleurs. Et il est simple à comprendre : chacun doit rester à sa place. En quittant les villageois à un moment où son aide était la plus nécessaire, Won-bong a commis une véritable trahison. L’idée a plusieurs facettes. A grande échelle, elle dénonce ceux qui ont quitté le pays. Un Coréen du Nord doit rester en Corée du Nord quelles que soient les circonstances. Il finira de toute façon par revenir car l’appel du pays est plus fort que tout (une idée au cœur de la série des Nation and Destiny). A plus petite échelle, elle rappelle que ce n’est pas à l’individu de choisir où il veut être. On se souviendra ainsi que Pyongyang, la capitale, est réservée à une élite sélectionnée par le régime et que les déplacements intérieurs doivent faire l’objet d’autorisations officielles.

En outre, Le Calice est aussi une apologie implicite du songbun. Le songbun, c’est ce système de classe déterminé selon l’allégeance familiale durant la colonisation japonaise et qui passe d’une génération à l’autre. Autrement dit, l’idée qu’il y a des actions qui ne peuvent jamais être pardonnées et qui auront des conséquences éternelles. Et c’est bien ce qui arrive à Won-bong suite à son lâche abandon. Aucun pardon ne lui est accordé et le plan final du film le voit sangloter piteusement à distance de son village natal. Un beau message plein d’espoir !

« The Country I Saw » (1987) : quand un Japonais expérimente le « paradis des travailleurs »

Affiche du film nord-coréen "The Country I saw", de Ko Hak-rim en 1987.
Affiche du film nord-coréen "The Country I saw", de Ko Hak-rim en 1987. (Source : North Korea Books)
The Country I Saw (« Le pays que j’ai vu »), premier d’une série de 5 épisodes, est raconté en flashback. On y suit Takahashi Minoru, journaliste japonais, faire un exposé sur la Corée du Nord dans une université. L’essence de son intervention est que le concept de juche est bon en théorie mais ne peut marcher en pratique. Un étudiant l’interpelle alors en ces termes pleins de sagesse : « Aujourd’hui, la pensée du Juche a dépassé en influence celle de Marx et est la seule à même de sauvegarder la dignité humaine. Comment pouvez-vous dire cela sans avoir vu la Corée du Nord de vos propres yeux ? » Argument imparable. Takahashi, qui avait été soldat pour l’armée impériale nippone dans la péninsule coréenne pendant la Seconde Guerre mondiale, organise donc un voyage dans la République Démocratique pour se faire sa propre opinion.

Le film réalisé en 1987 par Ko Hak-rim est l’œuvre idéale à montrer à ses amis pour les convaincre que la Corée du Nord est bien le paradis des travailleurs ! C’est évidemment à cette prise de conscience que va aboutir Takahashi lors de son séjour. Un point particulièrement mis en avant par le scenario est l’accès à l’éducation et aux soins dont bénéficie l’ensemble de la population. Au cours de son périple, les guides coréens s’aperçoivent que leur invité a des difficultés pour manger. Et pour cause : Takahashi n’a jamais eu l’argent nécessaire pour s’offrir un dentier ! Un tour a l’hôpital de Pyongyang et une journée plus tard – « même au Japon, cela prend plusieurs jours », s’exclame avec surprise le journaliste -, Takahashi se voit offrir un dentier et est enfin à même de manger de nouveau de la nourriture solide…

Le point culminant de la visite est atteint quand Takahashi a l’occasion d’assister à un spectacle en la présence du président Kim Il-sung. Au milieu d’une foule en délire, le Japonais ne peut que se rendre à l’évidence : c’est à cet homme génial que les Nord-Coréens doivent de vivre dans un tel paradis ! Conformément à la pratique locale, et dans un traitement similaire à celui de Jésus-Christ dans le Ben Hur de William Willer, Kim Il-sung n’est jamais montré physiquement dans le film. On ne voit que des représentations picturales de l’intéressé ou bien les réactions (exaltées) de ceux qui l’ont aperçu. Judicieux pour une personnalité aussi divine que le « Président éternel » !

A noter qu’il existe une autre œuvre recyclant en grande partie l’intrigue de The Country I saw du nom de Story of a Blooming Flower. Une biographie romancée de la vie du botaniste japonais Mototeru Kamo, qui créa la « Kimjongilia » pour le 42ème anniversaire du « Cher Leader ».

« Our Fragrance » (2004) : comédie romantique et nationalisme du kimchi

Extrait du film nord-coréen "Our Fragrance", de Jon Jong-pal en 2004.
Extrait du film nord-coréen "Our Fragrance", de Jon Jong-pal en 2004. (Source : Koryo Group)
La Corée du Nord est souvent décrite comme une utopie stalinienne. Il est cependant une facette du régime qui est généralement peu mise en avant : son extrême nationalisme et son franc racisme. A se demander si le plus grand « mérite » de la pensée du Juche n’est pas d’avoir réussi à synthétiser de la sorte deux idéologies opposées, le communisme et le national-socialisme… Our Fragrance (« Notre parfum ») en est l’illustration la plus éclatante.

Le film est ce qui se rapproche le plus d’une comédie romantique telle qu’on en connaît ailleurs dans le monde. Dans cette réalisation de Jon Jong-pal de 2004, on suit deux familles. L’une adhère strictement aux traditions coréennes tandis que l’autre est davantage occidentalisée. Chacune des deux familles a un enfant à marier, un fils scientifique spécialisé dans le kimchi (!) pour la traditionnaliste, une fille guide touristique pour l’occidentalisée. La relation entre les deux sera semée d’obstacles mais se terminera bien, conformément à la pensée du Juche !

Toute la morale du film tient en une séquence. Le patriarche de la famille traditionnaliste est invité à manger chez la famille occidentalisée. Son accord sur le mariage étant impératif, il y a beaucoup de pression pour que le dîner se déroule au mieux. On décide donc de mettre les petits plats dans les grands : champagne, plats occidentaux prestigieux (salade de pomme de terre mayonnaise et spaghetti vaguement bolognaise) sont de la partie. Evidemment, le résultat est catastrophique. Le grand-père ne trouve aucun plat à son goût et manque de faire une crise cardiaque a cause du champagne ! La séquence est probablement ce que le film a de plus drôle à offrir mais n’en est pas moins idéologiquement très douteuse.

Pour être bien sûr que le public nord-coréen comprenne le message, une allégorie culinaire l’exprime encore plus clairement. La guide touristique accompagne un groupe de touristes occidentaux (tout droit venus de l’Allemagne de l’Est des années 1970, si l’on en croit leur coiffure et leurs vêtements…) dans une foire culinaire. Au stand consacré au kimchi, ils rencontrent le scientifique qui se fait une joie de leur détailler le processus de fabrication du délicieux chou mariné et pourquoi il est si important a l’échelle nationale : « Si nous ne défendons pas nos symboles nationaux, notre identité sera perdue, » dit-il avec conviction. Le kimchi, plat typiquement coréen, représente le caractère unique (comprendre supérieur) du peuple de la démocratie populaire. Porté par son élan, il continue : « Si les gens préfèrent de la nourriture ou des vêtements étrangers, ils ne font plus partie de notre nation ! » Chacun sa culture, chacun dans son pays et évitons les mélanges.

« Meet in Pyongyang » (2012) : belles images, idéologie plus discrète et « mass games »

Extrait du film nord-coréen "Meet in Pyongyang", de Kim Hyan-choi et Yahefu Xuerzhati en 2012.
Extrait du film nord-coréen "Meet in Pyongyang", de Kim Hyong-chol et Yahefu Xuerzhati en 2012. (Source : Cinema Escapist)
Meet in Pyongyang (« Rencontre à Pyongyang ») est une exception dans cette liste en ce qu’il s’agit d’une coproduction avec la Chine populaire. Le phénomène n’est pas inédit. Au cours de son existence, la Corée du Nord a co-produit des films avec des pays aussi variés que la France, l’Italie, le Japon ou l’Union soviétique. Si les contraintes de production ont souvent été mal vécues par les équipes étrangères, il faut bien avouer que, par rapport à la qualité moyenne des productions nord-coréennes, l’apport de sang neuf se ressent dans le produit final. Et cela n’est jamais aussi vrai que dans le cas de Meet in Pyongyang.

Le film de Kim Hyong-chol et Yahefu Xuerzhati suit Wang Xiaonan (Liu Dong), une danseuse chinoise qui se rend à Pyongyang pour apprendre auprès d’une experte locale. Impulsive et passionnée, Xiaonan est l’exact inverse de son alter ego nord-coréenne. Et si la communication entre les deux sera au début difficile, elles trouveront dans la danse un moyen de s’apprivoiser et de s’apprécier.

Nul besoin de visionner beaucoup de films nord-coréens pour se rendre compte que ces derniers sont incapables de mettre correctement en valeur la beauté que peut receler Pyongyang. Rien que pour cela, Meet in Pyongyang fait plaisir à voir. Belle photographie aux couleurs chatoyantes, plans aériens flatteurs : tout est fait pour sublimer le charme fascinant de la ville.

Ce visuel plaisant est au service d’une intrigue qui parvient à être touchante sans tomber dans l’apologie aveugle du régime. Bien sûr, les notions de dévouement et de sacrifice sont comme toujours présentes, mais distillées ici avec plus de parcimonie et de subtilité qu’à l’habitude. Le message, sans l’overdose idéologique généralement associée, passe nettement mieux. Les acteurs chinois apportent en outre une énergie et un naturel qui manquent trop souvent aux productions purement nord-coréennes.

Dernier atout de poids pour Meet in Pyongyang : les « mass games ». Grand classique des dictatures de droite comme de gauche, le spectacle de masse a été affiné au cours des années 1960 par la Corée du Nord pour atteindre son apogée en 2002 avec la création du festival Arirang. Le spectacle d’une heure trente voit des milliers de participants agir en parfaite coordination pour créer des vignettes racontant la création de la République démocratique et ses « nombreuses » réussites. L’impact visuel est à la fois percutant et emblématique de la manière dont le régime tend à résoudre les problèmes : par les mouvements de masse et une large dose d’idéologie. Les réalisateurs n’ont pas grand-chose à faire pour mettre en valeur l’événement : plans larges et fixes suffisent pour rendre la démesure du spectacle. Si l’on parvient à mettre de côté l’aspect idéologique de l’ensemble, on ne peut qu’être impressionné par la quantité de travail et de dévouement nécessaire de la part de l’ensemble des participants. Le festival est un parfait climax pour ce touchant Meet In Pyongyang, à la fois spectaculaire et fort d’un message foncièrement altruiste.

A voir, la bande annonce du film Meet in Pyongyang :
Par Arnaud Lanuque, à Hong Kong

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A propos de l'auteur
Installé à Hong Kong depuis trois ans, Arnaud Lanuque est spécialiste du cinéma hongkongais et le correspondant local de la revue "L'Ecran fantastique". Il est aussi le gestionnaire du Service de coopération et d'action culturelle au Consulat de France à Hong Kong.