Quand la Corée du Nord fait son cinéma
Contexte
Comment la Corée du Nord pourrait-elle être un désert cinématographique avec des dirigeants si investis dans le 7ème art ? Déjà le « Grand Leader », Kim Il-sung, père de la patrie, avait fait adapter plusieurs de ses récits au cinéma, et avait même, disait-on, participé à des tournages. Mais plus encore, son fils héritier Kim Jong-il se voyait en patron du cinéma nord-coréen. Auteur d’un traité sobrement intitulé De l’art cinématographique, publié en 1973, le « Cher Leader » se voulait réalisateur, producteur et scénariste.
C’est lui qui a défini les sujets et surtout les valeurs devant être véhiculées dans les films nord-coréens : l’amour de la patrie, l’héroïsme dans le sacrifice de soi, l’éducation des masses et la notion coréenne clé, le Juche. Développée par son père Kim Il-sung, cette idéologie autocratique est le fondement du régime nord-coréen. Elle a pour vocation de régler le destin de chaque citoyen.
« A forest is swaying » (1982) : sacrifice de soi et déforestation
On y suit un ancien soldat œuvrant sur une colline ravagée par la guerre. Malgré ses efforts, les arbres ne parviennent pas à repousser. Le comité provincial envoie alors un ingénieur pour aider à la reforestation. Mais un désaccord se fait jour entre eux sur le type d’arbre à replanter. Obstiné, l’ancien soldat persiste malgré ses échecs répétés et la pression de son entourage. Armé des paroles de Kim Il-sung, il finira par réussir dans son entreprise !
Le fait que l’on retrouve de multiples variations de ce scénario dans le cinéma nord-coréen n’est évidemment pas fortuit. C’est en effet un des deux schémas types suggérés par Kim Jong-il lui-même dans son ouvrage consacré au cinéma. Les écrits du « Cher leader » ayant paroles d’évangile, les scénaristes locaux se sont employés à l’appliquer à la lettre dans leurs histoires. On peut ainsi le voir transposé au sport, au monde agricole ou industriel…
Malgré ce schéma éculé, le film s’avère intéressant en ce qu’il révèle l’importance de la question forestière dans le pays. En effet, la déforestation est un vrai problème pour le régime. Pendant des décennies, les arbres du pays ont été abattus pour pouvoir servir de source d’énergie et faire place à davantage de terres arables. Résultat : quand les abondantes pluies d’été arrivent, les glissements de terrain et autres inondations se multiplient, anéantissant au passage les cultures. Depuis qu’il a pris les rênes du pouvoir, Kim Jong-un a lancé une grande campagne de reforestation mais les résultats au niveau local se font attendre. Ne doutons pas que A Forest Is Swaying est régulièrement diffusé pour aider au succès de ladite campagne !
« Le Calice » (1987) ou la lie de l’individualisme
Le personnage principal est Won-bong, un ancien architecte. Accompagné de son fils, il se rend dans son village natal. Mais le vieil homme n’y est pas le bienvenu. Et pour cause, il y a longtemps, quand tous les habitants se battaient pour faire de ce village un endroit moderne, Won-bong avait préféré partir à la ville, sacrifiant sa bien-aimée et les autres villageois à ses ambitions personnelles. Un acte impardonnable qui n’a cessé de le hanter. Les habitants accepteront-ils qu’il revienne dans son village natal dans ces conditions ?
Si Le Calice, réalisé par Jo Kyong-sun en 1987, illustre comme il se doit la joie que représente la vie dans le paradis des travailleurs, l’essentiel du message est ailleurs. Et il est simple à comprendre : chacun doit rester à sa place. En quittant les villageois à un moment où son aide était la plus nécessaire, Won-bong a commis une véritable trahison. L’idée a plusieurs facettes. A grande échelle, elle dénonce ceux qui ont quitté le pays. Un Coréen du Nord doit rester en Corée du Nord quelles que soient les circonstances. Il finira de toute façon par revenir car l’appel du pays est plus fort que tout (une idée au cœur de la série des Nation and Destiny). A plus petite échelle, elle rappelle que ce n’est pas à l’individu de choisir où il veut être. On se souviendra ainsi que Pyongyang, la capitale, est réservée à une élite sélectionnée par le régime et que les déplacements intérieurs doivent faire l’objet d’autorisations officielles.
En outre, Le Calice est aussi une apologie implicite du songbun. Le songbun, c’est ce système de classe déterminé selon l’allégeance familiale durant la colonisation japonaise et qui passe d’une génération à l’autre. Autrement dit, l’idée qu’il y a des actions qui ne peuvent jamais être pardonnées et qui auront des conséquences éternelles. Et c’est bien ce qui arrive à Won-bong suite à son lâche abandon. Aucun pardon ne lui est accordé et le plan final du film le voit sangloter piteusement à distance de son village natal. Un beau message plein d’espoir !
« The Country I Saw » (1987) : quand un Japonais expérimente le « paradis des travailleurs »
Le film réalisé en 1987 par Ko Hak-rim est l’œuvre idéale à montrer à ses amis pour les convaincre que la Corée du Nord est bien le paradis des travailleurs ! C’est évidemment à cette prise de conscience que va aboutir Takahashi lors de son séjour. Un point particulièrement mis en avant par le scenario est l’accès à l’éducation et aux soins dont bénéficie l’ensemble de la population. Au cours de son périple, les guides coréens s’aperçoivent que leur invité a des difficultés pour manger. Et pour cause : Takahashi n’a jamais eu l’argent nécessaire pour s’offrir un dentier ! Un tour a l’hôpital de Pyongyang et une journée plus tard – « même au Japon, cela prend plusieurs jours », s’exclame avec surprise le journaliste -, Takahashi se voit offrir un dentier et est enfin à même de manger de nouveau de la nourriture solide…
Le point culminant de la visite est atteint quand Takahashi a l’occasion d’assister à un spectacle en la présence du président Kim Il-sung. Au milieu d’une foule en délire, le Japonais ne peut que se rendre à l’évidence : c’est à cet homme génial que les Nord-Coréens doivent de vivre dans un tel paradis ! Conformément à la pratique locale, et dans un traitement similaire à celui de Jésus-Christ dans le Ben Hur de William Willer, Kim Il-sung n’est jamais montré physiquement dans le film. On ne voit que des représentations picturales de l’intéressé ou bien les réactions (exaltées) de ceux qui l’ont aperçu. Judicieux pour une personnalité aussi divine que le « Président éternel » !
A noter qu’il existe une autre œuvre recyclant en grande partie l’intrigue de The Country I saw du nom de Story of a Blooming Flower. Une biographie romancée de la vie du botaniste japonais Mototeru Kamo, qui créa la « Kimjongilia » pour le 42ème anniversaire du « Cher Leader ».
« Our Fragrance » (2004) : comédie romantique et nationalisme du kimchi
Le film est ce qui se rapproche le plus d’une comédie romantique telle qu’on en connaît ailleurs dans le monde. Dans cette réalisation de Jon Jong-pal de 2004, on suit deux familles. L’une adhère strictement aux traditions coréennes tandis que l’autre est davantage occidentalisée. Chacune des deux familles a un enfant à marier, un fils scientifique spécialisé dans le kimchi (!) pour la traditionnaliste, une fille guide touristique pour l’occidentalisée. La relation entre les deux sera semée d’obstacles mais se terminera bien, conformément à la pensée du Juche !
Toute la morale du film tient en une séquence. Le patriarche de la famille traditionnaliste est invité à manger chez la famille occidentalisée. Son accord sur le mariage étant impératif, il y a beaucoup de pression pour que le dîner se déroule au mieux. On décide donc de mettre les petits plats dans les grands : champagne, plats occidentaux prestigieux (salade de pomme de terre mayonnaise et spaghetti vaguement bolognaise) sont de la partie. Evidemment, le résultat est catastrophique. Le grand-père ne trouve aucun plat à son goût et manque de faire une crise cardiaque a cause du champagne ! La séquence est probablement ce que le film a de plus drôle à offrir mais n’en est pas moins idéologiquement très douteuse.
Pour être bien sûr que le public nord-coréen comprenne le message, une allégorie culinaire l’exprime encore plus clairement. La guide touristique accompagne un groupe de touristes occidentaux (tout droit venus de l’Allemagne de l’Est des années 1970, si l’on en croit leur coiffure et leurs vêtements…) dans une foire culinaire. Au stand consacré au kimchi, ils rencontrent le scientifique qui se fait une joie de leur détailler le processus de fabrication du délicieux chou mariné et pourquoi il est si important a l’échelle nationale : « Si nous ne défendons pas nos symboles nationaux, notre identité sera perdue, » dit-il avec conviction. Le kimchi, plat typiquement coréen, représente le caractère unique (comprendre supérieur) du peuple de la démocratie populaire. Porté par son élan, il continue : « Si les gens préfèrent de la nourriture ou des vêtements étrangers, ils ne font plus partie de notre nation ! » Chacun sa culture, chacun dans son pays et évitons les mélanges.
« Meet in Pyongyang » (2012) : belles images, idéologie plus discrète et « mass games »
Le film de Kim Hyong-chol et Yahefu Xuerzhati suit Wang Xiaonan (Liu Dong), une danseuse chinoise qui se rend à Pyongyang pour apprendre auprès d’une experte locale. Impulsive et passionnée, Xiaonan est l’exact inverse de son alter ego nord-coréenne. Et si la communication entre les deux sera au début difficile, elles trouveront dans la danse un moyen de s’apprivoiser et de s’apprécier.
Nul besoin de visionner beaucoup de films nord-coréens pour se rendre compte que ces derniers sont incapables de mettre correctement en valeur la beauté que peut receler Pyongyang. Rien que pour cela, Meet in Pyongyang fait plaisir à voir. Belle photographie aux couleurs chatoyantes, plans aériens flatteurs : tout est fait pour sublimer le charme fascinant de la ville.
Ce visuel plaisant est au service d’une intrigue qui parvient à être touchante sans tomber dans l’apologie aveugle du régime. Bien sûr, les notions de dévouement et de sacrifice sont comme toujours présentes, mais distillées ici avec plus de parcimonie et de subtilité qu’à l’habitude. Le message, sans l’overdose idéologique généralement associée, passe nettement mieux. Les acteurs chinois apportent en outre une énergie et un naturel qui manquent trop souvent aux productions purement nord-coréennes.
Dernier atout de poids pour Meet in Pyongyang : les « mass games ». Grand classique des dictatures de droite comme de gauche, le spectacle de masse a été affiné au cours des années 1960 par la Corée du Nord pour atteindre son apogée en 2002 avec la création du festival Arirang. Le spectacle d’une heure trente voit des milliers de participants agir en parfaite coordination pour créer des vignettes racontant la création de la République démocratique et ses « nombreuses » réussites. L’impact visuel est à la fois percutant et emblématique de la manière dont le régime tend à résoudre les problèmes : par les mouvements de masse et une large dose d’idéologie. Les réalisateurs n’ont pas grand-chose à faire pour mettre en valeur l’événement : plans larges et fixes suffisent pour rendre la démesure du spectacle. Si l’on parvient à mettre de côté l’aspect idéologique de l’ensemble, on ne peut qu’être impressionné par la quantité de travail et de dévouement nécessaire de la part de l’ensemble des participants. Le festival est un parfait climax pour ce touchant Meet In Pyongyang, à la fois spectaculaire et fort d’un message foncièrement altruiste.
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