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Entretien

Corée du Nord : un Congrès à la gloire de Kim Jong-un

Derrière Kim Jong-un, le drapeau rouge du Parti des travailleurs. Aux traditionnels marteau et faucille du communisme, le fondateur de la Corée du Nord, Kim Il-sung, a ajouté le pinceau, symbole tout confucéen de l'importance des lettres et de la culture.
Derrière Kim Jong-un, le drapeau rouge du Parti des travailleurs. Aux traditionnels marteau et faucille du communisme, le fondateur de la Corée du Nord, Kim Il-sung, a ajouté le pinceau, symbole tout confucéen de l'importance des lettres et de la culture. (Crédit : KNS / KCNA / AFP).
Cela ne s’était pas produit depuis 1980. Les représentants du Parti des travailleurs de Corée se réunissent en Congrès à partir de vendredi prochain à Pyongyang. La surveillance de la capitale nord-coréenne a été renforcée. Les autorisations de voyage ont notamment été suspendues. Selon certains analystes, ce rassemblement sera l’occasion de sortir de la prédominance de l’armée dans les affaires de l’Etat et de faire des annonces en matière économique. C’est ici le bol de riz à moitié vide ou à moitié plein. Pour Adam Cathcart, spécialiste des relations sino-nord- coréennes, ce Congrès est d’abord une « affaire interne » destinée à consolider le pouvoir du dirigeant Kim Jong-un.

Entretien

Adam Cathcart est le fondateur et le rédacteur en chef du site spécialisé Sino-NK. Titulaire d’un PhD en histoire contemporaine de l’université de l’Ohio, il a enseigné aux États-Unis, en Chine et en Irlande avant de rejoindre l’université de Leeds au Royaume-Uni.

Adam Cathcart, spécialiste des relations de la Chine avec la Corée du Nord
Adam Cathcart, spécialiste des relations de la Chine avec la Corée du Nord (Crédit : DR)
Parfait sinophone, Adam Cathcart se rend régulièrement en Chine et en Corée du Nord afin de nourrir ses recherches autour de trois thèmes principaux : les relations Chine – Corée du Nord, les relations sino – japonaises et les relations culturelles Est – Ouest.
Son compte Twitter (@adamcathcart) ainsi que son blog sont devenus des références pour les observateurs de la Corée du Nord.

Asialyst : Le précédent Congrès du Parti des travailleurs en 1980 avait attiré 177 délégations venues de 118 pays. Pyongyang n’a pas encore fourni de liste des pays invités au septième Congrès, mais il semble que l’on soit très loin du compte aujourd’hui…
Adam Cathcart : Cela s’explique d’abord par le fait que de nombreux pays qui avaient fait le déplacement pour le précédent Congrès ont disparu aujourd’hui. C’est le cas notamment de l’Allemagne de l’Est. Et puis, le contexte a changé. La presse officielle chinoise a ainsi laissé entendre que Pékin n’avait pas prévu d’être invité cette fois-ci. Le Parti communiste chinois n’a semble-t-il pas l’intention d’envoyer une délégation. Il y aura probablement des médias étrangers qui assisteront à la cérémonie d’ouverture, mais ce septième Congrès est avant tout une affaire interne. La représentation chinoise devrait théoriquement rester enfermée dans son ambassade pendant l’événement.
Cela fait du coup un sacré contraste avec le sixième Congrès. En 1980, Li Xiannian (futur président de la République populaire de Chine de 1983 à 1988, NDLR) s’était rendu à Pyongyang à la tête d’une importante délégation du Parti communiste chinois !
Effectivement et c’est ce qui fait la très grande différence entre ces deux événements. Lors du sixième Congrès en 1980, nous avons assisté aux débuts formels de Kim Jong-il. Le père de l’actuel dirigeant a alors pris ses marques sur la scène politique nord-coréenne. Les délégations étrangères, et spécialement la délégation chinoise, venaient vérifier que Kim Jong-il entrait bien dans le cadre du marxisme-léninisme, que la succession héréditaire en Corée du Nord n’allait pas modifier les relations avec la Chine. Les autorités nord-coréennes avaient d’ailleurs dû envoyer une délégation à Pékin, afin d’évoquer la succession de Kim Jong-il avec le politburo chinois.

Aujourd’hui, la situation est totalement différente. On est dans le « fait accompli » et Kim Jong-un est déjà bien en place. Les Chinois n’ont pas le choix, ils doivent faire avec ! De leur côté, les Nord-Coréens n’ont plus besoin de tenir la main aux représentants chinois. Pas plus que de faire semblant et de simuler l’obtention d’une permission de Pékin. Ce n’est plus le grand frère chinois qui valide l’autorité de Kim Jong-un. Les vraies questions que se pose la Chine concernent le programme nucléaire et la direction que prendra l’économie nord-coréenne. C’est cela qui inquiète Pékin aujourd’hui et non plus la succession des Kim.

Est-ce que c’est la Chine qui ne veut pas se rendre à Pyongyang pour ce septième Congrès, où est-ce que c’est la Corée du Nord qui n’a pas souhaité inviter les Chinois ?
Il y a un peu des deux en réalité. Je ne pense pas que Pékin ait reçu un carton d’invitation cette fois-ci, mais même si les autorités chinoises avaient été invitées, il serait difficile d’envoyer une délégation prestigieuse à Pyongyang. Cela serait probablement mal perçu par l’opinion publique chinoise. Certains y verraient une sorte de récompense, un peu comme lorsqu’en octobre dernier un haut représentant du comité permanent du bureau politique du Parti communiste chinois [Liu Yunshan, NDLR] avait été envoyé assister aux commémorations du 70ème anniversaire du Parti des travailleurs. L’un des 7 hommes les plus puissants de Chine avait alors eu une longue conversation avec Kim Jong-un pendant les quatre jours qu’il a passés à Pyongyang. On connaît la suite. A peine deux mois plus tard, Kim Jong-un s’est remis à parler de bombe à hydrogène. Puis il y a eu le 4ème essai nucléaire souterrain nord-coréen en janvier, suivi par des tests de missiles balistiques.

Le contexte est donc défavorable à l’envoi d’une haute délégation de représentants du Parti communiste chinois. Cela reviendrait à dire : finalement on se fiche un peu de ce qui est arrivé. Or, on le sait, la Chine est très inquiète des développements nucléaires en Corée du Nord. Pékin a voté les nouvelles sanctions de l’ONU contre la Corée du Nord, même si certains reportages à la frontière sino-coréenne ont montré que ces sanctions n’étaient pas vraiment appliquées.
L’autre point important, c’est que Pékin ne peut pas se permettre de faire du forcing avec Pyongyang. Si la Chine pousse les autorités nord-coréennes à inviter une importante délégation chinoise, cela pourrait être perçu comme une interférence dans les affaires intérieures de la Corée du Nord. Ce genre de pression serait mal venu et je pense que Pékin a d’autres batailles à mener que celle de la taille de sa représentation au septième Congrès du Parti des travailleurs.

Pyongyang ne veut rien entendre de Pékin concernant son programme nucléaire, est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que la Chine a perdu la face à cause de son allié ?
On peut penser cela effectivement. Lors du 70ème anniversaire du Parti des travailleurs en octobre dernier, la délégation chinoise n’a pas fait de promesses. Pékin voulait montrer au monde qu’il avait encore de l’influence sur son turbulent voisin. Le représentant chinois n’était pas là pour signer des accords majeurs ou pour encourager le processus de réformes en Corée du Nord. Mais c’était une délégation de très haut niveau et ce qui est arrivé ensuite a effectivement fait perdre la face à Pékin. Les relations se sont dégradées. Il y a eu ce qu’on a appelé le « girl band incident ». L’ensemble de filles Moranbong qui est une sorte d’orchestre personnel du leader nord-coréen s’est rendu à Pékin. Il devait se produire en concert à l’opéra de Pékin, ce qui a généré un grand enthousiasme. Et puis tout à coup, le concert a été annulé. On ne sait pas exactement ce qui s’est passé, mais des insultes ont été lancées de part et d’autre, à la fois par les Chinois et par les Nord-Coréens. C’était en décembre dernier. Les musiciennes sont rentrées à Pyongyang.

C’est juste après que Kim Jong-un a affirmé que la Corée du Nord allait faire l’essai d’une bombe à hydrogène. Ensuite tout s’est accéléré : non seulement il y a eu le 4ème essai nucléaire et de nouveaux tests balistiques, mais on a eu droit aussi a une pluie d’annonces en provenance de l’agence officielle nord-coréenne telles que la miniaturisation des ogives nucléaires, des essais de missiles depuis un sous-marin etc. C’est non-stop depuis des semaines maintenant et, du point de vue de Pékin, c’est certainement perçu comme de la provocation.

En 2013, on parlait d’un éventuel sommet entre Xi Jinping et Kim Jong-un, aujourd’hui les relations se sont considérablement refroidies entre les leaders chinois et nord-coréens. Là encore, on observe un fort contraste avec ce qui se passait sous les équipes précédentes à la fois en Chine et en Corée du Nord.
Je crois qu’il ne faut pas embellir les relations passées entre Pékin et Pyongyang. Avant l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un, la situation était déjà tendue. C’est vrai en revanche qu’il y a eu un réchauffement des relations en 2009 et en 2010. La principale raison étant que Kim Jong-il était malade. Il savait qu’il allait mourir et il avait besoin du soutien de la Chine pour sa succession. Mais avant cela, il y a eu une très longue période pendant laquelle Kim Jong-il a boudé Pékin. Il n’est pas allé en Chine pendant dix-sept ou dix-huit ans entre les années 1980 et 1990.

Et puis, en 2006, il y a eu le premier essai nucléaire nord-coréen. Kim Jong-il n’était pas spécialement un grand ami de Pékin, mais il connaissait la Chine. Il y a passé du temps pendant la guerre en tant que réfugié, ce qui n’est pas le cas de Kim Jong-un, son fils. Kim Jong-il s’est rendu en Chine à plusieurs reprises, alors que Kim Jong-un n’a jamais fait ce genre de voyage, en tout cas officiellement. Il y a eu des rumeurs et j’ai parlé à des gens à Pékin qui m’ont dit qu’ils avaient rencontré Kim Jong-un dans la capitale chinoise à l’été 2009. Mais rien d’officiel.

Et bien sûr, l’autre élément important, c’est que le président chinois semble préférer son homologue sud-coréenne, l’ennemie mortelle de Kim Jong-un. A plusieurs reprises on a vu Xi Jinping et Park Geun-hye afficher des relations très cordiales. Alors certes, des représentants chinois sont venus voir Kim Jong-un à Pyongyang, mais on n’est pas du tout au même niveau de relations qu’entre la Chine et la Corée du Sud.

En quoi ce Congrès est-il une « affaire interne »? Il ne faut pas en attendre grand-chose, c’est cela que vous voulez dire ?
Si vous cherchez un aspect positif à l’événement, vous pouvez expliquer que ce Congrès est une manière de revigorer le Parti des travailleurs ; que ce serait aussi une manière pour le Parti de reprendre du terrain sur les militaires. Le problème avec ce genre de thèse, c’est que dans les faits, l’armée reste prépondérante en Corée du Nord. Le Parti contrôle l’armée et les hauts responsables nord-coréens, à commencer par Kim Jong-un, n’arrêtent pas de changer de chapeau. Même la sœur de Kim Jong-un a le grade de général je crois ! Donc c’est difficile d’avoir une analyse trop positive de l’événement. Kim Jong-un est au pouvoir depuis maintenant quatre ans. Comme tous les grands rassemblements en Corée du Nord, le septième Congrès doit servir à valider le génie du dirigeant au pouvoir tout en encourageant le peuple à redoubler de vigilance vis-à-vis de l’extérieur.

Pour les Nord-Coréens, ce Congrès met aussi fin à la campagne de soixante-dix jours qui l’a précédé. J’étais en Corée du Nord le mois dernier, les gens travaillaient extrêmement dur. Ce sont des petits travaux, mais harassants. J’ai vu certains habitants déplacer des déchets en chantant pour amoindrir l’effort, d’autres étaient employés à refaire les routes, d’autres à construire un barrage ou des canaux d’irrigation. C’est une manière de ressouder la collectivité avant le Congrès.

Une cohorte de jeunes officiels va-t-elle émerger de ce Congrès ? Des réformes seront-elles annoncées ? Est-ce que le pouvoir va annoncer :  » vous savez quoi, on dispose désormais de l’arme nucléaire et on peut maintenant se consacrer entièrement à l’économie » ? Cela fait des décennies qu’on attend ce genre de déclaration mais je ne pense pas que les autorités nord-coréennes y soient prêtes, car cela entraînerait de profonds changements de société. Je ne vois pas la paix et la prospérité sortir de ce Congrès.

Certains experts affirment que Kim Jong-un a abandonné la politique du songun de son père qui donnait la priorité à l’armée sur toutes choses, pour se consacrer au développement et à l’économie du pays sur le modèle chinois. Vous répondez que Pyongyang a son propre modèle de développement, et depuis longtemps.
Oui la Corée du Nord appelle cela le byongjin ce que l’on peut traduire par « parallélisme ». C’est une stratégie qui est suivie par les leaders nord-coréens depuis les années 1960. Kim Jong-un a essayé de moderniser le slogan et de le remettre à sa sauce. Le « parallélisme » signifie que d’un côté on poursuit de manière ultra-déterminée le développement de l’arme atomique de dissuasion et des missiles intercontinentaux, et de l’autre on travaille à renforcer la croissance. Certains experts les plus optimistes croient que cela signifie que Kim Jong-un est favorable aux réformes économiques et qu’il va en faire sa priorité.

En réalité, les dirigeants nord-coréens ont toujours fait ainsi, particulièrement au début des années 1960 quand ils ont dit qu’il fallait renforcer l’armée avant de se consacrer à l’économie. Le « parallélisme » est quelque chose dont les Nord-Coréens ont fini par s’auto-persuader, mais en réalité c’est une stratégie qui est en total désaccord avec ce que pensent la Corée du Sud, le Japon, les Etats-Unis, la Russie et même la Chine. Pour ces pays, c’est justement le programme nucléaire nord-coréen qui asphyxie l’économie nord-coréenne et qui vide les caisses de l’Etat. Cet argent devrait être employé selon eux à aider les productions locales et à libérer les marchés privés. Il faudrait aussi autoriser la libre entreprise notamment pour les compagnies installées dans les zones économiques spéciales. A l’inverse, la stratégie du byongjin ne peut aboutir qu’à de nouvelles sanctions contre la Corée du Nord. On est donc loin de la fin de l’ère du songun.

Certains observateurs rapportent pourtant que les choses évoluent sur le plan économique, avec notamment de nouveaux lieux de consommation à Pyongyang.
On perçoit effectivement un désir accru pour les nouveaux modes de consommation au sein de la population. La Chine continue aussi de pousser son voisin à une plus grande ouverture économique. Le mois dernier j’étais à Dandong, une ville chinoise sur la frontière avec la Corée du Nord. J’ai parlé avec les officiels chinois responsables de la zone économique spéciale. Ces derniers ne cachent pas le fait que rien ne se passe du côté nord-coréen, mais ils affirment qu’en même temps les travaux ne se sont jamais arrêtés côté chinois. Le nouveau pont qui relie la Chine à la Corée du Nord sur le fleuve Yalou est terminé. J’ai pu constater aussi que l’imposant bâtiment des douanes était achevé. La zone économique spéciale de l’île de Hwanggumpyong, lancée par les leaders nord-coréens et chinois en 2009, est en revanche totalement à l’abandon.

Mais la Chine voit les choses sur le long terme. La frontière sino-nord-coréenne reste un lieu d’échanges très important, de nombreux camions empruntent toujours l’ancien pont de l’Amitié dans les deux sens. Même si le nouveau pont n’est pas encore ouvert, même si la propagande chinoise ne s’en est pas servi pour dire à quel point Kim Jong-un est proche du peuple ! Et cela, parce que le pont a été construit entièrement par les Chinois… Le potentiel de développement demeure très conséquent à Dandong. Ces changements d’ordre économique ne sont pas pour autant le signe d’une révolution. Le pouvoir ne va pas quitter subitement le giron de l’armée pour être rendu aux civils. Et de toutes les façons, cela ne pourra pas se faire en un seul Congrès.

Propos recueillis par Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.