Corée du Nord : un Congrès à la gloire de Kim Jong-un
Entretien
Adam Cathcart est le fondateur et le rédacteur en chef du site spécialisé Sino-NK. Titulaire d’un PhD en histoire contemporaine de l’université de l’Ohio, il a enseigné aux États-Unis, en Chine et en Irlande avant de rejoindre l’université de Leeds au Royaume-Uni.
Parfait sinophone, Adam Cathcart se rend régulièrement en Chine et en Corée du Nord afin de nourrir ses recherches autour de trois thèmes principaux : les relations Chine – Corée du Nord, les relations sino – japonaises et les relations culturelles Est – Ouest.Son compte Twitter (@adamcathcart) ainsi que son blog sont devenus des références pour les observateurs de la Corée du Nord.
Aujourd’hui, la situation est totalement différente. On est dans le « fait accompli » et Kim Jong-un est déjà bien en place. Les Chinois n’ont pas le choix, ils doivent faire avec ! De leur côté, les Nord-Coréens n’ont plus besoin de tenir la main aux représentants chinois. Pas plus que de faire semblant et de simuler l’obtention d’une permission de Pékin. Ce n’est plus le grand frère chinois qui valide l’autorité de Kim Jong-un. Les vraies questions que se pose la Chine concernent le programme nucléaire et la direction que prendra l’économie nord-coréenne. C’est cela qui inquiète Pékin aujourd’hui et non plus la succession des Kim.
Le contexte est donc défavorable à l’envoi d’une haute délégation de représentants du Parti communiste chinois. Cela reviendrait à dire : finalement on se fiche un peu de ce qui est arrivé. Or, on le sait, la Chine est très inquiète des développements nucléaires en Corée du Nord. Pékin a voté les nouvelles sanctions de l’ONU contre la Corée du Nord, même si certains reportages à la frontière sino-coréenne ont montré que ces sanctions n’étaient pas vraiment appliquées.
L’autre point important, c’est que Pékin ne peut pas se permettre de faire du forcing avec Pyongyang. Si la Chine pousse les autorités nord-coréennes à inviter une importante délégation chinoise, cela pourrait être perçu comme une interférence dans les affaires intérieures de la Corée du Nord. Ce genre de pression serait mal venu et je pense que Pékin a d’autres batailles à mener que celle de la taille de sa représentation au septième Congrès du Parti des travailleurs.
C’est juste après que Kim Jong-un a affirmé que la Corée du Nord allait faire l’essai d’une bombe à hydrogène. Ensuite tout s’est accéléré : non seulement il y a eu le 4ème essai nucléaire et de nouveaux tests balistiques, mais on a eu droit aussi a une pluie d’annonces en provenance de l’agence officielle nord-coréenne telles que la miniaturisation des ogives nucléaires, des essais de missiles depuis un sous-marin etc. C’est non-stop depuis des semaines maintenant et, du point de vue de Pékin, c’est certainement perçu comme de la provocation.
Et puis, en 2006, il y a eu le premier essai nucléaire nord-coréen. Kim Jong-il n’était pas spécialement un grand ami de Pékin, mais il connaissait la Chine. Il y a passé du temps pendant la guerre en tant que réfugié, ce qui n’est pas le cas de Kim Jong-un, son fils. Kim Jong-il s’est rendu en Chine à plusieurs reprises, alors que Kim Jong-un n’a jamais fait ce genre de voyage, en tout cas officiellement. Il y a eu des rumeurs et j’ai parlé à des gens à Pékin qui m’ont dit qu’ils avaient rencontré Kim Jong-un dans la capitale chinoise à l’été 2009. Mais rien d’officiel.
Et bien sûr, l’autre élément important, c’est que le président chinois semble préférer son homologue sud-coréenne, l’ennemie mortelle de Kim Jong-un. A plusieurs reprises on a vu Xi Jinping et Park Geun-hye afficher des relations très cordiales. Alors certes, des représentants chinois sont venus voir Kim Jong-un à Pyongyang, mais on n’est pas du tout au même niveau de relations qu’entre la Chine et la Corée du Sud.
Pour les Nord-Coréens, ce Congrès met aussi fin à la campagne de soixante-dix jours qui l’a précédé. J’étais en Corée du Nord le mois dernier, les gens travaillaient extrêmement dur. Ce sont des petits travaux, mais harassants. J’ai vu certains habitants déplacer des déchets en chantant pour amoindrir l’effort, d’autres étaient employés à refaire les routes, d’autres à construire un barrage ou des canaux d’irrigation. C’est une manière de ressouder la collectivité avant le Congrès.
Une cohorte de jeunes officiels va-t-elle émerger de ce Congrès ? Des réformes seront-elles annoncées ? Est-ce que le pouvoir va annoncer : » vous savez quoi, on dispose désormais de l’arme nucléaire et on peut maintenant se consacrer entièrement à l’économie » ? Cela fait des décennies qu’on attend ce genre de déclaration mais je ne pense pas que les autorités nord-coréennes y soient prêtes, car cela entraînerait de profonds changements de société. Je ne vois pas la paix et la prospérité sortir de ce Congrès.
En réalité, les dirigeants nord-coréens ont toujours fait ainsi, particulièrement au début des années 1960 quand ils ont dit qu’il fallait renforcer l’armée avant de se consacrer à l’économie. Le « parallélisme » est quelque chose dont les Nord-Coréens ont fini par s’auto-persuader, mais en réalité c’est une stratégie qui est en total désaccord avec ce que pensent la Corée du Sud, le Japon, les Etats-Unis, la Russie et même la Chine. Pour ces pays, c’est justement le programme nucléaire nord-coréen qui asphyxie l’économie nord-coréenne et qui vide les caisses de l’Etat. Cet argent devrait être employé selon eux à aider les productions locales et à libérer les marchés privés. Il faudrait aussi autoriser la libre entreprise notamment pour les compagnies installées dans les zones économiques spéciales. A l’inverse, la stratégie du byongjin ne peut aboutir qu’à de nouvelles sanctions contre la Corée du Nord. On est donc loin de la fin de l’ère du songun.
Mais la Chine voit les choses sur le long terme. La frontière sino-nord-coréenne reste un lieu d’échanges très important, de nombreux camions empruntent toujours l’ancien pont de l’Amitié dans les deux sens. Même si le nouveau pont n’est pas encore ouvert, même si la propagande chinoise ne s’en est pas servi pour dire à quel point Kim Jong-un est proche du peuple ! Et cela, parce que le pont a été construit entièrement par les Chinois… Le potentiel de développement demeure très conséquent à Dandong. Ces changements d’ordre économique ne sont pas pour autant le signe d’une révolution. Le pouvoir ne va pas quitter subitement le giron de l’armée pour être rendu aux civils. Et de toutes les façons, cela ne pourra pas se faire en un seul Congrès.
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