Népal : le gouvernement contre la société civile ?
Contexte
Le Népal a promulgué sa nouvelle Constitution en septembre 2015. Mais cette promulgation a généré des frustrations toujours plus vives. Contre la nouvelle loi fondamentale, des manifestations ont causé la mort de plus de 50 personnes, la plupart issues des Madhesis. Comme d’autres, cette ethnie craint de voir son rôle et sa place politiques affaiblis par le nouveau texte. Les affrontements entre policiers et manifestants, inquiets d’une division de leur communauté engendrée par le nouveau tracé des provinces méridionales du pays, ont provoqué de nombreux blessés. Dans un rapport récent, les associations de défense des droits de l’homme accusent le gouvernement de violences meurtrières.
« Leçon » de droits de l’homme
Une heure durant, le Premier ministre a donné à ses interlocuteurs une leçon de droits humains, laminant point par point les déclarations de l’organisme constitutionnel autonome, qualifiant leur rapport de « rapport d’ONG », et intimant aux personnels des droits humains de ne pas faire de déclaration sans en faire préalablement part au gouvernement. Suite à ces tentatives d’intimidation dénoncées par Amnesty International dans un communiqué du 15 avril, Mohna Ansari conclut dans une interview donnée au Nepali Times, (hebdomadaire dont le rédacteur en chef, Kunda Dixit, fait partie de l’élite intellectuelle du pays) : « Les observations du Premier ministre nous enjoignant de ne pas faire de déclaration dans les médias et d’obtenir une approbation ligne par ligne sont inacceptables. Je ne suis plus une enfant pour qu’on me parle de la sorte. »
« Vendetta »
Fondée en 1962, Sajha Yatayat a pour vocation d’offrir aux habitants de la vallée de Katmandou des transports publics abordables et efficaces. Cependant, affaiblie par des turbulences institutionnelles, son activité avait cessé pendant plus de 10 ans. Le refus de Kanak Mani Dixit de se rendre au siège de la CIAA le 20 avril n’est pourtant pas un acte de défiance. Il se fonde sur le jugement rendu par la Cour suprême en novembre 2015 affirmant que l’enquête contre le défenseur des droits de l’homme a été lancée en violation du processus de prise de décision prescrit. La Cour suprême rappelait alors à la CIAA que respecter le principe de l’Etat de droit faisait partie des principales responsabilités de l’autorité. L’enquête avait été initiée à la suite de « plaintes envoyées » à la CIAA. Sitôt Dixit incarcéré dans une prison pour criminels de droits communs et non au siège de la CIAA comme c’est l’usage, les défenseurs de celui qui est l’un des meilleurs journalistes de langue anglaise du Népal se mobilisent pour le faire libérer.
Les messages de soutien et les pétitions affluent du monde entier, notamment des Etats-Unis où le journaliste a fait ses études et où il a résidé une dizaine d’années lorsqu’il était en poste au secrétariat des Nations Unis, à New York. Au Népal, beaucoup de journalistes le soutiennent, quelle que soit leur tendance politique, dénonçant une vendetta menée par Lok Man Singh Karki. A leurs yeux, cette arrestation n’est autre qu’un règlement de compte entre le chef de la CIAA, Lok Man Singh Karki, et Kanak Mani Dixit qui s’était fermement opposé à la nomination de ce premier au poste de chef de la CIAA.
En effet, en 2013, le journaliste publiait plusieurs articles dans lesquels il critiquait fermement la nomination de Lok Man Singh Karki rappelant ses abus de pouvoir, les répressions sanglantes et les violations des droits humains perpétrés par celui-ci durant le mouvement populaire pour la restauration de la démocratie au Népal, lors des derniers jours du régime monarchique de 2006. Le Chef de la CIAA occupait alors le poste de Secrétaire général du gouvernement, sous l’administration direct du Roi, Gyanendra Shah. Il avait à l’époque été reconnu coupable d’avoir perpétré une série de violations brutales des Droits de l’Homme. La directrice du Forum Asiatique pour les Droits de l’Homme et le Développement (FORUM-Asia), Evelyn Balais-Serrano, déclarait à ce sujet : « L’arrestation de Dixit est une évolution inquiétante et un revers pour la liberté d’expression au Népal ». Kanak Mani Dixit est finalement libéré le 2 mai sur ordre d’habeas corpus émis par la Cour suprême.
Expulsé après des critiques sur Twitter
S’il est clairement inscrit à la Constitution que les étrangers n’ont aucun droit à prendre part aux activités politiques du pays, d’aucuns voient dans cette succession d’événements une volonté claire du gouvernement de museler ses opposants.
Suite à l’arrestation d’un citoyen britannique lors d’une manifestation organisée par les partis représentants les minorités ethniques mardi 17 mai devant le siège du gouvernement, et remis à son ambassade le lendemain après qu’il a été prouvé que ce touriste étranger n’était pas impliqué dans la vie politique du pays, le ministère de l’Intérieur a publié une note rappelant aux étrangers leurs droits et leurs devoirs. La circulaire largement relayée sur les réseaux sociaux n’a pas fait l’objet de nombreux commentaires, mais n’a pas non plus fait taire l’humour cher aux Népalais, comme l’indique la lecture de ce tweet de Rabi Thapa, écrivain népalais de langue anglaise :
« Breaking : Foreign Nationals on Work Visa seen Relaxing w/ Drinks, Deported. Also : Foreigners on Relation Visa nabbed for Other Relationships. » [Flash spécial : expulsion pour tout étranger en visa de travail vu en train de se détendre un verre à la main. Idem pour les étrangers en visa de relation pris en flagrant délit d’adultère.]
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