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Népal : décès de Barbara Adams, un "esprit libre"

Barbara Adams dans sa résidence népalaise.
Barbara Adams dans sa résidence népalaise. (Crédit : BRIAN SOKOL / AFP ).
De tous les étrangers résidants au Népal, Barbara Adams – décédée à Katmandou le 22 avril dernier – était sans conteste la plus connue, la plus spectaculaire, la plus engagée, la plus courageuse. Elle allait avoir 85 ans.
Le décès de cet « esprit libre » n’est pas passé inaperçu, et c’est du monde entier que sont venus les hommages : le Washington Post n’hésitant pas d’ailleurs à lui consacrer une pleine page. Retour sur une vie haute en couleur.
C’est en 1961 que la jeune et timide Barbara met les pieds pour la première fois au Népal. A cette époque, il n’y a pas encore de vols directs pour ce pays reculé, sans guère de routes carossables. On y accède à partir de New Delhi, par avion. A hélice bien sûr.

La jeune Américaine avait à l’époque déserté son école secondaire pour faire du cheval, puis elle s’était mise à explorer le monde. Après avoir passé plusieurs années à Rome, elle était venue à Katmandou envoyée par un magazine italien pour couvrir la visite de la jeune reine Elisabeth II de Grande-Bretagne au Népal. Elle avait 29 ans.

C’est dans un bar de la capitale, le Yak and Yeti de l’Hotel Royal, qu’elle rencontra par hasard le frère du roi, le jeune et beau prince Basundhara (1921-1977). Ils ne se quittèrent plus et Barbara devint de fait princesse consort, un statut quasi officiel.

Lorsque je fis la connaissance de Barbara, sa belle chevelure blonde avait blanchi mais elle était toujours aussi spectaculaire.
Elle avait une voiture blanche d’un autre temps, et elle m’invita à lui rendre visite dans la belle demeure qu’elle habitait avec une fidèle servante, des tissus anciens du Bouthan et deux pianos désaccordés.

J’étais alors diplomate, en mission au Népal, et l’hôte de Ian Martin, chef de la Mission des droits de l’homme des Nations unies pour le Népal.

C’est avec son prince que Barbara fonda la première agence de voyage du Népal, et ensemble ils parcoururent le pays de long en large. Dans le même temps, elle se mit à écrire de plus en plus pour divers journaux, contribuant à faire connaître son « nouveau » pays d’adoption, à cette époque révolue où il n’avait pas encore été envahi de jeunes Américains et Européens en quête de paradis exotiques.

Inquiète sur son sort, ses parents – son père avait travaillé pour l’administration Roosevelt – envoyèrent un membre de sa famille à sa recherche. C’est ainsi que le prince et Barbara, à dos d’éléphant, rencontrèrent un de ses cousins à la frontiere indienne.

Ce qui me frappa tout de suite chez Barbara, c’est son énergie, sa passion pour la démocratie, son désir de voir la vieille classe dirigeante laisser la place à des politiciens plus soucieux des énormes problèmes sociaux de ce pays parmi les plus pauvres du monde.

Malgré son âge, elle était infatiguable.

A la mort du Roi, frère de son amant, elle dut fuir le pays car la nouvelle reine entendait à l’époque mettre fin à des comportements qu’elle qualifiait d“immoraux”.

Mais Barbara ne quitta le Népal que pour mieux y revenir. En 2009, le gouvernement d’obédience maoïste lui accorda finalement la nationalité népalaise.
Elle finit par vendre sa vaste collection d’art et de textiles du Bouthan à un musée, et en 2011 mit sur pied la Barbara Peace Foundation qui construisit des dizaines de maisons pour les plus pauvres dans tous le pays.

Durant mon existence, peu de gens m’ont autant marqué. Il n’y en a même eu que deux. Deux femmes, aussi remarquables l’une que l’autre. La première est Sari Dienes (1898-1992), née dans l’Empire austro-hongrois, peintre, chorégraphe, illustratrice, amie et mère consolatrice des surréalistes réfugiés à New York durant la Seconde Guerre mondiale ; grande voyageuse jusqu’à sa quatre-vingt dixième année, sa chevelure blanche était aussi abondante que celle de Barbara.
La seconde c’est bien Barbara Adams, qui toujours me reçut avec une courtoisie et une amitié toutes royales.
Et même, les heures passées en sa compagnie, bloqués dans les embouteillages du vieux Katmandou – elle avait désormais un chauffeur – semblaient courtes tant elle avait à raconter sur chaque bâtisse, sur chaque statue, sur ses colères et ses espoirs.

Peut-être a-t-elle retrouvé aujourd’hui son prince si beau au paradis des grands amoureux. C’est tout ce que je lui souhaite.

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A propos de l'auteur
Jacques Bekaert (1940-2020) fut basé en Thaïlande pendant une quarantaine d'années. Il est né le 11 mai 1940 à Bruges (Belgique), où sa mère fuyait l’invasion nazie. Comme journaliste, il a collaboré au "Quotidien de Paris" (1974-1978), et une fois en Asie, au "Monde", au Far Eastern Service de la BBC, au "Jane Defense Journal". Il a écrit de 1980 a 1992 pour le "Bangkok Post" un article hebdomadaire sur le Cambodge et le Vietnam. Comme diplomate, il a servi au Cambodge et en Thaïlande. Ses travaux photographiques ont été exposés à New York, Hanoi, Phnom Penh, Bruxelles et à Bangkok où il réside. Compositeur, il a aussi pendant longtemps écrit pour le Bangkok Post une chronique hebdomadaire sur le vin, d'abord sous son nom, ensuite sous le nom de Château d'O. Il était l'auteur du roman "Le Vieux Marx", paru chez l'Harmattan en 2015, et d'un recueil de nouvelles, "Lieux de Passage", paru chez Edilivre en 2018. Ses mémoires, en anglais, ont été publiées en 2020 aux États-Unis sous le titre "A Wonderful World".
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