Société
Entretien

Népal : la photographie contre le trafic d'êtres humains

Le préfet du département de Banke, dans les jardins de la préfecture à Nepalgunj au Népal, devant une pancarte portant le témoignage d'une survivante du trafic d'êtres humains dans le cadre de l'exposition "Radiant Women".
Le préfet du département de Banke, dans les jardins de la préfecture à Nepalgunj au Népal, devant un panneau de l'exposition "Radiant Women", portant le témoignage d'une survivante du trafic d'êtres humains. (Crédit : Radiant Women)
Au Népal, où l’illettrisme est encore un problème majeur, la photo reste le meilleur moyen de sensibilisation. C’est ainsi à travers l’image que l’exposition Radiant Women veut toucher les consciences en partageant l’histoire des survivantes du trafic d’êtres humains. Lancée par Planète Enfants, ONG active depuis plus de 20 ans au Népal, l’exposition est constituée de 45 panneaux portant portraits et témoignages de femmes. Elle s’est exposée dans les lieux publics de plusieurs départements du Népal. D’expositions en ateliers de formation, la vocation du projet, outre la sensibilisation à cette effroyable pratique, est de développer des outils visant à lutter contre cette forme d’esclavage moderne. Entretien avec Natalie de Oliveira, photographe et activiste des droits de l’homme, qui a eu l’idée de cette exposition.
Après l’entretien, Ingrid Chiron a rassemblé et traduit 7 récits qui font le coeur de l’exposition Radiant Women : 7 survivantes népalaises du trafic d’êtres humains.

Contexte

Selon le protocole de Palerme, conçu en 2000 par les Nations Unies, « l’expression « traite des personnes » désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organe. »

Natalie de Oliveira, comment vous est venu l’idée du projet Radiant Women ?
Natalie de Oliveira : Je travaille dans le domaine des droits de l’homme depuis plus de 20 ans pour des ONG et des organisations internationales, dans des pays en conflit ou en transition. Depuis mai 2005 au Népal pour le bureau des Nations Unies pour les droits de l’homme (OHCHR), je me suis déplacée dans toutes les régions du pays. Dans le cadre de mon travail, j’ai rencontré beaucoup d’organisations de la société civile et des représentants officiels. C’est ainsi que j’ai pu me rendre compte des problématiques liées à la violence faite aux femmes. Cette violence est généralement en lien avec le statut que la femme occupe dans la société népalaise : problème lié à des phénomènes de discrimination maintenant la femme dans une position de citoyen de seconde catégorie, limitant son rôle au cadre familial avec peu d’accès à l’éducation, au marché du travail, à la connaissance de ses droits, la rendant vulnérable à la violence et au phénomène d’exploitation.

Lors de ma rencontre avec Planète Enfants, dès 2005, l’association et ses organisations partenaires m’ont immédiatement séduite par leur engagement auprès des femmes. C’est naturellement vers elles que je me suis tournée pour monter le projet Radiant Women. Nous en avons ensemble pensé les modalités car nous possédions une vision similaire du projet : sensibiliser aux problèmes de violence, d’exploitation et de la traite des êtres humains tout en préservant la dignité de ces femmes, en contribuant au travail de réhabilitation des survivantes, et en favorisant une meilleure protection pour les candidates potentielles à l’exploitation.

L’exposition servant d’outil de promotion et de sensibilisation, nous avons créé des ateliers visant à mobiliser les énergies à partir des témoignages recueillis. Ces témoignages sont d’authentiques récits permettant de travailler efficacement, par exemple sur des scénarii d’alternatives possibles et de réflexions prospectives. Ils englobent de nombreux acteurs sur les différentes dimensions d’aide ou de protection, permettant d’élargir l’histoire à d’autres acteurs qui peuvent et doivent à leur tour être mobilisés dans des scénarii similaires.

Le langage photographique est un formidable outil de sensibilisation, particulièrement dans un pays où l’analphabétisme touche presque la moitié de la population. L’image, immédiatement accessible, crée un lien particulier avec le spectateur.

« La photo crée l’envie, raconte une histoire à elle seule, et le récit est là pour renforcer les témoignages, ceux que ces femmes, Planète Enfants et moi voulions raconter. »
Comment avez-vous été accueillie et perçue par ces femmes victimes de la traite des êtres humains ?
Toujours de façon exceptionnelle. Chaque rencontre a été unique. Elles avaient toutes en commun le désir de partager leur histoire, de témoigner, afin d’éviter à d’autres de faire les mêmes choix et de tomber dans les mêmes pièges. Si chaque histoire est différente, chaque femme démontrait lors de nos rencontres une force et une énergie incroyable, force souvent acquise par leurs dramatiques expériences, et également grâce au soutien d’associations dont elles ont pu, ou peuvent encore bénéficier. Tous les programmes de réhabilitation dédiés aux survivantes sont absolument vitaux ! Les sessions d’alphabétisation leur offrent les bases d’une éducation dont elles ont trop souvent été privées et libèrent leur parole ; les prêts financiers leur permettent de développer une activité génératrice de revenus ; les formations professionnelles leur permettent d’acquérir des compétences, et surtout une réelle reconnaissance sociale leur permettant d’être autonomes et d’assumer leur famille.
Atelier Radiant Women à Dhangadhi, département de Saptari au Népal.
Atelier Radiant Women à Dhangadhi, département de Saptari au Népal. (Crédit : Radiant Women)
On parle beaucoup du Qatar à l’approche de la coupe du monde de football de 2022. Quel est votre point de vue quant à la main-d’œuvre népalaise sur place ?
À défaut d’avoir été en contact avec des ouvriers ayant travaillé sur les chantiers des pays du Golfe, j’ai souvent rencontré leurs familles, fréquemment abandonnées dans les bidonvilles de Katmandou, survivant difficilement avec le peu d’argent que leurs époux ou frères leur envoient irrégulièrement, quand ils le font. Les contacts entre ces ouvriers et leur famille sont rares et distants, dégradant d’autant la structure et les liens familiaux. Lors du montage du projet, j’ai recueilli des témoignages de femmes ayant travaillé dans ces pays en tant que personnel domestique. Les récits racontent tous les abus et les mauvais traitements subis dans les maisons où elles travaillaient, vivant dans des conditions dégradantes, maltraitées verbalement et physiquement, quand elles n’étaient pas sexuellement abusées.

Quelle que soit la durée de leur « contrat », ces migrants se retrouvent à la merci de leurs employeurs qui, quand ils les rémunèrent, leur versent des salaires de misère. Les seuls contacts de ces travailleurs sur place sont les employés des agences de recrutement, népalais ou indiens, qui leur confisquent leur passeport à l’arrivée et perçoivent leur salaire avec la promesse de le « garder en sécurité » pour eux. En cas de problèmes, ces intermédiaires, loin d’être une protection et une sécurité, se transforment en tortionnaires, confisquant les salaires et forçant ainsi les travailleurs à vivre dans des conditions déplorables.

Les autorités népalaises connaissent bien les problèmes. L’un de leurs ambassadeurs soulignait d’ailleurs il y a quelques années l’absence de protection et les conditions inhumaines de ces migrants, exhortant les candidats à l’expatriation à ne se rendre ni sur ces chantiers ni dans ces pays. Malheureusement, plutôt que de développer des programmes de sensibilisation, le gouvernement népalais se contente trop souvent de rendre la procédure d’immigration plus contraignante pour les candidats, et notamment les femmes, faisant ainsi le jeu des trafiquants.

Pourquoi le Népal voit-il partir des milliers de travailleurs vers des pays où les conditions de travail sont si pénibles ?
Le manque d’opportunité de travail ou de rémunération décente et l’illusion entretenue par les agences de recrutement d’opportunités d’emploi, tout en passant sous silence les contraintes et les conditions attachées à ces emplois, conduisent ces milliers de travailleurs à l’espoir d’un travail bien rémunéré. Il y aussi l’envie d’expatriation, qui est naturelle et qui peut encourager certains jeunes diplômés à trouver des opportunités ailleurs qu’au Népal. Mais la méconnaissance de ces pays et des dangers qui les guettent au sortir des sphères familiale, sociale et culturelle, les amènent à vivre des expériences effroyables, rendant leur retour très difficile. Souvent ils n’osent pas parler de ces expériences négatives, préférant épargner à leur famille le récit de leurs difficultés. Des silences qui masquent des traumatismes difficiles à gérer pour eux, mais aussi pour leurs proches.

Selon le département népalais de l’emploi à l’étranger (Department of Foreign Employment), quelque 1 400 Népalais partent en moyenne chaque jour, principalement vers les pays du Golfe, l’Inde et la Malaisie. Ce chiffre n’est qu’une approximation car il ne prend pas en compte l’émigration illégale. L’aéroport International de Tribhuvan, quant à lui, voit arriver chaque jour 3 à 4 cercueils, principalement en provenance du Qatar et de la Malaisie. Les principales causes de décès sont les crises cardiaques, les chocs thermiques (50°C sur les chantiers et la climatisation durant la nuit), et les suicides.

Propos recueillis par Ingrid Chiron

Témoignages

Voici le coeur de l’exposition Radiant Women : les témoignages des survivantes du trafic d’êtres humains. De l’exposition, Ingrid Chiron a rassemblé et traduit 7 récits.

Asmita (Makwanpur)

L'une des bannières de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage d'Asmita (Makwanpur), survivante du trafic d'êtres humains.
L'une des bannières de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage d'Asmita (Makwanpur), survivante du trafic d'êtres humains. (Crédits : Radiant Women)
Je suis la cadette de quatre filles. Mon père est parti quand j’étais encore très jeune. Il a épousé une autre femme en Inde. Le seul souvenir qui lui est associé est qu’il me battait quand j’avais quatre mois. Aucune d’entre nous n’est allée à l’école. Nous travaillions dans une ferme de maïs. J’ai essayé d’apprendre à lire et à écrire par moi-même.

A 14 ans, une femme a proposé à ma mère de me faire travailler dans une usine de tapis. J’y ai travaillé durant deux ans. Puis, j’ai fait la connaissance d’une amie qui m’a persuadée d’aller avec elle travailler dans un hôtel, à Pokhara, en échange d’instruction. Juste avant mon départ, j’ai rencontré une assistante sociale de Planète Enfants, qui m’a convaincue de ne pas aller à Pokhara, et a offert son soutien pour m’envoyer à l’école à Nuwakot.

J’étais une très bonne élève, en dépit de mes modestes ressources. J’ai passé mon SLC [brevet + 1, NdT] bien que désargentée et dormant sur un matelas dans le couloir. J’ai enseigné à de jeunes étudiants, travaillé pour Planète Enfants et avec Saathi et Shakti Samuha pour aider les survivants et les filles les plus vulnérables à la traite des êtres humains.

Aujourd’hui, j’ai une licence en journalisme et je suis coordinatrice de projet pour les départements de Hetauda, ​​Bara, Makwanpur et Rautahat. Je vis avec ma mère malade, et mes deux filles. Mon mari n’aime pas s’occuper de ma mère. Je suis fière de payer les frais d’école privée pour mes filles et de leur offrir ce que je n’ai jamais eu le privilège d’avoir étant enfant.

Charimaya (Katmandou)

L'une des bannières de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage de Charimaya (Katmandou), survivante du trafic d'êtres humains.
L'une des bannières de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage de Charimaya (Katmandou), survivante du trafic d'êtres humains. (Crédits : Radiant Women)
J’avais 16 ans quand on m’a emmenée loin de mon village, et puis vendue à un bordel de Mumbai. J’y suis restée 22 mois, dans une maison gérée par une Népalaise. Je devais constamment me battre avec les clients. Je ne pouvais pas m’échapper. C’est le gouvernement indien qui m’a sauvée et ce fut alors, seulement, que je me sentie soulagée.

Quand je suis revenue, avec 28 autres filles, on m’a placée six mois dans un centre de réadaptation, avant de recevoir une formation de six mois supplémentaires sur l’autonomisation des femmes.

J’avais porté plainte contre mes trafiquants ce qui nous a valu, à ma famille et moi, de recevoir des menaces. Ils ont été arrêtés en décembre 1996. Et en 1997, le tribunal en a condamné quatre à deux ans maximum de prison, et quatre autres à deux ans et demi.

Parmi les 128 personnes réintégrées, 15 d’entre nous, les survivantes, avons fondé Shakti Samuha, une ONG qui lutte contre la traite des êtres humains. Il nous a fallu trois à quatre années pour enregistrer notre association.

Ratna (Bara)

L'une des bannières de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage de Ratna (Bara), survivante du trafic d'êtres humains.
L'une des bannières de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage de Ratna (Bara), survivante du trafic d'êtres humains. (Crédits : Radiant Women)
Mon mari m’a quittée après que j’ai donné naissance à une fille. Il s’est enfui avec une jeune fille. Alors, j’ai suivi une femme qui m’avait promis un emploi, mais ce n’était pas une bonne place. La femme m’a alors emmenée dans une maison, puis elle a disparu. Je ne pouvais pas m’échapper. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’un endroit pareil pouvait exister. Quand j’ai compris que j’avais été vendue, tout est devenu réel. La maison portait le nom de Hajarau (milliers) avec inscrit sur la porte d’entrée : « Ici, il y a des milliers de femmes. »

La femme maquerelle voulait me faire porter des vêtements courts et couper mes cheveux, mais j’ai résisté. Les clients ont commencé à venir et le souteneur me torturait à coup de brûlures de cigarette. Nous devions satisfaire six ou sept clients par jour. Un client régulier m’a aidée à m’enfuir. Il m’a donné de l’argent pour sortir, et m’a permise de rentrer chez moi.

À mon retour, ma famille et les gens du village me traitaient très mal. J’étais enceinte. Les 15 années suivantes furent très pénibles, pour moi et mes deux filles. Je ne veux plus me cacher, grâce à Charimaya qui m’a inspirée par son courage à parler et à raconter son histoire. Je veux que mon histoire soit connue de tout le monde pour prévenir les abus futurs.

Amrita (Bardia)

L'une des bannières de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage de Amrita (Bardia), survivante du trafic d'êtres humains.
L'une des bannières de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage de Amrita (Bardia), survivante du trafic d'êtres humains. (Crédits : Radiant Women)
Je suis restée deux ans au Koweït comme travailleuse domestique. Un homme de mon village m’avait emmenée à Delhi y faire le visa. J’ai passé deux ans dans une famille de neuf personnes, au Koweït. Une des femmes de la famille me battait après ses disputes avec son mari.
Au bout de deux ans, je suis revenue pour m’occuper de mes deux fils. Mon mari est parti, emmenant notre fille cadette. Je n’ai jamais rien perçu, l’agent ayant donné tout l’argent à mon mari. Il nous a laissé et a épousé une autre femme.

Grâce à Planète Enfants et Saathi, j’ai pu ouvrir un petit magasin avec le capital de départ qui m’a été donné. J’ai un problème rénal et j’ai besoin d’un suivi médical constant. J’aime mes enfants et je veux rester avec eux, et ne plus jamais aller à l’étranger.

Kalpana (Ghanedar)

L'une des bannière de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage de Kalpana (Ghanedar), survivante du trafic d'êtres humains.
L'une des bannière de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage de Kalpana (Ghanedar), survivante du trafic d'êtres humains. (Crédits : Radiant Women)
Quand j’avais 11 ans, une revendeuse m’a emmenée dans un cirque avec six autres enfants. Mes parents n’en savaient rien. J’ai passé cinq ans dans ce cirque, et je ne l’aimais vraiment pas. J’étais régulièrement battue. On n’avait pas le droit de se plaindre, ni de tomber malade, même si nous étions de bons acrobates.

C’est ma mère qui m’a sauvée. Ayant réussi à savoir où je me trouvais elle est venue me chercher. La revendeuse est revenue dans le village pour nous emmener dans un autre cirque. Ma mère nous a cachés. Plus tard, la revendeuse a été arrêtée. Elle est maintenant en prison purgeant une peine suite à la plainte déposée par le père d’un garçon qui a été emmené au cirque.

Gauri (Nepalgunj)

L'une des bannière de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage de Gauri (Nepalgunj), survivante du trafic d'êtres humains.
L'une des bannière de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage de Gauri (Nepalgunj), survivante du trafic d'êtres humains. (Crédits : Radiant Women)
Je travaillais dans un magasin de tailleur et m’occupais seule de mes enfants puisque mon mari nous avait quittés. J’ai rencontré un Indien qui m’a convaincue de partir en Inde pour trouver une meilleure situation que travailleur domestique ou tailleur.

J’ai fait mon passeport et nous sommes partis à Delhi, où il m’a vendue. J’ai été envoyée au Koweït où j’ai vécu pendant sept mois. J’étais travailleuse domestique dans une maison. Le propriétaire, ses cousins et même les visiteurs me « touchaient » de façon inappropriée. Je refusais et résistais, et j’ai reçu des menaces de mort.

Au bout d’un mois, j’ai réussi à m’échapper et suis allée à un bureau de la main-d’œuvre géré par un Népalais. Mais ils m’ont retrouvée et tabassée. Je suis alors allée dans une autre maison où je suis tombée si malade que l’agent a préféré me renvoyer au Népal, à mes frais. Le propriétaire de cette maison était bon, mais il me battait beaucoup. Il était policier.

Je n’ai pas reçu d’argent de mon séjour au Koweït. Mes enfants étaient avec ma famille. Avec le soutien de Saathi, j’ai obtenu un peu d’argent ce qui m’a permis de monter mon propre magasin de tailleur.

Laxmi (Bastispur)

L'une des bannière de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage de Laxmi (Bastispur), survivante du trafic d'êtres humains.
L'une des bannière de l'exposition "Radiant Women" au Népal : le témoignage de Laxmi (Bastispur), survivante du trafic d'êtres humains. (Crédits : Radiant Women)
Un homme Gurung est venu et m’a dit que je pourrais avoir de belles robes dans le cirque. Mon père m’a emmenée au cirque. A cette époque j’avais dix ans, et ma soeur sept ans. Il a reçu 10 000 roupies [environ 80 Euros, NdT]. Dans un premier temps, je gagnais 100 roupies par mois et neuf ans plus tard, quand je suis partie, 300 roupies.

Le cirque était grand, 70 filles et 50 garçons logés séparément, la moitié ayant moins de huit ans. Deux ans plus tard, ma sœur a été vendue à un autre cirque. Nous étions séparées et cela m’a rendue très triste. Elle est revenue un an après.

J’étais malheureuse, mal traitée et devais porter un costume lourd et collant pendant plusieurs heures, pour les représentations. J’ai écrit des lettres à mon père le suppliant de me reprendre, mais nous n’avions pas d’argent. Nous lui en avons envoyé et il est venu nous rendre visite, deux fois.

Après le spectacle, le Malik [propriétaire] qui était handicapé, demandait aux filles de lui masser tout le corps et d’avoir des relations sexuelles avec lui. Le contrat initial avec le cirque était pour huit ans, mais au bout de neuf ans, je me suis battue avec le Malik et j’ai pu partir. Les termes et conditions sont différents selon les personnes. Mais en général, on doit rester 10 à 15 ans dans un cirque.

Quand nous sommes revenues, les villageois nous rejetaient nous traitant de mauvaises filles. Les hommes nous considéraient comme des fruits pourris. Après cela, je n’irai jamais plus au cirque.

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A propos de l'auteur
Ingrid Chiron est photographe et art curator, basée au Népal depuis 1998. Passionnée d’art, d’images et d’écriture, elle créée des ponts entre les différentes disciplines artistiques sous forme d’expositions et d’événements purement artistiques, ou à caractère social. Elle collabore régulièrement avec la presse népalaise.