Népal : la nouvelle constitution dans l’oeil des artistes
Contexte
En soutien aux victimes du séisme du 25 avril, la communauté artistique népalaise se mobilise pour apporter une aide aux artistes en difficultés et pour mener des sessions d’art-thérapie auprès des enfants traumatisés d’avoir vu leurs villages se réduire en poussière. Grâce à ces artistes, beaucoup d’entre eux ont retrouvé le sourire et la force de s’éloigner de leur mère pour aller à l’école, dans les villages ayant pu en reconstruire une. Certains de ces artistes s’expriment ici sur la nouvelle constitution.
Droit à la langue et à la culture
La lecture de la nouvelle constitution prouve que les efforts de Ragini n’ont pas été vains. L’article 32, sur le droit à la langue et à la culture, confirme à chacun le droit de participer à la vie culturelle de sa communauté, ainsi que le droit à chaque communauté de promouvoir sa langue, son écriture, sa culture, sa civilisation et son patrimoine. Quand on sait que le Népal abrite 123 langues et dialectes, on comprend l’ampleur de la tâche. Quant à l’article 51 sur les politiques d’État, il insiste sur la priorisation et le développement de l’art, de la littérature et de la musique inscrits au patrimoine national. Mis également en avant, le maintien de la diversité culturelle du pays fondé sur l’égalité et la coexistence, par la conservation et le développement des écritures, cultures, littératures, arts, films et patrimoines des différents groupes ethniques, castes et communautés. Les vraies nouveautés arrivent dans les annexes où est donnée aux autorités locales l’autorisation de mettre des lieux à la disposition de l’Art, et aux trois académies de disposer de représentations locales.
Des nouveautés qui rendent S. C. Suman particulièrement enthousiaste. Responsable du département des arts folkloriques de l’Académie des Beaux-Arts, il est réputé pour sa maîtrise exceptionnelle des nuances de l’art Mithila, qu’il a appris enfant auprès de sa grand-mère. Avec des couleurs vives et un fourmillement de détails, l’artiste aborde des sujets de société comme l’identité, la famille et la religion, qu’il peint en mettant en scène le quotidien d’un Népal rural. Grâce à cette nouvelle constitution, il imagine déjà des ateliers de diffusion des arts, organisés entre les universités du pays. Et par le biais de représentants locaux, les académies pourront organiser des échanges, et mettre en place de vraies classes d’art en dehors de Katmandou. Bien sûr, cela prendra du temps à mettre en place, mais « c’est en bonne voie », dit-il.
« La cacophonie actuelle résulte du fédéralisme »
Sangeeta Thapa se désole des déchirements internes auxquels le Népal fait face. Depuis 27 ans à la tête de la Siddharta Art Gallery, elle joue un rôle majeur sur la scène artistique népalaise. Outre plus de 400 expositions organisées, elle fonde en 2010 avec Celia Washington, artiste britannique, le Kathmandu Contemporary Arts Center qui accueille en résidence des créatifs népalais et du monde entier. En 2009, elle crée le premier festival international d’art du Népal, le KIAF, auquel participent des artistes de 25 pays différents. Pour la deuxième édition, en 2012, pas moins de 31 pays y sont représentés.
Sangeeta estime que « le seul moyen de sortir de cette crise est le dialogue. »
« Il faut une vision pour le Népal, souligne-t-elle. Malheureusement, il manque une figure paternelle fédératrice, comme pouvait l’être le roi ou certains politiciens âgés considérés comme des sages. La cacophonie actuelle est la résultante du fédéralisme tant annoncé, tant attendu, et dans lequel les étrangers ont tellement investi sans pour autant comprendre la réalité et la complexité du pays. À la minute où l’on parle de fédéralisme, les problèmes surgissent. C’est une boîte de Pandore, ouverte pendant le conflit par les maoïstes, et qui est aujourd’hui la cause du mal qui ronge le tissu social népalais. Certes, une constitution est absolument nécessaire, mais pourquoi ne pas prendre exemple sur celle de 1962, rédigée avec l’appui de spécialistes constitutionnels et de juristes ? Sur cette base, il faudrait insister sur la décentralisation qui permettrait peu à peu de réduire les inégalités. Une constitution devrait être une liste résultant des désirs de tout un peuple. »
Sushma tient la nouvelle constitution pour plus régressive que celle de 1962, qui avait pourtant instauré le système des Panchayats. Ces comités locaux, censés représenter les citoyens, étaient en réalité des comités favorables au roi Mahendra qui conservait ainsi la mainmise sur l’ensemble du pays.
« Le fédéralisme se traduit sur le terrain par un partage des provinces en petites portions forcément conflictuelles. Ce découpage profite aux gens des collines sans répondre aux aspirations des habitants de la plaine. Cette nouvelle constitution paraît bien confuse, désordonnée, éparpillée. Les membres de l’assemblée constituante n’étant en rien des juristes, le résultat tient plus d’une liste de souhaits que d’une constitution applicable. Il faut garder l’espoir d’une constitution plus inclusive, et pour cela il faut poursuivre le dialogue. »
Séisme et constitution inopportune
« Toutes les constitutions comportent des points forts et des points faibles. Plutôt que de faire le décompte de ses faiblesses, il faut s’estimer heureux d’avoir enfin une constitution après 10 ans de guerre civile et toutes ces années de drame politique. La révolte qui agite le Téraï en ce moment ne manque pas de légitimité. Tout le monde sait depuis longtemps que les gouvernements successifs ignorent les questions concernant les Madhesis. Il est impératif d’y répondre et de rétablir ce qui doit l’être. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour. Cela prendra encore du temps, mais cela arrivera. »
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