Economie
Expert - Le Poids de l'Asie

 

La Chine et les pays du Sud : du "gagnant-gagnant" au "perdant-perdant"

La 119ème Foire de Canton, au sud de la Chine, le 15 avril 2016.
La 119ème Foire de Canton, au sud de la Chine, le 15 avril 2016. (Crédits : Zhu zixing / Imaginechina / via AFP)
La foire de Canton, un des plus grands rendez-vous des exportateurs chinois, a fermé ses portes le 5 Mai. Les exposants sont partis déçus. Si leur impression se confirme, elle annonce une poursuite de la dégradation du commerce extérieur après les résultats des quatre premiers mois de l’année, qui en dépit de la stabilisation de la croissance chinoise n’ont signalé aucune amélioration.
La contraction du commerce extérieur chinois survient après environ une quinzaine d’années de croissance ininterrompue. Entre 2001, date de son adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce, et 2014, les exportations chinoises (en dollars) ont été multipliées par neuf et les importations par sept. Sixième exportateur mondial en 2000, la Chine s’est hissée à la première place, et à la seconde derrière les Etats-Unis pour les importations. La progression des échanges avec les pays émergents d’Afrique subsaharienne et d’Amérique Latine a connu des rythmes plus spectaculaires encore avec des multiplications par dix et vingt. Le commerce des Chinois avec l’ensemble des pays du Sud représentait 48 % du total en 2013.

Depuis les Etats-Unis du XIXème siècle jusqu’à la Chine contemporaine en passant par le Japon et la Corée, les pays qui s’industrialisent commencent par exporter des produits sophistiqués aux économies situées derrière eux sur l’échelle du développement et des produits moins sophistiqués vers les économies plus avancées. Ainsi, on ne croise pas de voitures chinoises sur les routes européennes (à l’exception des Volvo depuis que la marque suédoise a été rachetée par le constructeur Geely), alors qu’elles sont plus nombreuses en Afrique ou en Amérique Latine. Même constat à propos des motos et de nombreux biens d’équipement. Font exception à cette règle, les échanges de la Chine avec les pays asiatiques, qui se situent dans des chaines de valeur comme l’électronique ou la construction automobile.

Réalisant près de la moitié de ses échanges avec les pays du Sud, la Chine a longtemps vanté les mérites de ce commerce et elle le qualifiait de « gagnant-gagnant ». Un qualificatif qu’explique la dynamique de ces échanges : les Chinois exportent de plus en plus vers leurs partenaires, et ces derniers leur exportent de plus en plus. Cette dynamique faisait oublier que pour les non exportateurs de matières premières, ce commerce était déficitaire.

En 2014, le commerce mondial a marqué une pause et dans ce contexte, les échanges de la Chine avec plusieurs pays du Sud n’ont plus été « gagnant-gagnant » mais sont devenus « gagnant-perdant » : car si la Chine continuait à exporter plus vers les pays africains ou latino-américains, ces derniers lui exportaient moins du fait du ralentissement de la demande chinoise et de l’effondrement des cours de matières premières qu’avait en partie provoqué le tassement chinois. En 2015 et au premier trimestre 2016, le commerce s’est à nouveau modifié, de « gagnant-perdant » à « perdant-perdant ». Les industriels chinois présents à la foire de Canton en témoignent : ils subissent les difficultés de leurs clients au Sud qui réduisent leurs achats à la Chine.

Ainsi, les achats chinois à l’Amérique Latine ont baissé de 5 % au premier trimestre 2016, et à l’exception du Brésil qui bénéficie du redressement des cours du minerai de fer – boosté par des investissements spéculatifs chinois sur les marchés des matières premières -, les importations de Chine chutent partout ailleurs et s’écroulent dans le cas du Venezuela. Nouveauté : les exportations chinoises vers l’Amérique Latine chutent fortement (-24 % au lieu de -3% si l’on rapporte les résultats du premier trimestre 2016 à ceux du premier trimestre 2015). Même évolution dans le cas des échanges avec l’Afrique subsaharienne où la contraction en valeur des importations chinoises a été dramatique en 2015 et continue en 2016.

La baisse des importations chinoises (séries trimestrielles annualisées) en milliards de dollars. (Source : Global Trade Asia)
La baisse des importations chinoises (séries trimestrielles annualisées) en milliards de dollars. (Source : Global Trade Asia)
La baisse des importations chinoises (séries trimestrielles annualisées) en milliards de dollars. (Source : Global Trade Asia)
La baisse des importations chinoises (séries trimestrielles annualisées) en milliards de dollars. (Source : Global Trade Asia)

Moins de commerce, plus de prêts

Paradoxalement, la contraction des échanges entre la Chine et le Sud peut avoir comme conséquence une intensification des relations économiques. En effet, dans une conjoncture marquée par le retrait des capitaux étrangers des pays émergents que pourrait amplifier de nouvelles hausses de taux d’intérêt par la Fed américaine, la Chine offre une alternative aux créanciers du Nord. Depuis deux ans, elle soutient à bout de bras le Venezuela auquel elle a avancé près de 20 milliards de dollars depuis 2012 et également l’Equateur avec plus de 10 milliards. Elle est un créancier de plusieurs pays africains pour des montants qui étaient plus modestes jusqu’à l’annonce en avril 2016 d’un prêt de 6 milliards de dollars – via des « obligations pandas » – au Nigéria pour financer le déficit budgétaire.

Désireuse de à diversifier l’utilisation de ses réserves en devises, la Chine a les moyens de mener tous azimuts cette diplomatie du carnet de chèque. Toutefois, même si elle négocie les remboursements de ces prêts en nature (exportations de pétrole ou de minerais) et de façon opaque, cette politique n’est pas sans présenter des risques. Dans l’éventualité d’un défaut de paiement d’un grand débiteur, elle créerait une situation inédite. En effet, bien qu’elle soit l’un des grands créanciers du Sud, la Chine a refusé d’être membre du Club de Paris où elle a un statut de simple observateur. Ce Club est une enceinte « informelle » où se réunissent régulièrement depuis 1956 les créanciers les plus importants pour négocier des solutions aux problèmes d’endettement. Jusqu’à présent, les créanciers du Nord discutaient des problèmes d’un pays débiteur du Sud. Qu’arrivera-t-il si les négociations portent sur un pays dont la Chine est le principal créancier ? Que fera-t-elle vis-à-vis des autres créanciers ?

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).
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