La Chine et les pays du Sud : du "gagnant-gagnant" au "perdant-perdant"
Depuis les Etats-Unis du XIXème siècle jusqu’à la Chine contemporaine en passant par le Japon et la Corée, les pays qui s’industrialisent commencent par exporter des produits sophistiqués aux économies situées derrière eux sur l’échelle du développement et des produits moins sophistiqués vers les économies plus avancées. Ainsi, on ne croise pas de voitures chinoises sur les routes européennes (à l’exception des Volvo depuis que la marque suédoise a été rachetée par le constructeur Geely), alors qu’elles sont plus nombreuses en Afrique ou en Amérique Latine. Même constat à propos des motos et de nombreux biens d’équipement. Font exception à cette règle, les échanges de la Chine avec les pays asiatiques, qui se situent dans des chaines de valeur comme l’électronique ou la construction automobile.
Réalisant près de la moitié de ses échanges avec les pays du Sud, la Chine a longtemps vanté les mérites de ce commerce et elle le qualifiait de « gagnant-gagnant ». Un qualificatif qu’explique la dynamique de ces échanges : les Chinois exportent de plus en plus vers leurs partenaires, et ces derniers leur exportent de plus en plus. Cette dynamique faisait oublier que pour les non exportateurs de matières premières, ce commerce était déficitaire.
En 2014, le commerce mondial a marqué une pause et dans ce contexte, les échanges de la Chine avec plusieurs pays du Sud n’ont plus été « gagnant-gagnant » mais sont devenus « gagnant-perdant » : car si la Chine continuait à exporter plus vers les pays africains ou latino-américains, ces derniers lui exportaient moins du fait du ralentissement de la demande chinoise et de l’effondrement des cours de matières premières qu’avait en partie provoqué le tassement chinois. En 2015 et au premier trimestre 2016, le commerce s’est à nouveau modifié, de « gagnant-perdant » à « perdant-perdant ». Les industriels chinois présents à la foire de Canton en témoignent : ils subissent les difficultés de leurs clients au Sud qui réduisent leurs achats à la Chine.
Ainsi, les achats chinois à l’Amérique Latine ont baissé de 5 % au premier trimestre 2016, et à l’exception du Brésil qui bénéficie du redressement des cours du minerai de fer – boosté par des investissements spéculatifs chinois sur les marchés des matières premières -, les importations de Chine chutent partout ailleurs et s’écroulent dans le cas du Venezuela. Nouveauté : les exportations chinoises vers l’Amérique Latine chutent fortement (-24 % au lieu de -3% si l’on rapporte les résultats du premier trimestre 2016 à ceux du premier trimestre 2015). Même évolution dans le cas des échanges avec l’Afrique subsaharienne où la contraction en valeur des importations chinoises a été dramatique en 2015 et continue en 2016.
Moins de commerce, plus de prêts
Désireuse de à diversifier l’utilisation de ses réserves en devises, la Chine a les moyens de mener tous azimuts cette diplomatie du carnet de chèque. Toutefois, même si elle négocie les remboursements de ces prêts en nature (exportations de pétrole ou de minerais) et de façon opaque, cette politique n’est pas sans présenter des risques. Dans l’éventualité d’un défaut de paiement d’un grand débiteur, elle créerait une situation inédite. En effet, bien qu’elle soit l’un des grands créanciers du Sud, la Chine a refusé d’être membre du Club de Paris où elle a un statut de simple observateur. Ce Club est une enceinte « informelle » où se réunissent régulièrement depuis 1956 les créanciers les plus importants pour négocier des solutions aux problèmes d’endettement. Jusqu’à présent, les créanciers du Nord discutaient des problèmes d’un pays débiteur du Sud. Qu’arrivera-t-il si les négociations portent sur un pays dont la Chine est le principal créancier ? Que fera-t-elle vis-à-vis des autres créanciers ?
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don