Malaisie : lutte contre le fondamentalisme à géométrie variable
Contexte
Aujourd’hui, les experts estiment qu’entre 400 et 1 000 combattants indonésiens et malaisiens ont rejoint la Syrie et l’Irak depuis 2013. Les chiffrent divergent selon les sources, mais ce qui est certain, c’est qu’ils sont à relativiser. Selon le rapport de l’agence américaine USAID, même s’il est prouvé que Daech rassemble quelques milliers de soutiens dans cette partie de l’Asie, ils ne représentent qu’une faible minorité parmi la communauté djihadiste de ces pays et une fraction parmi les 235 millions de musulmans en Indonésie et en Malaisie.
Comparé à d’autres pays, le risque de départ de cette région pour le front iraqo-syrien demeure très faible : 1,4 individu pour 1 million de citoyens musulmans en Indonésie, 1,8 pour 1 million en Malaisie face à 18 et 40 individus pour 1 million en France et en Belgique. La menace, indique le rapport, ne résiderait donc pas dans le nombre des partisans à Daech mais dans les relations complexes que d’anciennes cellules djihadistes entretiennent les unes avec les autres.
Jeux d’alliances mortifères dans la course à la violence
Le danger terroriste, selon le rapport de l’agence USAID, est davantage le produit des rivalités au sein des nébuleuses djihadistes locales. Ce qui rend probable la surenchère d’actes terroristes à Kuala Lumpur comme à Jakarta. Notons que ces tensions entre cellules jihadistes préexistaient à l’Etat Islamique, et ont stimulé leurs revendications d’alliances forgées avec des groupes en conflit au Moyen-Orient. Ainsi, il existe non seulement un conflit entre groupes pro-Daech et anti-Daech, mais également des rivalités au sein-même des groupes pro-Daech.
Qui dit mieux ?
Trois djihadistes indonésiens se distinguent et ont pris la tête du contingent : Bahrumsyah, Bahrun Naim et Abu Jandal. Des rivalités ont d’ailleurs surgi entre le premier et le troisième homme, aboutissant à la création d’une unité dissidente, la Katibah Masyaariq dirigée par Abu Jandal.
Alors que les attentats de Jakarta ont été dans un premier temps imputés à Bahrun Naim, l’IPAC (Institute of Policy Analaysis of Conflict, un think tank basé à Jakarta) indique que l’attaque a été vraisemblablement ordonnée localement par une cellule pro-Daech : La Jamaah Anshar Khilafah (JAK). Chef du mouvement et ponte du djihadisme indonésien, Aman Abdurrahman est aujourd’hui emprisonné et aurait établi une vague alliance avec Abu Jandal. Ainsi, au lendemain de l’attaque de Jakarta, un attentat aurait été planifié par le chef de la Katibah Nusantara pour égaler son rival. Selon l’IPAC, « L’attaque du 14 Janvier a joué un rôle de catalyseur des rivalités entre ces groupes et alimenté les démonstrations de violence » dans la région.
A ces rivalités, viennent s’ajouter l’antagonisme avec les groupes anti-Daech. Cette opposition s’explique moins par un différend doctrinal – la violence de Daech à l’encontre de musulmans sunnites, rejetée par les groupes anti-Daech – que par d’anciennes loyautés envers des organisations en conflits ouverts avec l’Etat Islamique, telle qu’Al-Qaïda ou Al-Nosra. Ainsi, la grande majorité des combattants malaisiens et indonésiens anti-Daech partis en Syrie et en Iraq, rejoignent les rangs du mouvement Al-Nosra, l’antenne syrienne d’Al-Qaïda. Ils sont pour la plupart membre de la cellule Jamaah Islamiyah (JI), connue notamment pour la tuerie de Bali en Octobre 2002 et dont l’allégeance à Al-Qaïda remonte au début des années 2000. Ainsi, depuis la scission complète entre Al-Qaïda et Daech, les cellules indonésiennes Jemaah Islamiyah ou encore Majelis Mujahidin Indonesia se posent en sévères détracteurs de Daech.
Loin d’être non violents, ces groupes anti-Daech contribuent néanmoins à affaiblir l’Etat Islamique à travers leurs publications critiques. Ce qui explique en partie le faible ralliement à Daech dans la région.
Pour un Islam de paix à l’international
Pour ce faire, la Malaisie a accepté d’ouvrir un nouveau centre de partage de données afin de coordonner l’action contre Daech qui verra le jour à la fin 2016. Auparavant, le Premier ministre Najib Razak avait déjà marqué les esprits lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies en 2010 avec son appel au Mouvement global des modérés pour lutter contre l’obscurantisme et assurer la paix et l’harmonie dans le monde. Le pays avait d’ailleurs accueilli la même année une conférence internationale de représentants et intellectuels chiites et sunnites pour définir un « Etat Islamique ».
A l’échelle de la région, la Malaisie s’est également posée comme fer de lance de la lutte contre l’EI en provoquant une réunion ministérielle de l’ASEAN spécialement consacrée à la montée de la radicalisation et de l’extrémisme. Sur sa lancée, le gouvernement a annoncé en octobre 2015 l’organisation d’une conférence de l’ASEAN à Kuala Lumpur en vue de définir une réponse régionale à la menace terroriste. Cependant, cette énergie progressiste déployée à l’international contraste avec la politique intérieure, où les prises de positions du gouvernement sont nettement conservatrices.
Pour le conservatisme à la maison
L’inquiétude de la société civile s’est amplifiée avec le scandale financier du 1MDB qui a éclaboussé le premier ministre Najib. Crée sous son impulsion en 2009, Le fonds 1 Malaysia Development Berhad a pour but de transformer Kuala Lumpur en pôle financier international. En 2015, les retards de paiement aux banques et aux actionnaires ont mis en lumière la dette écrasante du fonds et le manque de transparence dans sa gestion. Dans une enquête, le Wall Street Journal a avancé l’existence d’un versement de 700 millions de dollars émis par le Fonds 1MDB sur le compte personnel du Premier ministre. Après avoir fait remplacer son député Muhyddin Yassin ainsi que le procureur général, tous deux très critiques du gouvernement, Najib Razak est désormais tiré d’affaire. Le nouveau procureur général a accrédité l’explication d’un versement en provenance de l’Arabie Saoudite destiné à Najib pour l’aider à gagner les élections. La coalition d’opposition demeure sceptique, tout comme le mouvement de contestation « Bersih » qui s’est mobilisé en masse et qui critique la multiplication de la censure depuis le début du scandale. Le Centre pour le journalisme indépendant en Malaisie (CIJ) a dénoncé en mars dernier la cybercensure du site régional d’information Asia Sentinel ou des blogs politiques indépendants tels que OutSyed the box.
2018 à tout prix
Bien qu’elle ait connu une ascension fulgurante depuis sa création en 2008, la coalition d’opposition Pakatan Rakyak est aujourd’hui en voie de désintégration. Le Parti Islamique Malaisien (PAS) se désolidarise du Parti pour l’Action Démocratique (DAP) et du Parti National pour la Justice (Keadilan Rakyat). Cette coalition fragile avait été formée grâce à l’action d’Anwar Ibrahim, chef du parti Keadilan Rakyat et fervent défenseur de la démocratisation en Malaisie. Après son arrestation et son emprisonnement en 2015 pour des accusations de sodomie dont beaucoup soupçonnent les motivations politiques, la coalition a menacé d’exploser à plusieurs reprises.
Le dernier coup de massue a été donné par le PAS qui refuse de renoncer à ses positions fondamentalistes dans l’Etat du Kelantan où il est majoritaire et tente d’imposer l’application des peines légales prévues dans le Coran, le Hûdud. Selon le chef de parti du DAP, Lim Kit Siang, « la coalition n’attend plus que l’organisation de ses funérailles ». D’après lui, la nouvelle ne manquera pas de réjouir l’UMNO. Le parti du Premier ministre est largement soupçonné d’avoir tendu la main au PAS en coulisse pour affaiblir l’opposition.
En s’alignant avec un Islam conservateur et aux influences salafistes en interne, Najib Razak discrédite le Mouvement global des modérés auprès de la société civile malaisienne. Sans doute l’UMNO espère-t-il compenser l’impact de la signature du Partenariat Transpacifique (TPP) qui remet en question les privilèges accordés au Bumiputeras (les malais autochtones). Car le Premier ministre a, semble-t-il, pris le risque de mécontenter une partie clé de son électorat pour booster la croissance. Son objectif : annoncer l’entrée de la Malaisie dans le club des économies avancées au matin des élections nationales en 2018.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don