Indonésie : le terrorisme islamique sous un "plafond de verre" ?
Comment comprendre cette attaque ? L’Indonésie va-t-elle rebasculer dans la période tragique marqués par les attentats de la Jemaah Islamiyah au Ritz Carlton et au JW Marriot de Jakarta en 2009 ? Pour le chercheur Rémy Madinier, au contraire, l’islam radical violent n’est plus en expansion dans le pays, mais se heurte désormais à un « plafond de verre ».
Entretien
Rémy Madinier est diplômé de Sciences Po, agrégé d’histoire, docteur en histoire, codirecteur de l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman (IISMM), chercheur au CNRS, spécialiste de l’Indonésie où il a été en poste durant plusieurs années.
Il a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur l’histoire contemporaine de ce pays, en particulier sur la tentation radicale de l’Islam, sur l’histoire du catholicisme à Java-Central et sur les rapports islamo-chrétiens dans le monde malais. La thèse de doctorat à l’origine de cet ouvrage a été récompensée par le prix de l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman (IISMM).
Sur le long terme, l’Indonésie est depuis la fin des années 1990 la cible de réseaux islamistes qui ont suivi le retour des mujahidin afghans comme la Jemaah Islamiyah, le pur produit de de cette décomposition. Il ne s’est pas passé un mois depuis ces années sans que des individus préparant des attentats ne soient arrêtés. L’attaque du Starbucks n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu. L’Indonésie est travaillée par un réseau djihadiste apocalyptique qui espère créer une sorte de chaos originel figurant la fin du monde, pour créer un autre monde à leur désir.
L’Indonésie n’est donc pas menacée par ces actions terroristes, mais s’inscrit plutôt dans un récit global qui porte en Occident. L’idée est de donner l’impression d’un monde occidental encerclé, attaqué de toute part. Cela reflète la partie la plus radicale de cette frange de l’islam militant qui se pense sous la menace mortel de l’Occident.
Cependant, il est intéressant de noter le rôle assez central de la Malaisie dans cette radicalisation. C’est plus encore le symbole d’une schizophrénie d’un islam fier et militant, qui accuse les chrétiens de tous les mots et affirme vouloir s’insérer dans une communauté internationale.
Le fait d’avoir accueilli des organisations islamiques dans les affaires publiques a désamorcé la vision manichéenne d’un islam univoque. Dans les années 2000, la situation de chaos provoquée par les conflits fonciers aspirés par la dichotomie confessionnelle dressant l’islam contre les autres dont les chrétiens, cela a cessé de fonctionner.
Par contre, les radicalisés indonésiens sont plus qu’en France liés à un discours ambiant. Depuis une vingtaine d’années, il se produit une banalisation du discours d’intolérance en Indonésie, à travers les écoles notamment. Autant, le pays est un modèle pour idéologie officielle inclusive et qui accepte 6 religions à égalité avec l’islam. Autant elle a encore certains progrès à faire : le complexe d’infériorité se transforme parfois en agressivité et nourrit des discours intolérants ; ce qui peut servir des organisations qu’on combat par ailleurs.
Alors c’est quelque chose qui a très bien fonctionné. Les gens d’Aceh se sont englués dans ces débats religieux avec une surenchère qui accapare toutes leur vie politique et sociale, et ils se sont contentés de l’autonomie donnée. L’opération a pu sembler réussie pour le gouvernement central. Mais au niveau de l’archipel entier, cela ne peut pas fonctionner ainsi partout. Certaines régions sont prêtes à recevoir plus d’islam. Le discours a été instrumentalisé par les partis séculiers comme les parti démocrates. Mais tout cela s’est finalement assez largement cantonné à de la rhétorique. Il y a eu très peu d’application de ces règlements favorables à la charia, très en vogue dans les discours entre 2004 et 2008.
Deuxième raison à ce plafond de verre : le développement économique a joué un rôle, qui rend plus difficile d’inscrire le mouvement islamique dans la vision d’un monde injuste en train de s’écrouler.
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