Société
Témoin - Pérégrinations chez les Tang

 

Chine : les rituels d'une journée type

Des enfants d'une école de Liuzhou dans la province chinoise du Guangxi font la queue pour recevoir leur déjeuner.
Des enfants d'une école de Liuzhou dans la province chinoise du Guangxi font la queue pour recevoir leur déjeuner. (Crédit : AFP CHINA XTRA / STR / AFP / AFP China Xtra).
Lorsque l’on réside longuement dans un pays étranger, il est assez commun de s’entendre dire que s’habituer au rythme de vie des autochtones est un passage obligé pour s’intégrer et comprendre le mode de vie du quotidien.
C’est aussi vrai en France, et je peux citer mes parents pour qui manger après 20h le soir serait assez concevable.

La Chine vit également sous des rythmes tout aussi imposés. La prise des repas évidemment mais pas seulement : le rituel de la journée type semble immuable, que l’on soit étudiant, travailleur ou retraité.

Certains rituels semblent même être indifférents à l’évolution de certains pans d’une société qui semble courir à tout prix derrière la modernité et la réussite matérielle.

De l’importance du petit-déjeuner

Les plus grands nutritionnistes occidentaux ne ménagent pas leurs efforts pour expliquer l’importance du premier repas de la journée, et en Chine une journée ne peut décemment commencer sans ce repas.

Les premières gargotes de rue ouvrent dès 5h du matin et c’est en service continu jusqu’à 9h. Pas un enfant sans ses petits petits baozi (包子), ces petites brioches vapeurs fourrés à la viande ou aux légumes ; ses you tiao 油条, ces beignets cuits dans l’huile ; ou encore une jeune cadre dynamique pomponnée avec une crêpe fourrée à la main courant derrière son bus.

Si une telle observation peut paraître très banale, à titre personnel, elle me donne l’impression que ce petit déjeuner est l’étape fondamentale au commencement d’une journée.

Rien ne se fera, ni ne se fait, avant le petit déjeuner. « Comment ça, tu n’as pas pris de petit déjeuner ? Mais comment fais-tu jusqu’à midi ? Ce n’est pas possible ! » me demandait-on souvent à l’université.
Et ma réponse invariable : « Je n’ai pas très faim, juste un café et la journée peut commencer » n’était pas en mesure d’emporter une quelconque conviction.

Quand l’étonnement se mêle à la stupéfaction, vous ne cherchez plus à argumenter… et le petit déjeuner viendra à vous !

Le festin du petit-déjeuner.
Le festin du petit-déjeuner. (Crédit : D.R.).

12h, ce n’est déjà plus l’heure

Sans tomber dans la classique chronique culinaire, je suis contraint de vous montrer à quel point la prise des repas en Chine est le principal jalon de la journée.

Pour avoir expérimenté (et toujours avec joie) la vie d’étudiant et de salarié en contact permanent avec des chinois, la période de déjeuner est la plus « exotique ».
Chaque jour, dès 11h les messages sont envoyés via Wechat ou QQ (équivalent de feu MSN messenger) : « Qu’est-ce qu’on mange au déjeuner ? » « Pâtes ou riz ? » « On se fait livrer un repas (Wai Mai – 外卖) ? » .
L’agitation devient frénétique quand les 11h30 approchent et je me souviens encore d’une collègue débarquant en trombe dans le bureau, la tension dans les yeux, à 11h31 :

« Mais il faut que l’on aille manger là ! ». « Ah mais c’est que je n’ai pas très faim à vrai dire. C’est un peu tôt » répliquais-je. « Comment ça tu ne viens pas manger ? » « Tu sais, en France on mange rarement avant 12h30 ! » « Hein ?! »
Avec du recul on se rend compte que tout le système s’organise autour de ces horaires bien précis.
Non pas que les autres pays ne fonctionnent pas ainsi, mais de l’école primaire jusqu’au monde du travail, le segment du « déjeuner » est une coupure nette.

Les cours à l’université sont ainsi organisés de façon identique au collège ou au lycée – soit entre 11h30 et 12h, la sortie de classe où deux, trois, quatre voire 5 000 étudiants s’agglutinent sur 30 minutes de temps dans de grands réfectoires pour le sacro-saint déjeuner.
A 12h45, les cantines ferment ; et là où en France la coupure « entre midi et deux » se veut plus mouvante, les chinois perpétuent très naturellement au fil des temps cette rythmique de tous les jours.

« Bon, on va se reposer d’abord »

La sieste tant décriée par chez nous pour l’image « d’oisiveté coupable » qu’elle projette, et à mon grand étonnement, une véritable « religion » en Chine.

Juste après le déjeuner tout le monde va tranquillement piquer du nez, généralement sur son lieu de travail : le nez dans le clavier pour certains, à même les fruits & légumes pour le vendeur du marché, sur le scooter pour d’autres (dans un grand moment d’équilibrisme, dos sur la selle et pieds sur le guidon).

Rien ne se semble se faire tant que la sieste n’aura pas été prise, comme si le pays se paralysait pendant une bonne demi-heure après le repas. L’image détonne assez au regard de l’idée que l’on se fait des chinois qui travaillent « 18 heures par jour » alors que chez nous l’idée même de la sieste après le déjeuner est inconcevable.

Quand je m’étonnais de cela, c’est encore la raison du fonctionnement du corps qui m’était donnée (et à juste titre) : l’énergie du corps se focalisant sur le processus de digestion, l’envie de dormir pour récupérer des forces invite donc à un repos bien mérité, et ce, afin de pouvoir mieux travailler par la suite.

Après le déjeuner, la sieste est pratiquée par la majorité des chinois, parfois même dans des endroits incongrus.
Après le déjeuner, la sieste est pratiquée par la majorité des chinois, parfois même dans des endroits incongrus. (Crédit : D.R.).
Ce rituel de la sieste est à mon sens le symbole le plus fort de ces rites quotidiens des chinois : toutes les classes et tous les âges s’y plient de bon grès et ce depuis très longtemps.

Loin de l’image d’oisiveté, la sieste est le repos qui permettra justement de mieux se consacrer à son effort (scolaire, professionnel) et s’agissant d’un processus aux ressorts physiologiques, les chinois semblent s’en être saisis avec pragmatisme.

La médecine chinoise ne prescrit rien de très différent de l’apophtegme « L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt » : diner à 17h30 pour se coucher entre 21h-21h30 est un standard plus que répandu.

Dans les dortoirs étudiants, c’est extinction des feux (et de l’électricité en général) à 22h pour un réveil entre 6h30 – 7h00, histoire de se préparer…. avant le petit déjeuner évidemment.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Diplômé d'un master en droit social à Paris II, Philippe de Gonzague a travaillé comme juriste en droit du travail pendant 4 ans avant de décider de partir pour Xi'an afin d'y apprendre le chinois à temps plein. Premier voyage en Chine en 2010 et premier coup de foudre pour l'Empire du Milieu ; depuis 2012 Xi'an est devenu sa "base" pour analyser les us et coutumes tant quotidiens qu'ancestraux d'une Chine encore bien mystérieuse pour beaucoup.
[asl-front-abonnez-vous]