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Chine : construire sa carrière d'artiste

Le célèbre architecte Wang Shu pose fièrement devant les murs de l'Académie des Beaux-Arts de Chine à Hangzhou.
Le célèbre architecte Wang Shu pose fièrement devant les murs de l'Académie des Beaux-Arts de Chine à Hangzhou. (Crédit : Zhou junxiang / Imaginechina / AFP).
Hangzhou, campus de Xiangshan, Académie des Beaux-Arts de Chine(中国美学院). 67 000 km2 de vallons, de jardins, de poésie et de plans d’eau.

Une trentaine de bâtiments, qui revisitent les traditions architecturales chinoises au prisme d’un vocabulaire contemporain : le toit incurvé du bâtiment principal est déployé en une ligne ondulatoire, à laquelle répond une ligne non moins étonnante des escaliers et rampes d’accès à flanc de façade.
Ces surprises architecturales s’offrent au regard sous différentes perspectives depuis de nombreux points de vue et bâtiments du parc.

Ce chef d’oeuvre architectural est signé par Wang Shu – premier architecte chinois à recevoir le prestigieux prix Pritzker, sorte de Nobel de l’architecture – et sa femme Lu Wenyu.
Un cadre idyllique pour inspirer les étudiants et professeurs de l’une des plus célèbres académies de Chine.

A Pékin, c’est de la célébrité de son Musée que s’enorgueillit l’Académie Centrale des Beaux-Arts (中央美术学院). Inauguré en 2008 pour les 90 ans de l’Académie, un an après le campus de Hangzhou, ce superbe musée d’une surface au sol de 14 777 m2 est signé par l’architecte japonais Arata Isozaki.
Il fait partie des institutions culturelles de référence de la capitale du pays aussi bien pour la richesse de ses collections permanentes – 2 000 peintures sur soie datant de la Dynastie Ming exposées par roulement -, que par la pertinence de ses expositions d’art contemporain.

En Chine, le prestige dont s’accompagnent les grandes académies des Beaux-Arts n’est pas seulement institutionnel, il est aussi matériel.

Depuis les années 2000, les Académies de beaux-arts sont entrées dans l’économie des industries culturelles : investissement dans les infrastructures, systématisation de l’offre académique, commercialisation de l’enseignement pour répondre à la forte demande du marché intérieur.
Selon le corps enseignant de l’Académie Centrale des Beaux-Arts, l’université accueillait 600 étudiants répartis sur neuf disciplines en 2001. En 2012, elle comptait 5 000 étudiants répartis sur trente disciplines.

D’où vient cet engouement chinois pour les études d’art ?

En Chine, on peut être artiste par volonté de faire carrière. Celle-ci se joue au sein des Académies, de professeur assistant, à maître de conférence, professeur d’université, enfin chercheur.
Cette carrière s’appuie sur la renommée de l’Académie à laquelle l’artiste est affilié. Parallèlement, la progression hiérarchique au sein de l’université suit la renommée artistique des professeurs, qui sont évalués sur leur production, leurs expositions, et leurs publications officielles.

L’accès au statut de chercheur permet d’être exempté des charges d’enseignement, de se concentrer sur sa production artistique, et de jouir d’une cote florissante dans les milieux artistiques institutionnels.
Le statut de fonctionnaire leur permet de bénéficier d’un statut légal, et de toutes les protections couvrant les accidents du travail, la retraite, le risque maladie et maternité, le chômage (à ce propos, voir l’ouvrage de Jean-Marie Schmitt et Antonia Dubrulle, Le Marché de l’Art, La Documentation Française, 2014).

Il est également possible de faire carrière dans le secteur privé, comme en témoigne Chen Chang (常琛) – Charles de son prénom français. Il est diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Chine, à Hangzhou. Après son benke (équivalent de la licence) dans la spécialité Beaux-Arts, il est parti en France poursuivre à la Grande Ecole des Métiers de la Culture et du Marché de l’Art (IESA) un Mastère spécialisé dans le Marché de l’Art.
Il travaille actuellement comme curator pour Beautiful Assets, un des principaux fonds d’investissements chinois spécialisé dans le marché de l’art, et notamment la promotion des jeunes artistes.

“Pour les parents chinois, entrer dans une académie chinoise prestigieuse est un signe de réussite sociale. L’art n’est pas incompatible avec la richesse, contrairement à ce que j’ai ressenti en France, où les relations entre l’art et l’argent restent tabou. Ma mission, en tant que curateur d’un fonds d’investissement, est de découvrir les jeunes pépites qui sortent des académies des beaux-arts – qui parfois ne sont mêmes par encore diplômées ! Nous organisons des expositions et des publications qui permettront de « lancer » ces jeunes artistes sur le marché. La cote se construit très tôt. En échange, ces artistes ont un contrat d’exclusivité pluriannuel avec nous » nous explique-til.
Ces fonds d’investissement dans l’art, qui poussent les artistes à voir leur création comme un produit sur un segment de marché bien défini, sont une spécificité chinoise : en 2012, 40 % des fonds d’investissements spécialisés dans l’art dans le monde étaient des fonds chinois (selon les chiffres cités par le cabinet Deloitte, ArtTactict, Art & Finance Report 2013).
Chez Beautiful Assets, Charles suit une centaines de jeunes artistes, qu’il découvre dans les studio des huit grandes académies de Beaux-Arts : Académie Centrale (中央美术学院), de Chine (中国美术学院), du Sichuan (四川美术学院), du Hubei (湖北美术学), de Tianjin (天津美术学院), de LuXun (鲁迅美术学院), de Guangzhou (广州美术学院) et de Xi’An (西安美术学院)。

La concurrence pour intégrer une des ces prestigieuses académies est rude, et nécessite talent autant qu’investissements importants pour financer la préparation aux concours d’entrée.

A Hangzhou, bien loin du campus de Xiangshan, dans la banlieue de Binjiang réputée pour le faible coût de son mètre carré, fleurissent les centres de préparation aux épreuves d’entrée des académies de beaux-arts.
En 2011, on y dénombrait 200 écoles, certaines d’entre elles pouvant former jusqu’à 300 élèves. L’enseignement, hautement standardisé, se concentre sur les examens d’entrée.

Les étudiants veulent devenir un « artiste célèbre », sans bien comprendre ce que cela signifie : contrairement à l’élève français qui s’inscrirait aux Ateliers de Sèvres ou aux Ateliers des Beaux-Arts de la ville de Paris pour renforcer sa technique artistique mais également porter à maturation son projet, l’orientation ne figure pas au programme de ces centres de préparation.

De 8h à 23h, on y enseigne les techniques pour briller aux preuves du yikao, les trois épreuves artistiques qui ont lieu généralement après le nouvel an chinois sur les campus des différentes Académies.
Ces épreuves permettent de sélectionner les candidats éligibles aux académies selon trois compétences techniques : la maîtrise du dessin, de la couleur, et du croquis.
Selon le corps enseignant de l’Académie Centrale des Beaux-Arts, 130 places offertes par la prestigieuse académie peuvent attirer jusqu’à 13 000 candidats. Les élèves doivent également passer les épreuves générales du redouté Examen d’entrée à l’Université chinoise, le gaokao, mais ces scores ne sont pas déterminants pour intégrer les Académies.

De quoi convaincre certains étudiants en difficulté académique de troquer bachotage des mathématiques pour un crash course en croquis, dessin, et couleur. L’important reste in fine d’empocher un diplôme universitaire qui fait figure de sésame sur le marché du travail.

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A propos de l'auteur
Depuis qu’elle est arrivée en Chine, il y a presque dix ans, Antonia explore les différentes facettes des mondes chinois de l’art et de l’éducation. Arrivée dans une petite ville de la province du Zhejiang, elle a ensuite enseigné en université à Pékin, représenté des écoles françaises d’art, avant de devenir directrice académique et associée chez Pharos Education & Culture. Elle bâtit des passerelles entre les systèmes éducatifs français et chinois, en prenant soin que les étudiants soient préparés sur les plans académiques, intellectuels, culturels et personnels. Diplômée de l’Ecole Normale Supérieure, elle a écrit plusieurs articles sur des artistes contemporains, et publié avec Jean-Marie Schmitt, Le Marché de l’Art (Documentation Française, 2014).
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