Constellations d’architectes français : pratiques entre la Chine, l’Inde, et le Myanmar (½)
Nous proposons de raconter des expériences d’architectes méconnues, d’une part pour montrer la diversité des travaux réalisés et en cours, recélant de qualités et d’innovations, de l’autre pour compléter le panorama médiatique essentiellement focalisé sur l’architecture iconique.
Partons à contre-courant de la production des starchitectes (selon l’expression utilisée par Gravari-Barbas Maria, Renard-Delautre Cécile, Starchitecture(s), Paris, L’Harmattan, 2015, Gestion de la culture) à l’export en Asie !
L’analyse de l’envers du décor esquisse des sentiers pour les futures générations, et incarne pour les architectes les enjeux de pratiquer à l’international.
Un bref préambule à l’internationalisation de la profession introduit trois récits d’architectes travaillant ou ayant eu une activité en Chine, en Inde et au Myanmar.
L’internationalisation de la profession d’architecte, pour le meilleur… et pour le pire
Sortis de l’euphorie des Grands Travaux initiés par le président François Mitterrand en France, ils se confrontent au déclin de la construction entrainé par la guerre du Golfe et la crise pétrolière de 1990.
La crise du marché intérieur oriente des politiques en faveur de l’exportation des activités d’architecture – ainsi que le préconise le Rapport Contenay en 1995 qui aboutit notamment à la création de l’association des Architectes Français à l’Export (AFEX) – et incite les professionnels à se diversifier et aller vers d’autres terrains d’action ; le programme présidentiel « 150 architectes et urbanistes chinois en France 1998-2005 » de Jacques Chirac témoigne de cette mouvance et tend un pont entre les nations, les professionnels, et les étudiants.
Ces années marquent également l’internationalisation de la formation à l’architecture avec la démocratisation des dispositifs de mobilités internationales : en Europe d’abord, puis progressivement dans le monde.
Têtes de pont, certains architectes-enseignants, comme Serge Santeli et ses workshops entre sept villes indiennes, organisent des ateliers en Inde, au Japon, et insufflent une culture internationale à leurs étudiants.
À la même période, comme le précise le sociologue Guy Tapie dans sa thèse de sociologie, Les architectes à l’épreuve de nouvelles conditions d’exercice(Bordeaux 2, 2000) l’arrivée fulgurante des technologies numériques et l’informatisation des procédés de travail participent largement à la libéralisation des échanges de services : les réseaux et la communication instantanée rendent le travail à distance possible.
De génération en génération, des architectes partent tenter leur chance en Asie, entre grandeur, décadence, ou interventions minimales, ils en reviennent transformés ou n’en reviennent pas.
Enquête
« Internationalisation de la profession d’architecte » est le thème d’une thèse de sociologie débutée en 2013 sous la direction de Guy Tapie, au laboratoire PAVE, école nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux, associé au Centre Emile Durkheim de l’Université de Bordeaux.
Cet article – présenté ici en deux parties – mobilise des ressources documentaires sur les projets cités, et extraits d’une base de 80 entretiens semi-directifs, une quinzaine concernent des architectes diplômés en France qui travaillent ou ont travaillé en Chine, en Inde et au Myanmar. Parmi les architectes interrogés : on trouvera un dirigeant d’agence en Chine, des Volontaires Internationaux (V.I.) en Inde et une employée humanitaires au Myanmar.
L’entrepreneuriale : un architecte salarié de l’agence française Jacques Ferrier Architectures crée et dirige la filiale à Shanghaï (Chine) ; la volontaire : des membres de l’association Architectes Sans Frontières Toulouse conçoivent et réalisent une école dans la région du Zanskar en Inde et enfin l’humanitaire : une architecte salariée au Comité International de la Croix Rouge (CICR) supervise la construction d’un centre de réadaptation physique au Myanmar.
Malgré un titre d’architecte générique délivré par l’État français, les pratiques internationales se différencient, et l’analyse des trajectoires individuelles rend compte des singularités par la mise en perspective des conditions d’actions (économique, politique, social), des parcours (environnement familiale, personnel, formation), des positions professionnelles (opinions, activités, pratiques, partenaires), et des valeurs individuelles (engagements politique, social). Commençons avec le dirigeant expatrié en Chine, suivons ensuite le groupe de volontaires en Inde, pour terminer sur un chantier au Myanmar…
Création de l’agence Jacques Ferrier Architectures à Shanghaï
Le dirigeant Aurélien Pasquier, formé à l’école de Paris Malaquais a ponctué son parcours de voyages familiaux – Italie, Espagne, Allemagne – et personnels : « je me suis toujours arrangé pour partir de Paris pendant les vacances ». Engagé pendant sa formation auprès de l’association Concordia, il participe à des travaux humanitaires au Kenya et au Groenland.
Ces expériences lui apportent des avantages inédits : formation à la construction, ouverture d’esprit, rencontres de volontaires internationaux, pratique de l’anglais. Une année de stage à Genève chez BRS architectes marque sa formation, complétée par un DESS « Ingénierie de la maîtrise d’œuvre architecturale, aménagement et urbanisme ». Diplômé, il travaille un an aux Ateliers Jean Nouvel, et parce que c’était un rêve en gestation depuis des années, cesse son activité en 2004 pour voyager en solitaire vers l’Asie – Europe de l’Est, Russie, Japon… jusqu’en Chine.
Après avoir « changé les baskets par des vraies chaussures, et les t-shirts par des chemises », il intègre Architecture Studio Shanghai et accepte un poste deux ans plus tard chez Jacques Ferrier Architectures à Paris, au moment où l’agence remporte le concours du Pavillon. Les expériences internationales de l’architecte et les intérêts de l’agence sont vite croisés !
En s’installant à Shanghaï, l’agence se soumet aux conditions de production locales, au système d’Instituts de projet, au progressif durcissement politique (quota des visas de travail restreint), à la philosophie chinoise de constamment « faire et refaire ». Être agence étrangère, au-delà des faits, est une stratégie face à la concurrence : « si les clients viennent nous trouver, c’est pour trouver une offre différente ».
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don