Environnement
Reportage

En Inde, l'eau est un capital en danger

En attendant la distribution d'eau à Perungudi (Chennai) dans le Tamil Nadu, le 24 mars 2015.
En attendant la distribution d'eau à Perungudi (Chennai) dans le Tamil Nadu, le 24 mars 2015. (Crédit : R Ramesh Shankar / The Times of India / via AFP)
Inondations dévastatrices et pénurie d’eau potable. Pour surmonter la contradiction, l’Inde est en mal de volontarisme des pouvoirs publics et d’efficacité des dispositifs au niveau local. Exemple dans le Tamil Nadu, au sud du pays. Alors que la question de l’énergie a coûté sa place au dernier exécutif local – c’était leurs l’un des atouts maîtres du candidat Modi aux législatives de 2014 -, la gestion des ressources en eau reste encore absents des esprits. Il faut à la fois sensibiliser et encourgaer l’installation des système de récupération d’eau. Reportage à Madurai.

Contexte

Entre 2001 et 2014, sous le gouvernement local dirigé par Narendra Modi, les investisseurs se pressent en masse vers le Gujarat, un petit Etat au Nord de l’Inde, à la frontière avec le Pakistan. C’est ce qu’on a appelé le « miracle Modi », qui lui a très certainement value la puissante vague de popularité balayant l’ombre des émeutes de 2002, et l’a mené à son élection au poste de Premier Ministre. Le secret de ce « miracle », c’est l’énergie. En 2004, alors que le Congrès prend les rênes du pouvoir national, le Gujarat se retrouve face à des coupures de courant de plus en plus nombreuses. C’est alors que Narendra Modi à l’idée de promouvoir une énergie propre, et surtout capable de soutenir l’économie du pays sans souffrir du manque d’électricité grâce à l’installation de parcs de panneaux solaire. Il s’attire ainsi la sympathie du Premier ministre japonais Shinzo Abe, ou encore de l’ancien Premier ministre israëlien Ariel Sharon.

Un an après son accession au pouvoir, le gouvernement Modi instaure son Renewable Energy Act, dans le but assumé d’attirer les investissements étrangers et de les développer au niveau national. Si une large part de ce loi est consacrée au solaire (dans le but de développer l’ISA, l’Alliance Solaire Internationale, une coopération avec des pays situés sur la même ligne de tropique), la biomasse, l’énergie éolienne, et l’hydro-électricité sont autant de sources d’énergies visées à moindre échelle.

Vandiyur Lake à Madurai.
Vandiyur Lake à Madurai. (Credit : G. Durgairajan)

« En Inde, l’eau n’est pas taxée ! »

Pour développer l’emploi en Inde, le gouvernement central mise sur l’industrie et les investissements étrangers. Le manque d’électricité, les coupures à répétition et l’image un peu vieillissante du charbon ne plaident pourtant pas en faveur du pays à la croissance néanmoins vertigineuse. Le développement constant des énergies vertes depuis 5 ans en Inde, – elles représentent aujourd’hui environ 13 % de la capacité totale des installations électriques dans le pays – ont permis de commencer à approvisionner en courant alternatif les villages situés en zones isolées. Les énergies vertes représentent donc un espoir autant qu’une étape obligée dans le développement du pays.

Un espoir insuffisant néanmoins. « La promotion du développement durable lors des conférences aux Nations Unies, concerne surtout les experts. On ne se soucie pas des conséquences sur les locaux. Les Nations Unies n’invitent pas d’agriculteurs, ni de ruraux pour parler de leurs problèmes, donc tout cela reste abstrait. » Ainsi parle K. Sakthivel. Ce jeune homme issu d’un milieu rural modeste dirige aujourd’hui Rainstock. L’entreprise qu’il a fondée sensibilise à la nécessité de conserver l’eau, et installe des système de récolte des eaux de pluie et de recyclage des eaux usées.

Pour Sakthivel, la réalité au niveau local est bien différente des priorités des chefs d’Etat : « Si l’on développe l’industrie, c’est très bien. Mais il faut savoir que l’industrie utilise presque 50 000 litres d’eau pour produire une seule voiture, ce qui équivaut aux besoins de trois villages en un jour. Et c’est la même chose pour n’importe quel autre objet manufacturé. Or, personne ne se demande pourquoi les voitures coûtent beaucoup moins chères en Inde que dans d’autres pays. C’est simple, il y des taxes sur les terres mais pas sur l’eau, considérée comme un capital. » Un capital qui s’amenuise au fil du temps, s’inquiète Sakthivel.

Recycler l’eau

« Je ne suis pas de Madurai, confie Sakthivel. mes parents travaillent à la journée à Theni, à quelques kilomètres de là. Je suis venu ici pour mes études et peu à peu, cet intérêt pour la préservation des « réservoirs d’eau » [NDLR : technique traditionnelle pour récupérer l’eau des pluies durant les moussons], j’en ai fait ma profession. » Désormais, Rainstock est l’une des rares organisations à encourager la récupération et la réutilisation de l’eau de pluie.

« Nous avons un fonctionnement hybride : nous sommes à la fois une fondation, dédiée à l’éducation et une entreprise incubatrice dédiée à la récupération de l’eau de pluie », explique Sakthivel. Malgré le manque d’eau et la pollution des réservoirs dans lesquels s’amassent sacs plastiques et détritus, la question de l’eau n’est encore qu’un problème saisonnier. « Il y a deux aspects en jeu dans ce problème, analyse le jeune chef d’entreprise : d’un côté, les gens raisonnent en terme d’immédiateté, et donc le problème de l’eau s’atténue à leurs yeux car il n’apparait qu’en été ; D’un autre côté, il y a les faits dont peu de gens sont vraiment conscients. »

Dans la banlieue de Madurai, les habitants n’ont pas reçu d’eau depuis deux jours ; en ville, la pénurie remonte à trois jours. Habituellement, le Réseau public d’eau potable (Common Water Supply) vient approvisionner les habitants en échange d’une taxe mensuelle : « L’eau est pompée de la rivière dans plusieurs stations et distribuée. Mais depuis quelques jours la chaleur est intense et l’eau manque », confie l’un des habitants du village.

Pourtant à l’arrivée des étudiants volontaires, les villageois sont loin d’être enthousiastes : « Très peu de gens nous encouragent et nous accueillent à bras ouverts ; d’autres sont beaucoup moins sympathiques, et une grande majorité nous demande de partir », rapporte l’un des volontaires. Une réalité qui choque parfois ces étudiants issus des classes moyennes, mais il est nécessaire de l’affronter, souligne Sakthivel, pour souder leur engagement.

Campagne de sensibilisation dans le village d'Anna Nagar, près de Madurai dans le Tamil Nadu, le 22 mars 2015.
Campagne de sensibilisation dans le village d'Anna Nagar, près de Madurai dans le Tamil Nadu, le 22 mars 2015. (Crédit : Rainstock)
Volontaires nettoyant une partie de la rivière Vaigai a Madurai, en février 2016.
Volontaires nettoyant une partie de la rivière Vaigai a Madurai, en février 2016. (Crédit : Rainstock)

De l’électronique à la préservation de l’eau

Rien ne vouait pourtant cet étudiant en électrotechnique à la préservation de l’eau : « Durant mes études, j’ai rejoint un programme de formation à l’entreprenariat avec quelques autres élèves, la plupart intéressés par les questions d’énergie. Mon intérêt pour la littérature Tamil m’a cependant fait pencher vers la préservation de la rivière Vagai à Madurai, présentée dans de nombreux écrits comme l’origine de la civilisation Tamil. » Cette rivière saisonnière protégeait la ville de la sécheresse durant l’été, mais aujourd’hui la rivière n’est plus en mesure d’assurer ce rôle. « La pollution solide et liquide est l’un des facteurs majeurs de ce déclin, déplore Sakthivel ; cela couplé à des constructions aléatoires a provoqué un assèchement de la rivière. » La Vagai sert aujourd’hui de décharge publique ou de toilettes, et malgré les campagnes de sensibilisation, les habitudes des habitants ne changent pas, de même que le désengagement des politiques locaux.

Pourtant, cette rivière mythique a fait l’objet de nombreux plan de rénovation, dont le dernier organisé conjointement avec l’artiste américaine Felicia Young et la Fondation DAN, basée à Madurai. Une opération qui s’est une fois de plus soldée par un échec en raison d’une communication chaotique.

Il y a quelques années, le gouvernement du Tamil Nadu avaient demandé à ce que toutes les maisons individuelles se dotent d’un système de récupération d’eau. Aujourd’hui néanmoins, ces systèmes semblent absents de nombreux de villages, ou hors d’usage en raison de la qualité du matériel, qui ne semble pas avoir supporté le poids des années. En cause, la corruption des services de contrôle antipollution, et des agents locaux.

Le cas de Chennai

Les moussons toujours généreuses sur la côte est du Tamil Nadu, en raison de la baie du Bengale, ont provoqué l’hiver dernier des inondations dévastatrices et la mort de 347 personnes. Pour autant, le niveau des nappes phréatiques n’a pas augmenté outre mesure, accentuant le risque de sécheresse durant l’été.
« C’est assez simple, analyse Sakthivel, le réservoir joue généralement le rôle de récupérateur d’eau et une fois plein, communique par un système de cavités souterraines avec d’autres réservoirs. Or, en raison de l’urbanisation, ces cavités ont été déviées et les habitations ont été construites à proximité du réservoir, coupant le trajet naturel de l’eau. Le niveau est donc monté et la situation est devenue incontrôlable. »
La ville de Chennai, sujette plus que d’autres à des pluies diluviennes, a été touchée en priorité. Mais des villes telles que Madurai pourraient également être confrontées à des problèmes similaires. « Avant que l’urbanisation massive ne détruise l’organisation de la ville, rappelle Sakthivel, le surplus d’eau au niveau de la principale station de bus de la ville (Periyar Bus Station) se dirigeait naturellement vers le bassin du Valaivesi, qui se déversait dans la rivière Vaigai. » Désormais, l’eau s’amasse dans les rues et rentre parfois dans les boutiques et les habitations.

Cela prend du temps, mais ce sera crucial pour l’avenir. Rainstock, l’entreprise de Sakthivel sensibilise peu à peu les nouvelles générations à la nécessaire préservation de l’eau. Une question qui, comme celle de l’énergie, risque de peser lourd dans les élections futures.

Par Audrey Dugairajan à Madurai (Tamil Nadu)

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Audrey Durgairajan est journaliste indépendante en Inde, et collabore avec différents médias Français (Ouest-France, Rue 89) et Indiens (Indes Magazine). Lorsqu’elle n’est pas en reportage, elle forme les étudiantes de License Journalisme et Communication de Madurai (Tamil Nadu).