En Inde, l'eau est un capital en danger
Contexte
Entre 2001 et 2014, sous le gouvernement local dirigé par Narendra Modi, les investisseurs se pressent en masse vers le Gujarat, un petit Etat au Nord de l’Inde, à la frontière avec le Pakistan. C’est ce qu’on a appelé le « miracle Modi », qui lui a très certainement value la puissante vague de popularité balayant l’ombre des émeutes de 2002, et l’a mené à son élection au poste de Premier Ministre. Le secret de ce « miracle », c’est l’énergie. En 2004, alors que le Congrès prend les rênes du pouvoir national, le Gujarat se retrouve face à des coupures de courant de plus en plus nombreuses. C’est alors que Narendra Modi à l’idée de promouvoir une énergie propre, et surtout capable de soutenir l’économie du pays sans souffrir du manque d’électricité grâce à l’installation de parcs de panneaux solaire. Il s’attire ainsi la sympathie du Premier ministre japonais Shinzo Abe, ou encore de l’ancien Premier ministre israëlien Ariel Sharon.
Un an après son accession au pouvoir, le gouvernement Modi instaure son Renewable Energy Act, dans le but assumé d’attirer les investissements étrangers et de les développer au niveau national. Si une large part de ce loi est consacrée au solaire (dans le but de développer l’ISA, l’Alliance Solaire Internationale, une coopération avec des pays situés sur la même ligne de tropique), la biomasse, l’énergie éolienne, et l’hydro-électricité sont autant de sources d’énergies visées à moindre échelle.
« En Inde, l’eau n’est pas taxée ! »
Un espoir insuffisant néanmoins. « La promotion du développement durable lors des conférences aux Nations Unies, concerne surtout les experts. On ne se soucie pas des conséquences sur les locaux. Les Nations Unies n’invitent pas d’agriculteurs, ni de ruraux pour parler de leurs problèmes, donc tout cela reste abstrait. » Ainsi parle K. Sakthivel. Ce jeune homme issu d’un milieu rural modeste dirige aujourd’hui Rainstock. L’entreprise qu’il a fondée sensibilise à la nécessité de conserver l’eau, et installe des système de récolte des eaux de pluie et de recyclage des eaux usées.
Pour Sakthivel, la réalité au niveau local est bien différente des priorités des chefs d’Etat : « Si l’on développe l’industrie, c’est très bien. Mais il faut savoir que l’industrie utilise presque 50 000 litres d’eau pour produire une seule voiture, ce qui équivaut aux besoins de trois villages en un jour. Et c’est la même chose pour n’importe quel autre objet manufacturé. Or, personne ne se demande pourquoi les voitures coûtent beaucoup moins chères en Inde que dans d’autres pays. C’est simple, il y des taxes sur les terres mais pas sur l’eau, considérée comme un capital. » Un capital qui s’amenuise au fil du temps, s’inquiète Sakthivel.
Recycler l’eau
« Nous avons un fonctionnement hybride : nous sommes à la fois une fondation, dédiée à l’éducation et une entreprise incubatrice dédiée à la récupération de l’eau de pluie », explique Sakthivel. Malgré le manque d’eau et la pollution des réservoirs dans lesquels s’amassent sacs plastiques et détritus, la question de l’eau n’est encore qu’un problème saisonnier. « Il y a deux aspects en jeu dans ce problème, analyse le jeune chef d’entreprise : d’un côté, les gens raisonnent en terme d’immédiateté, et donc le problème de l’eau s’atténue à leurs yeux car il n’apparait qu’en été ; D’un autre côté, il y a les faits dont peu de gens sont vraiment conscients. »
Dans la banlieue de Madurai, les habitants n’ont pas reçu d’eau depuis deux jours ; en ville, la pénurie remonte à trois jours. Habituellement, le Réseau public d’eau potable (Common Water Supply) vient approvisionner les habitants en échange d’une taxe mensuelle : « L’eau est pompée de la rivière dans plusieurs stations et distribuée. Mais depuis quelques jours la chaleur est intense et l’eau manque », confie l’un des habitants du village.
Pourtant à l’arrivée des étudiants volontaires, les villageois sont loin d’être enthousiastes : « Très peu de gens nous encouragent et nous accueillent à bras ouverts ; d’autres sont beaucoup moins sympathiques, et une grande majorité nous demande de partir », rapporte l’un des volontaires. Une réalité qui choque parfois ces étudiants issus des classes moyennes, mais il est nécessaire de l’affronter, souligne Sakthivel, pour souder leur engagement.
De l’électronique à la préservation de l’eau
Pourtant, cette rivière mythique a fait l’objet de nombreux plan de rénovation, dont le dernier organisé conjointement avec l’artiste américaine Felicia Young et la Fondation DAN, basée à Madurai. Une opération qui s’est une fois de plus soldée par un échec en raison d’une communication chaotique.
Il y a quelques années, le gouvernement du Tamil Nadu avaient demandé à ce que toutes les maisons individuelles se dotent d’un système de récupération d’eau. Aujourd’hui néanmoins, ces systèmes semblent absents de nombreux de villages, ou hors d’usage en raison de la qualité du matériel, qui ne semble pas avoir supporté le poids des années. En cause, la corruption des services de contrôle antipollution, et des agents locaux.
Le cas de Chennai
« C’est assez simple, analyse Sakthivel, le réservoir joue généralement le rôle de récupérateur d’eau et une fois plein, communique par un système de cavités souterraines avec d’autres réservoirs. Or, en raison de l’urbanisation, ces cavités ont été déviées et les habitations ont été construites à proximité du réservoir, coupant le trajet naturel de l’eau. Le niveau est donc monté et la situation est devenue incontrôlable. »
Cela prend du temps, mais ce sera crucial pour l’avenir. Rainstock, l’entreprise de Sakthivel sensibilise peu à peu les nouvelles générations à la nécessaire préservation de l’eau. Une question qui, comme celle de l’énergie, risque de peser lourd dans les élections futures.
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